Le concile Vatican II et la crise doctrinale

Publié le 15 Juin 2016
Le concile Vatican II et la crise doctrinale L'Homme Nouveau

Le Colloque « Concile Vatican II et crise doctrinale : Rome et les Églises nationales (1966-1967) Â», qui s’est tenu à Lyon, à l’Institut des Sciences de l’Homme, les 12-13 mai a établi un bilan provisoire sur cette question capitale grâce à un document ecclésial inestimable. En effet, une lettre du cardinal Ottaviani datant de 1966 et les réactions qu’elle suscita donnent un nouvel éclairage sur la réception du Concile à travers le monde.

En 1966, il y a cinquante ans, le cardinal Alfredo Ottaviani, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, adressa une lettre datée du 24 juillet aux présidents des Conférences épiscopales et aux Supérieurs des Congrégations religieuses. Huit mois après la clôture de Vatican II, il regrettait « des nouvelles alarmantes au sujet d’abus grandissants dans l’interprétation de la doctrine du Concile Â» et déplorait l’apparition « d’opinions étranges et audacieuses (…) qui troublent grandement l’esprit d’un grand nombre de fidèles Â». Le cardinal spécifiait qu’il s’agissait « de jugements qui, dépassant facilement les limites de la simple opinion ou de l’hypothèse, semblent affecter d’une certaine manière le dogme lui-même et les fondements de la foi Â». Il donnait dix exemples de ces « opinions et de ces erreurs Â», et demandait aux Ordinaires des lieux de s’efforcer de les enrayer ou de les prévenir et « d’en traiter et d’en faire rapport au Saint-Siège Â».

L’esprit de la Curie romaine

Cette lettre méritait d’être étudiée en profondeur par les historiens car elle permet d’appréhender l’esprit de la Curie romaine après la clôture du Concile, mais aussi, à travers les débats qu’elle suscita et les réponses qui furent faites, de connaître la première réception de Vatican II par les épiscopats, par les congrégations religieuses, par les organisations catholiques, la presse, les intellectuels et l’opinion publique. Ainsi, les 12 et 13 mai derniers un colloque international organisé par le Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes réunit, à l’Institut des Sciences de l’Homme de Lyon, des universitaires de plusieurs pays (Allemagne, Argentine, Belgique, Canada, Espagne, France, Hongrie, Italie, Suisse, Vatican) afin d’étudier cette lettre et sa réception, de même que les réponses qui ont été envoyées à la Congrégation pour la doctrine de la foi.

Les travaux des historiens ont montré que la réponse à apporter à la lettre du cardinal Ottaviani fut prise au sérieux par les groupes interrogés, même si certains n’apprécièrent pas la tonalité du document, notamment la Conférence épiscopale française qui déplora « le caractère pénible Â» de même que « l’accent négatif Â» de la lettre. D’autres en rejetèrent le caractère alarmiste et minimisèrent les erreurs mentionnées par le cardinal Ottaviani, quand ils n’en nièrent pas l’existence. Ainsi, la Conférence épiscopale espagnole ne reconnut pas la présence des erreurs indiquées en Espagne, tandis que la Conférence épiscopale italienne dénonça des excès dans la réception de Vatican II tout en ne partageant pas le pessimisme de la Congrégation. Les travaux menés par les historiens à l’occasion de ce colloque tendent à laisser croire qu’en Europe occidentale et en Amérique on admettait des difficultés doctrina­les sans croire qu’il y ait un problème grave, tandis qu’en Afrique et en Asie on ne s’estimait pas touché par les opinions et les erreurs mentionnées par le cardinal Ottaviani.

Une crise ignorée

Dans l’ensemble, les épiscopats ne partageaient donc pas les craintes de la Curie. La crise doctrinale postconciliaire que percevaient déjà Paul VI et le cardinal Ottaviani n’était pas encore saisie par la majorité des évêques et des supérieurs de Congrégations, sauf par les plus conservateurs qui partageaient les craintes vaticanes. La réponse la plus pessimiste fut probablement celle de Mgr Lefebvre qui répondit en tant que Supérieur de la Congrégation du Saint-Esprit. Le « mal actuel Â» lui paraissait « beaucoup plus grave que la négation ou mise en doute d’une vérité de notre foi Â» et il n’était, selon lui, « que la continuation logique des hérésies et erreurs qui minent l’Église depuis les derniers siècles Â».

La lettre du cardinal Ottaviani et les réponses qui ont été faites continuent, en quelque sorte, la discussion théologique et ecclésiale commencée à Vatican II, et ce colloque a permis d’établir un premier bilan qui ne peut être que provisoire car il reste un grand nombre de pays à étudier et plusieurs points à éclaircir. Tant que les archives ne seront pas toutes disponibles, notamment celles de la Congrégation pour la doctrine de la foi, les historiens ne pourront pas faire une synthèse des différentes réponses envoyées au cardinal Ottaviani ni tirer des conclusions générales sérieuses et définitives sur cette lettre, sa construction et ses objectifs.

Philippe Roy-Lysencourt est docteur en Histoire et en Sciences des religions, chargé de cours en Histoire du christianisme à l’université Laval (Canada) et chargé de recherches du Fonds national de la Recherche Scientifique belge.

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