Le complotisme est-il un mal répandu ? Le père Pascal Ide, prêtre, philosophe, théologien et médecin tente, dans un livre qui vient de paraître, intitulé Complotisme et anticomplotisme, d’analyser et proposer des solutions à ce qu’il appelle une « blessure de l’intelligence ».
| Quelle est l’ampleur du phénomène complotiste aujourd’hui et pourquoi vous êtes-vous attaqué au sujet ?
L’ampleur du phénomène complotiste est effrayante. Pour ne donner que quelques chiffres, en mars 2022, plus d’un tiers des sondés auxquels on a demandé s’ils croyaient aux théories du complot, a répondu par l’affirmative. Un chiffre qui monte à 41 chez les 18-34 ans. Ce phénomène est bien entendu amplifié par les réseaux sociaux et les communautés qui s’y forment. C’est avec un souci pastoral que je me suis intéressé à ce sujet. Je souhaitais éclairer un phénomène problématique de société et aider les personnes de bonne volonté à mieux comprendre et sortir de cette tendance qui est souvent abordée avec jugement. Accueillir et discerner : voilà les mots clefs de ma démarche.
| Quels peuvent être les effets pervers du complotisme, pour les personnes qui souffrent de cette blessure de l’intelligence, et pour leur entourage ?
J’ai voulu aborder le complotisme sous l’angle des blessures de l’intelligence, concept auquel je tiens beaucoup. En effet, on connaît les blessures affectives qui sont faciles à cerner et à ressentir car elles sont douloureuses. Les blessures de l’intelligence, elles, sont indolores. On ne les repère pas : nous sommes ignorants de nos ignorances. Le complotisme obscurcit l’intelligence en offrant une explication simple mais trompeuse du mal. Cette blessure de l’intelligence s’accompagne aussi de mécanismes affectifs liés à des peurs démesurées, à la haine ou à l’amertume qui est le sentiment le plus toxique. Ces processus sont fabricateurs de systèmes. Par exemple, quelqu’un qui a été blessé par un prêtre peut en venir à construire toute une théorie contre l’Église. Habités par le ressentiment, nous sommes plus tentés de diaboliser un groupe, une institution, une puissance occulte. Une personne me confiait que sa femme adhérait à des thèses complotistes qui la poussaient à passer des heures tous les jours sur Internet pour chercher toutes les informations corroborant ces thèses : le complotisme est chronophage et enfermant. Il faut ajouter également un mécanisme volontaire : une tendance à accuser, à nous déresponsabiliser et à adopter une posture manichéenne en désignant un…