La pause liturgique : Offertoire Benedictus sit (Sainte Trinité)

Publié le 03 Juin 2023
Grégorien : Graduel Universi (1er dimanche de l’Avent) L'Homme Nouveau

Béni soit Dieu, le Père et le Fils unique de Dieu et l’Esprit-Saint qui nous a donné sa miséricorde.

Thème spirituel

Le texte de cet offertoire est purement et simplement chrétien. Il n’est pas tiré de l’Écriture, ni de l’ancien ni même du nouveau Testament. Il mentionne de façon toute élémentaire les trois personnes divines, et il les bénit dans leur unité, en invitant les hommes à les louer et à les remercier pour le don de la miséricorde. C’est une prière de bénédiction et d’action de grâces, sans demande, mais la demande est implicite : l’évocation de la miséricorde porte en elle, bien sûr, l’invocation de la miséricorde. Si je loue Dieu, si je le remercie pour son amour et son pardon, c’est évidemment pour en jouir, pour lui demander de continuer à exercer envers moi ce qui m’a déjà été donné par lui.

Chant trinitaire, cet offertoire nous invite à nous pencher sur ce beau mystère que nous ne comprendrons jamais parfaitement ici-bas. Et même au ciel, l’infini de Dieu ne sera jamais complètement contenu dans les limites trop étroites de notre esprit et de notre cœur.

On raconte cette belle histoire, venue d’un pays d’Afrique : un missionnaire, un jour, questionne les enfants du catéchisme et leur demande : « Qu’est-ce que la Trinité ? » Grand silence… Il pose à nouveau la question et finalement une petite fille lève la main et dit, mais avec une voix toute enrouée, à peine audible : « Ce sont trois personnes en un ». Le missionnaire qui a tendu l’oreille se voit obligé de dire à la petite fille : « Excuse-moi, je n’ai pas compris ». Et la petite fille à la voix enrouée, lui répond du tac au tac : « C’est normal, on ne peut pas comprendre, c’est un grand mystère ! »

Oui, la Trinité est un grand mystère, le plus grand mystère même, celui qui est caché au fond de la révélation, le grand mystère qui illumine tous les autres mystères : l’Incarnation rédemptrice, l’Eucharistie, la descente de l’Esprit-Saint, le mystère de Marie, le mystère de l’Église, ne peuvent se comprendre que dans la lumière trinitaire. Et cette lumière trinitaire est une lumière d’amour. Si les Trois ne font qu’Un, si l’unique Dieu est trine, c’est parce que Dieu est Amour.

La Création qui porte l’empreinte divine, nous dit quelque chose de ce mystère. La famille humaine est une image de la Trinité, précisément dans l’amour. L’acte conjugal, qui réalise l’union d’amour d’un homme et d’une femme et inclut la possibilité d’une conception d’un enfant, évoque ce qui se passe entre les trois personnes divines. C’est l’amour qui unifie tout dans la famille comme au sein de la Trinité. L’homme et la femme, en s’unissant physiquement et spirituellement, jusqu’à ne plus faire qu’une seule chair, c’est-à-dire une seule réalité, selon le langage biblique, se donnent aussi totalement que possible l’un à l’autre, et ce don mutuel se concrétise, s’incarne en un petit être qui est le fruit de cet amour, qui est cet amour même en personne. Ils sont trois en un, dans l’instant amoureux et unifiant de l’acte conjugal. On comprend qu’un tel acte soit le sommet de la vie d’un couple. On comprend qu’on n’ait pas le droit de le banaliser, de le réduire à sa seule dimension de plaisir. On comprend qu’on ne puisse pas séparer l’union des époux de l’éventualité de la procréation. Cet acte est image de la Trinité, cet acte est sacré.

Il est limité pourtant, dans sa réalité d’image. D‘abord, il est temporel, fugace, et c’est pourquoi il est répétitif. Ensuite le don des époux n’est jamais totalement absolu, et c’est pourquoi les enfants d’un même couple sont chacun une expression de leur amour, mais non pas à eux seuls l’unique expression de leur amour. Et puis l’unité des trois, dans l’acte conjugal, n’est jamais réalisée non plus de façon absolue. Chaque être demeure enfermé dans les limites infranchissables de son individualité. Il y aura toujours trois natures individuelles, jamais une seule nature. Tout l’être de l’homme ne passe pas dans l’être de la femme, et l’être des conjoints ne passe pas en totalité dans l’être de l’enfant. Il y aura toujours, dans le cœur des époux, une certaine frustration, un désir d’infini jamais réalisé, mais goûté quand même, et qui fait justement la beauté de cet acte. On ne chantera jamais assez la splendeur d’un tel acte, la beauté d’un tel amour, auquel vient puiser même le grand mystère de la virginité, alliance toute pure entre une créature et son Créateur. Dans le mariage chrétien, cet acte possède une valeur sacramentelle, il est hissé au niveau de l’amour qu’il signifie, l’Amour de Dieu pour l’humanité, l’Amour du Christ pour son Église, mais aussi et ultimement l’Amour trinitaire lui-même, l’Amour qu’est Dieu dans son mystère.

Le mystère de la Trinité est le mystère d’un acte d’amour absolument parfait. Cet acte est éternel, comme Dieu lui-même : il est éternellement en cours de réalisation. À tout moment du temps, le Père et le Fils, personnes spirituelles et non physiques, donc non sexuées, s’aiment éternellement et dans cet amour, le Père se donne tout entier à son Fils, lui donne tout, ne gardant pour lui que cette réalité de Père qui le distingue personnellement de celui qui lui est identique, mais qui n’est que Fils. Et dans leur unité où cette fois plus rien ne les distingue, en tant qu’unique principe, jaillit éternellement leur amour mutuel, leur amour en personne qui est leur commun Esprit, leur commun Baiser, leur commun Amour. Cet Amour n’a qu’un principe : le Père et le Fils indissolublement unis. Cet Amour ne se distingue de son unique principe qu’en tant qu’il reçoit tout leur être dans sa réalité personnelle d’Amour. Trois personnes donc, mais une seule nature divine.

On pourrait parler sans s’arrêter de ce mystère d’unité trinitaire, on ne ferait jamais que tourner autour de cette réalité sans jamais parvenir à la pénétrer. On est comme devant un point incandescent , un point de feu qui nous apparaît dans sa radicale unité. Et c’est comme si on focalisait peu à peu sur ce point, pour découvrir qu’il est cache en lui, en fait une réelle trinité. Mais comme nos images sont limitées, comme elles explosent devant cet immense mystère ! Un point de feu, un point d’amour, cela ne veut rien dire…

Par contre, l’acte conjugal et la beauté familiale nous parlent vraiment de ce grand mystère et voilà pourquoi nous devons les respecter souverainement, les aimer, les remercier, les contempler.

Il reste à dire, et notre offertoire nous le suggère, à la fin, que ce mystère Trinitaire, mystère d’Amour, prend un autre nom quand il s’agit de se pencher sur nous. Pour nous, l’Amour de Dieu devient miséricorde, amour qui se donne au-delà de lui-même, amour qui pardonne, amour qui épouse la misère. Sans l’Incarnation, nous serions restés étrangers au mystère de la Trinité. C’est Jésus qui nous a révélé le Père, et leur amour divin qui se nomme l’Esprit-Saint. Et c’est par la Croix et la résurrection de Jésus que nous sommes emportés dans le mystère de cet amour devenu pour nous miséricorde.

Benedictus sit Partition offertoire

Commentaire musical

La mélodie de cet offertoire est empruntée au 3ème mode. Elle est ardente et contemplative à la fois. La pièce est composée de trois phrases musicales : une phrase qui unit le Père et le Fils ; une phrase consacrée à l’Esprit-Saint ; et une phrase relative à la miséricorde divine.

L’intonation est élancée et appuyée. Appuyée déjà sur le Ré initial ; appuyée sur le Sol, notamment sur la note pointée qui sert de tremplin vers la suite. Quant à l’élan, il se manifeste dans les intervalles Ré-Sol (le tout premier) et La-Do, qui conduisent rapidement la mélodie vers les hauteurs, le Do jouant ici d’emblée le rôle de dominante. L’accent de benedíctus arrive au sommet de cette montée, touchant le Ré sur la deuxième note du torculus. L’intonation s’achève sur une cadence en La, et juste avant d’y arriver, on a entendu le demi-ton Do-Si qui confère à ce début une nuance de tendresse, de douceur.

L’élan se confirme sur le mot suivant Deus, qui est très affirmé mais aussi très déroulé, formant une belle courbe chantée d’un seul trait, sans retard. Même s’il n’y a pas de barre après Deus, le mot s’achève sur une sorte de cadence bien ferme, avec une double note longue sur le La puis sur le Sol. On trouve donc sur ce petit mot, mais qui est le nom de notre immense Dieu, l’élan et la fermeté, une belle arsis et une forte thésis, qui traduisent la vie et la solidité de Dieu.

Vient ensuite l’énoncé des trois personnes divines. La première personne est exprimée mélodiquement en plein élan et avec beaucoup de grâce. Pour la troisième fois depuis le début de la pièce, on atteint le Ré sur l’accent de Pater, sur lequel on retrouve ces deux éléments d’élan et de fermeté, notamment grâce au double Do bien ferme. Quant à la finale, de ce mot, elle est pleine de douceur et de légèreté. C’est comme une petite fioriture qui doit être chantée sans aucune force, dans la fluidité d’une vocalise gratuite. On chante avec amour cette première personne divine, source et principe de tout, en dedans comme au dehors de la Trinité.

Le caractère gracieux de la mélodie se retrouve sur le traitement du mot unigenitúsque qui est léger, et qui nous fait atteindre une fois de plus le Ré, au sommet. Ce mot forme une belle courbe qui part du Mi, mais s’achève sur le Fa, avec une cadence un peu surprenante, mais qui prépare la longue tenue sur le Fa qui suit, sur Dei. Cet unisson tenu sur le Fa ajoute une note mystérieuse à la pièce. Le mystère ici, c’est la mention d’un autre que le Père et qui est pourtant Dieu comme lui. Mystère chrétien par excellence, révélé en Jésus. On peut noter que les intervalles de quarte et de tierce, sur Dei Fílius sont multipliés, ce qui donne à tout ce passage quelque chose de moins lié, de plus primesautier peut-être, quelque chose d’enfantin qui tranche par rapport à la force tranquille du Père.

Avec la deuxième phrase, celle de l’Esprit-Saint, on est en contraste avec tout ce qui a précédé. Un grand élan propulse d’emblée la mélodie vers le Do qui va être omniprésent tout au long de la vocalise des deux mots Sanctus et quoque. Le Do, très soutenu, apparaît en rapport étroit avec le Sol, sur la finale de Sanctus. Ces deux Sol doivent être bien chantés et surtout pas raccourcis, ce qui donnera de la largeur à tout ce passage. On plane dans les hauteurs, ce qui convient tout à fait à la personne de l’Esprit-Saint, parfum très subtil et amour mutuel du Père et du Fils. On peut noter le seul Sib de la pièce, sur le mot quoque, qui apparaît au milieu d’une vocalise procédant uniquement par degrés conjoints, et qui apporte comme toujours sa nuance de tendresse. Quant au traitement mélodique de Spíritus, il est admirable. Formé de trois temps ternaires très nets mais aussi très liés, ce mot doit être chanté avec beaucoup d’ardeur et de legato. Il se pose en suspension, en une cadence en La très paisible, très douce.

La dernière phrase sera un peu plus large. Les deux intervalles de quarte qui l’inaugurent y invitent, sur quia. L’accent de fecit, avec son triple Do, est également bien souligné : on prend le temps de contempler l’action divine que l’on va nommer tout à la fin de la pièce. On peut remarquer aussi la formule mélodique de nobíscum, très semblable à celle de Spíritus dans la phrase précédente. Il faut prendre le temps de goûter ce nobíscum qui nous concerne, nous qui sommes les bénéficiaires de la miséricorde divine. Ce dernier mot, avec le petit adjectif possessif suam, conclut la pièce et une largeur bien chaude doit l’envelopper tout entier. On part piano, sur le Mi. La mélodie va évoluer entre le Mi et le Do. Elle est à la fois élancée, notamment grâce aux deux intervalles Fa-La et La-Do de la seconde syllabe ; et très tendre, et cela se vérifie surtout à partir de l’accent, avec la belle montée par degrés conjoints qui la suit. La cadence sur le La conduit à l’admirable formule de suam, si contemplative, si typique du mode de Mi qui ne s’arrête pas. Grâce à elle, on reste fixé sur cet attribut divin de la miséricorde qui émane de l’amour trinitaire chanté tout au long de la pièce.

Pour écouter cet offertoire :

un moine de Triors

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