L’adoration des anges réjouit la cité de Dieu

Publié le 20 Jan 2018
L'adoration des anges réjouit la cité de Dieu L'Homme Nouveau

Introït Adoráte Deum 
Adorate Deum omnes angeli eius audivit, et laetata est Sion et exsultaverunt filiae Iudae.
Ps. Dominus regnavit, exsulte

Thème spirituel : les anges, l’adoration, la louange féminine dans l’Église

Cet introït est tiré du psaume 96 (97 selon l’hébreu), versets 7 et 8 avec le début du psaume comme verset. Ce psaume faut partie d’un groupe de cantiques (de 93 à 100) célébrant le règne universel de Yahweh. Plusieurs de ces psaumes commencent par ces mots : Dóminus regnávit, le Seigneur a régné. Ce sont des psaumes de louange et on peut constater qu’il n’y a aucune demande dans cette formule qui sert ici de chant d’entrée. Ce psaume célèbre le triomphe du vrai Dieu sur les idoles et sa reconnaissance par tous les peuples, prophétie qui se vérifiera à plein avec le Christianisme. C’est donc un chant d’évangélisation. Et ce qui est remarquable de la part du compositeur, c’est qu’il a pris ce psaume non au début, mais qu’il est allé directement au verset qui invite la création à l’acte d’adoration. Belle intuition : toute évangélisation commence par la louange de Dieu, par l’adoration, par un acte intérieur d’où découle, comme d’une plénitude, l’acte extérieur de la mission. On ne donne que ce que l’on a et si l’on ne possède pas le Christ, on ne donnera pas grand chose.

Adorate

Le contexte liturgique de cet introït est celui de l’Épiphanie, celui des mages venus de loin adorer l’enfant-Dieu. C’est un chant destiné à reconnaître et la divinité et la royauté du Christ, par delà l’enveloppe de son humanité. Mais le psalmiste invite non les hommes mais les anges à l’adorer et c’est étonnant et très beau. À Noël, ce sont les anges qui invitent les hommes par leur cantique de louange devenu notre Glória in excélsis Deo :

« Il y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux champs et gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit. L’Ange du Seigneur se tint près d’eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté ; et ils furent saisis d’une grande crainte. Mais l’ange leur dit : Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche. Et soudain se joignit à l’ange une troupe nombreuse de l’armée céleste, qui louait Dieu, en disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance ! Et il advint, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, que les bergers se dirent entre eux : Allons jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître1. »

Les anges sont par excellence les annonciateurs, les évangélisateurs, les porteurs de bonne nouvelle. Ils renouvelleront leur office auprès des femmes le jour de la résurrection et auprès des disciples après l’Ascension. Mais ici, c’est l’Église, l’humanité rachetée, qui s’adresse aux anges et qui les invite à adorer. Nous sommes en possession de notre roi et pleins de fierté et de reconnaissance, nous nous adressons aux anges, ces êtres supérieurs à nous, comme pour leur dire : voyez quelle grâce Dieu nous a faite : il nous a donné un sauveur inférieur à vous selon sa nature humaine, mais combien supérieur à vous selon sa personne divine. Il fait de nous vos égaux et même vos supérieurs par notre participation à sa filiation unique. Nous avons un roi et vous devez l’adorer, courber la splendeur de votre être de lumière devant ce petit d’homme qui vous dépasse infiniment. Ce thème de l’adoration des anges devant le Verbe incarné est très traditionnel. La théologie précise que le péché de l’ange rebelle fut précisément un péché d’orgueil et un refus de se soumettre devant la perspective de l’Incarnation. Que Dieu se fasse homme, qu’il naisse d’une femme, fut insupportable à Lucifer et à ses suppôts. Là se trouve le motif de leur révolte. Par contre Michel et ses troupes angéliques se sont soumis avec un immense enthousiasme et saint Pierre n’hésite pas à dire que le mystère de l’incarnation rédemptrice fait le bonheur des bons anges.

« Sur ce salut ont porté les investigations et les recherches des prophètes, qui ont prophétisé sur la grâce à vous destinée. Ils ont cherché à découvrir quel temps et quelles circonstances avait en vue l’Esprit du Christ, qui était en eux, quand il attestait à l’avance les souffrances du Christ et les gloires qui les suivraient. Il leur fut révélé que ce n’était pas pour eux-mêmes, mais pour vous, qu’ils administraient ce message, que maintenant vous annoncent ceux qui vous prêchent l’Évangile, dans l’Esprit Saint envoyé du ciel, et sur lequel les anges se penchent avec convoitise2. »

Adorate Deum

L’adoration des anges réjouit la cité de Dieu, Sion, c’est-à-dire l’Église. À chaque fois que l’on voit mentionnée Sion ou Jérusalem dans un cantique de l’Ancien Testament, la pensée des pères et la liturgie chrétienne nous ont habitués à voir en elle trois réalités conjointes : l’Église, Marie et toute âme épouse du Christ. La Vierge Marie représente l’Église idéale, elle est, dans la plénitude de la grâce qui la définit, l’idéal de l’Église, et la toute première et totale réussite du salut. Elle est donc aussi un modèle achevé pour toute âme chrétienne. La mention de Sion dans ce beau chant d’adoration est une allusion discrète à l’attitude de Marie, en présence des anges, devant son enfant roi. L’adoration des anges réjouit Marie, elle fait son bonheur. On peut dire que Marie a été créée, a été ornée de tous les dons de la nature et de la grâce, pour cette joie éternelle : voir son Fils adoré par les anges, par toutes les créatures au ciel et sur la terre, voir son Fils reconnu à tout jamais comme roi de l’univers. Et l’Église participe à cette joie. Elle est l’épouse, la bien-aimée, celle pour l’amour de qui le Fils de Marie a versé tout son sang. C’est vrai de chaque âme, de toutes ces filles de Juda qui sont mentionnées dans ce bel introït. Au sens littéral historique, les filles de Juda ou de Sion, ce sont les villes qui sont groupées autour de Jérusalem. Mais au sens spirituel, ce sont les âmes, filles de la Mère Église, invitées par elle à la joie. On pense à la ronde des saints de Fra Angelico, cette peinture d’un autre monde où les anges et les saints se donnent la main dans une commune louange. C’est de cela que parle ce chant d’entrée. Retenons cette image poétique des filles qui dansent, parce qu’elle est suggestive. Il y a un lien entre la louange angélique et la louange féminine dans l’Église. Les femmes ne sont pas prêtres, elles ne sont pas revêtues du sacerdoce ministériel, elle reçoivent le don du salut, elles sont l’image terrestre la plus immédiate de l’humanité devant son Dieu. Elles nous disent, jusque dans leur être physique d’accueil par rapport à l’amour et à la vie, ce que nous sommes tous face à Dieu. Et ce don qu’elles reçoivent, que ce soit à travers la maternité physique ou la maternité spirituelle, elles le font fructifier, elles le mettent au monde, elles le personnalisent et elles l’éternisent. Les mystiques sont souvent des femmes. C’est qu’elles sont très réellement, et à tous les niveaux, préposées au sacerdoce de l’amour et de la vie. L’image de jeunes filles ou de jeunes femmes qui dansent est une image qui exprime la beauté de l’œuvre du salut, accueillie et restituée en louange, une image qui exprime la sécurité de l’amour, de la vie, de la joie, de la paix, une image de la grâce et de l’au-delà.

Commentaire musical

Alors disons un mot maintenant de cette mélodie qui enveloppe un si beau texte. Il s’agit d’un 7ème mode, mais étonnamment intérieur et recueilli. L’introït, écrit en clé de Do deuxième ligne, est composé de trois phrases musicales assez courtes, la première contenant le sommet mélodique de toute la pièce. L’ambitus de ce chant est correspond tout entier à celui du 7ème mode, avec une quinte Sol-Ré et une quarte supérieure Ré-Sol. Le Sol est atteint sur la seconde syllabe de ángeli.

Il y a beaucoup de douceur et de chaleur dans le mouvement un peu large de l’intonation qui commence de façon assez solennelle avec l’invitation faite aux anges. Remarquons la belle courbure du mot adoráte, puis la complaisance qui enveloppe le mot Deum, dont l’accent est muni d’un épisème chaleureux et élancé. La syllabe finale est très fluide, il s’agit d’un ornement musical, avant la cadence ferme, se reposant sur les deux notes Do et Si, la dernière en mouvement vers la suite. La suite, c’est la grande et belle montée mélodique sur les mots omnes ángeli. On a l’impression d’un coup d’aile qui nous hisse jusqu’au niveau des anges, pour recueillir le fruit de joie de leur adoration. Il ne faut pas mettre de force dans cette montée, mais au contraire beaucoup de douceur et d’admiration. Elle est large mais pas puissante. L’accent de ángeli est bien ferme, sur la distropha, et le Sol suivant, situé sur une syllabe faible, et pris au levé du rythme, doit être chanté de façon très douce et arrondie. La retombée sur ejus se fait par l’intermédiaire de trois grands intervalles : Fa-Do, Do-La et Do-Sol. Par sa courbure, la mélodie de omnes ángeli ejus correspond bien à l’invitation du début, adoráte. Les anges obéissent docilement à l’Église-Épouse.

La deuxième phrase est beaucoup plus restreinte au plan mélodique, l’essentiel se déroulant entre le La et le Do, avec une cadence sur le Sol (finale de audívit) et une montée jusqu’au Ré puis au Mi sur les deux premières syllabes de lætáta. Ce mot joyeux qui définit le sentiment de l’épouse, est bien mis en valeur, grâce à ces deux petits podatus bien nets, assez vifs, comme d’ailleurs tout le mouvement de cette seconde phrase : son faible ambitus permet de lui donner un élan joyeux qui la traverse depuis le début jusqu’à la fin, puisque la cadence de Sion est sur le Do, donc un peu suspendue, en tout cas très légère.

La troisième phrase est, elle aussi, assez légère, mais elle va progressivement s’élargir à mesure qu’on s’avance vers la cadence finale. Le petit passage syllabique qui l’inaugure, permet de garder le mouvement léger de la fin de la seconde phrase. Il y a de la joie contenue dans ces deux mots et exsultavérunt. Ce n’est qu’avec les deux derniers mots, fíliæ Judæ, que le mouvement s’étoffe au plan vocal, s’élargit au niveau du tempo, devient plus solennel. L’intervalle de quinte Ré-Sol, plongeant vers le grave, au tout début de cette incise, donne une belle ampleur à tout ce passage qui traduit la joie féminine de l’Église. La remontée par degrés conjoints, jusqu’au Do, est donc large, pleine, chaude, et les notes longues de Judæ très appuyées.

En résumé :

Un 7ème mode mais au mouvement un peu large, un peu ample, très doux.

Intonation douce et chaude. Accent bien soulevé de adoráte.

Complaisance enveloppante sur le mot Deum.

La courbe somptueuse de omnes ángeli est arrondie, douce, adorante, sans force vocale.

Deuxième phrase plus vive, plus joyeuse, plus sonore. On va vers l’accent de lætáta. Déposer la finale sans ralentissement.

La troisième phrase commence légèrement mais s’élargit et s’amplifie sur fíliæ Judæ.

Verset vif et joyeux.

Note de départ conseillée :     Do ou Ré

Pour écouter l‘Introït, cliquez ici

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