L’évangile du quatrième dimanche de l’Avent commenté par le Pape lors de l’angélus du 18 décembre dernier nous présentait la scène bien connue du doute de saint Joseph. Ce dernier, s’apercevant que son épouse Marie était enceinte, « avant qu’ils aient vécu ensemble », s’inquiète, plutôt que se trouble, de la conduite à tenir. Quelle est la nature de ce trouble ou de cette inquiétude ? Je pense qu’il faut d’abord exclure la solution de l’adultère, hélas trop prônée par nos exégètes contemporains, mais déjà énoncée par saint Bonaventure. Le pape François ne l’écarte pas en disant que saint Joseph a pu « ressentir désarroi, douleur, perplexité, peut-être même irritation et déception ». Une telle pensée serait à mon humble avis faire injure à la pureté de Marie. Saint Joseph ne pouvait aucunement penser cela de son épouse qu’il vénérait. La solution nous semble plutôt offerte par saint Jérôme : c’est là un témoignage que saint Joseph qui connaissait sa chasteté et admirait ce qui était arrivé en elle, pensait l’éloigner en silence pour respecter le mystère qu’il ignorait. On pourrait même aller un peu plus loin que saint Jérôme.
Le mystère de la Visitation éclaire le doute de saint Joseph, dans la même ligne que celle de saint Jérôme. Joseph ne douta jamais de la virginité perpétuelle de son épouse, elle qui venait d’être appelée par sa cousine « Bénie entre toutes les femmes ». En conséquence, il n’a jamais douté que le Fils conçu en Marie était le « Fils du Très Haut ». L’évangéliste, autrement, ne l’aurait jamais appelé « Juste ». Il existe en effet une constance dans la Bible : chaque fois qu’une personne importante a péché, cela est mentionné explicitement. C’est vrai dans le cas de Moïse, de David, de Simon Pierre, de Thomas etc. Quand saint Matthieu appelle Joseph « juste », il entend bien donner à ce mot tout ce qu’il contenait dans la spiritualité juive.
Le doute de Joseph portait en fait sur deux points, et c’est ici que nous allons peut-être un peu plus loin que saint Jérôme. Tout d’abord son angoisse – plutôt que son doute, car saint Joseph n’a jamais douté de la virginité de Marie, ni que l’enfant soit le Messie né de Dieu –, portait sur le fait de savoir s’il pouvait continuer à garder Marie pour épouse. Deux raisons semblaient devoir s’y opposer. Tout d’abord, pouvait-il en stricte justice faire croire à son entourage que l’enfant était de lui : « afin qu’on puisse penser qu’il était le fils de Joseph » ? Et d’autre part, pouvait-il, également au nom de la justice, exercer un droit de paternité humaine à l’égard de cet enfant qui allait naître et dont l’identité demeurait certaine pour lui : il était bien le Messie. Son humilité et sa sainteté – toujours de paire avec la justice, dans la ligne vétéro testamentaire –, ne pouvaient à ses yeux le supporter. Mais le juste Joseph se confia en Dieu, pria comme un pauvre du Seigneur. Dieu gardant le silence, il songea alors à répudier Marie, dans le secret, respectant tout à la fois le silence de Dieu et le mystère ineffable qu’il adorait en Marie. Il s’en remettait à la divine Providence pour l’avenir de sa si chaste épouse, dont il se jugeait désormais indigne. Saint Joseph s’effaçait ainsi devant Dieu qui éprouvait sa foi, comme jadis il l’avait fait pour Abraham. N’ayant point chuté, mais ayant cru « dans l’espérance contre toute espérance », sans pour autant recourir à une intervention de Marie elle-même qui aurait dévoilé à Joseph son secret, il mérite alors d’être consolé par l’ange et de devenir le père virginal de Jésus, dans la foi. Il nous donne en cela une admirable leçon de confiance et d’abandon en Dieu.