Le Pape invite à partir à la pêche aux âmes

Publié le 17 Sep 2017
Le Pape invite à partir à la pêche aux âmes L'Homme Nouveau

Sur les traces de Paul VI et de Jean-Paul II, le Pape François vient d’accomplir un voyage apostolique en Colombie, « ce très beau pays » dit-il, avec pour thème les liens entre la paix et la vie (notamment dans son homélie du 7 septembre à Bogota), ce qui avait été le sujet du message de Paul VI pour l’année 1977 : « Si tu veux la paix, respecte la vie ». Dans ce pays d’Amérique latine où la foi a donné son nom à la capitale – Santa Fe de Bogota –, les contrastes sont particulièrement impressionnants, tant la paix et la vie se trouvent gravement menacées par la guérilla alimentée par la théologie de la libération d’une part, et par le trafic des armes et des narcotiques d’autre part. Or la paix est possible, même là, avec la grâce divine. Mais pour cela on doit toujours revenir à l’Évangile et particulièrement à l’appel des premiers disciples sur le lac de Génésareth. Alors, la mission s’avérait déjà immense, tant les foules se pressaient autour de Jésus pour être réconfortées, illuminées et orientées. Génésareth, c’est le symbole de la vie difficile des pêcheurs qui connaissent la fatigue des longues journées et de longues nuits parfois totalement infructueuses. Et les pêcheurs d’hommes ne seront pas mieux lotis. La mer pour les anciens était le symbole du mal, car elle est le lieu où se confrontent la fécondité du travail et en même temps la frustration d’efforts vains, dispendieux et finalement sans guère d’utilité, du moins aux yeux des hommes. Il en va de même pour l’évangélisation. Saint Paul le notait : « J’ai planté, Apollos a arrosé, mais c’est Dieu qui donne la croissance ». La mer est donc le lieu de prédilection pour symboliser la lutte qui de nos jours devient apocalyptique entre le bien et le mal. Elle est aussi le symbole de l’immensité du monde dans lequel se rassemblent tant de peuples divers. Et la mer sert alors pour définir par analogie la multitude : une « marée » humaine, une « mer » de peuples.

La parole de Jésus

Près du lac de Génésareth, lieu de prédilection pour annoncer l’Évangile, Jésus prêchait depuis la barque de saint Pierre. Sa parole juste, profonde et sécurisante touchait les foules. Un point très important est à noter ici : Jésus ne laisse jamais indifférent. Sa parole bouscule car les voies de Dieu ne sont pas celles des hommes et elles contrarient souvent. On peut lui répondre avec enthousiasme, mais on peut aussi lui être hostile, comme on le voit particulièrement dans le quatrième Évangile avec la longue lutte qui oppose Jésus et les Pharisiens. Jamais donc la parole de Jésus ne laisse indifférent. Il le dira lui-même dans l’Apocalypse : « Les tièdes, je les vomis de ma bouche ». Mais l’Évangile touche toujours. Tous nous attendons de Jésus une parole qui illuminera et transformera notre vie, une parole qui, semée dans la terre de notre cœur, mourra en un premier temps, pour porter ensuite beaucoup de fruits.

Comme au temps de Jésus, le combat contre les ténèbres s’avère décisif. Les menaces contre la vie par une culture de mort sans frein demeurent terribles. La corruption des cœurs, la société de consommation et les divers lobbies suppriment la vie de tant d’innocents dont le sang crie vengeance vers le ciel. Les machinations diaboliques qui investissent l’humanité peuvent donc faire trembler. Comme les Apôtres, les hommes contemporains se trouvent dans des situations quelquefois très difficiles et les échecs évangéliques semblent fréquents. Mais Jésus et sa Mère sont là et ils nous invitent à prendre le large. Comme Pierre jetons alors nos filets sans se soucier du lendemain. Dieu, Maître de la moisson, y pourvoira.

L’homélie du Pape à Bogota

L’Évangéliste rappelle que l’appel des premiers disciples eut lieu sur les rives du lac de Génésareth, là où les gens se rassemblaient pour écouter une voix capable de les orienter et de les éclairer ; c’est aussi le lieu où les pêcheurs finissent leurs fatigantes journées durant lesquelles ils cherchent la subsistance pour mener une vie digne et heureuse. C’est la seule fois, dans tout l’Évangile de Luc, où Jésus prêche près de la mer dite de Galilée. Sur la mer ouverte, s’entremêlent l’espérance d’un travail fécond et la frustration due à l’inutilité des efforts vains. Et selon une ancienne interprétation chrétienne, la mer représente aussi l’immensité où cohabitent tous les peuples. Enfin, par son agitation et son obscurité, elle évoque tout ce qui menace l’existence humaine et qui a le pouvoir de la détruire.

Pour définir les multitudes, nous utilisons des expressions comme celles-ci : une marée humaine, une mer de gens. Ce jour-là, Jésus a derrière lui la mer, et, devant lui, une multitude qui l’a suivi parce qu’elle connaît son émotion devant la souffrance humaine… et ses paroles justes, profondes, appropriées. Ils viennent tous l’écouter ; la Parole de Jésus a quelque chose de spécial qui ne laisse personne indifférent. Sa Parole a le pouvoir de convertir les cœurs, de changer les plans et les projets. Elle est une Parole confirmée par les actes, elle n’est pas une conclusion de bureau, d’accords froids et éloignés de la souffrance des gens ; c’est pourquoi elle est une parole qui sert autant à la sécurité du rivage qu’à la fragilité de la mer.

En attente d’une parole de vie

Cette chère ville, Bogota, et ce merveilleux pays, la Colombie, ressemblent beaucoup à ces décors humains présentés dans l’Évangile. Il y a ici des multitudes qui attendent une parole de vie qui illumine de sa clarté tous les efforts et qui montre le sens et la beauté de l’existence humaine. Ces multitudes d’hommes et de femmes, d’enfants et de personnes âgées, habitent une terre d’une inimaginable fécondité qui pourrait donner du fruit pour tous. Mais ici aussi, comme en d’autres lieux, il y a d’épaisses ténèbres qui menacent et détruisent la vie : les ténèbres de l’injustice et de l’inégalité sociale ; les ténèbres corruptrices des intérêts d’individus ou de groupes qui consomment de manière égoïste et démesurée ce qui est destiné au bien-être de tous ; les ténèbres de l’irrespect envers la vie humaine qui fauche quotidiennement l’existence de tant d’innocents dont le sang crie vers le ciel ; les ténèbres de la soif de vengeance et de la haine qui tache de sang humain les mains de ceux qui se rendent justice eux-mêmes ; les ténèbres de ceux qui deviennent insensibles face à la souffrance de tant de victimes. Jésus dissipe et détruit toutes ces ténèbres par son ordre dans la barque de Pierre: « Avance au large » (Lc 5, 4).

Nous pouvons nous perdre dans des discussions interminables, accumuler des tentatives manquées, et faire une liste d’efforts qui n’ont rien donné ; mais de même que Pierre, nous savons ce que signifie l’expérience de travailler sans aucun résultat. Cette nation en sait quelque chose, quand, sur une période de six ans, en ce temps-là, à ses débuts, elle a eu 16 présidents et a payé cher ses divisions (« la patrie stupide »). L’Église de Colombie aussi a l’expérience de travaux pastoraux vains et infructueux…, mais, comme Pierre, nous sommes aussi capables de nous en remettre au Maître dont la Parole suscite la fécondité même là où l’inhospitalité des ténèbres humaines rend infructueux beaucoup d’efforts et de fatigues. Pierre est l’homme qui accueille résolument l’invitation de Jésus, qui laisse tout et le suit, pour devenir un nouveau pêcheur dont la mission consiste à porter à ses frères le Royaume de Dieu où la vie est pleine et heureuse.

Aller au large

Mais la demande de jeter les filets n’est pas adressée seulement à Simon Pierre ; il lui a été demandé d’aller au large, comme ceux qui, dans votre patrie, ont vu en premier ce qui presse le plus ; ceux qui ont pris des initiatives de paix, de vie. Jeter les filets entraîne une responsabilité. À Bogota et en Colombie pérégrine une immense communauté qui est appelée à devenir un solide filet qui rassemble tout le monde dans l’unité, en travaillant à la défense et à la sauvegarde de la vie humaine, en particulier quand elle est plus fragile et vulnérable : dans le sein maternel, dans l’enfance, dans la vieillesse, dans les conditions de handicap et dans des situations de marginalisation sociale. Les multitudes qui vivent à Bogota et en Colombie peuvent aussi devenir de vraies communautés vivantes, justes et fraternelles si elles écoutent et accueillent la parole de Dieu. Dans ces multitudes évangélisées surgiront beaucoup d’hommes et de femmes devenus disciples qui, d’un cœur vraiment libre, suivront Jésus ; des hommes et des femmes capables d’aimer la vie en toutes ses étapes, de la respecter et de la promouvoir.

Et comme les Apôtres, nous devons nous appeler les uns les autres, nous faire signe, comme les pêcheurs, recommencer à nous considérer comme des frères, des compagnons de route, des membres de cette entreprise commune qu’est la patrie. Bogota et la Colombie sont, en même temps, rivage, lac, mer ouverte, ville où Jésus est passé et passe pour offrir sa présence et sa Parole féconde, pour nous tirer des ténèbres et nous porter à la lumière et à la vie. Appeler les autres, tous les autres, pour que personne ne dépende de l’arbitraire des tempêtes ; faire monter sur la barque toutes les familles, elles sont des sanctuaires de vie ; faire place au bien commun qui est au-dessus des intérêts mesquins ou particuliers, porter les plus fragiles en promouvant leurs droits.

Pierre fait l’expérience de sa petitesse, il fait l’expérience de l’immensité de la Parole et de l’action de Jésus ; Pierre connaît ses fragilités, ses hésitations…, comme nous connaissons également les nôtres, comme les connaît l’histoire de violence et de division de votre peuple qui ne nous a pas toujours trouvés partageant la barque, la tempête, les malheurs. Mais comme Simon, Jésus nous invite à aller au large, il nous pousse au risque partagé ; n’ayez pas peur de prendre des risques ensemble, il nous invite à laisser nos égoïsmes et à le suivre ; à nous défaire des peurs qui ne viennent pas de Dieu, qui nous immobilisent et qui retardent l’urgence d’être des constructeurs de la paix, des promoteurs de la vie. Va au large, dit Jésus. Et les disciples se sont fait signe pour se mettre ensemble dans la barque. Qu’il en soit ainsi pour ce peuple !

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