La question de la mixité sociale à l’école est l’une des priorités du ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye. Michel Valadier, directeur de la Fondation pour l’Ecole, livre son opinion sur le sujet.
Le nivellement par le bas de la grande majorité des écoles publiques fait fuir vers le privé les familles qui peuvent assumer les scolarités demandées. Mais ce mouvement ne s’arrête pas là puisque de plus en plus de familles quittent le système, public ou privé sous contrat avec l’Etat, pour rejoindre – voire fonder – des écoles indépendantes dites hors-contrat.
Plus de 120 écoles créées cette année et 2500 établissements, en comptant l’enseignement professionnel. Le phénomène augmente de façon exponentielle puisque 100 000 élèves environ sont scolarisés dans ces écoles en 2022 contre 50 000 il y a 10 ans.
Sans vouloir s’attaquer aux causes de ce phénomène, le ministre Pap Ndiaye veut mieux répartir les élèves des catégories sociales dites « défavorisées », c’est-à-dire agir sur les effets, en s’appuyant sur l’indice de positionnement social (IPS) des élèves de collège et de CM2 qui permet de déterminer le statut social des élèves à partir des professions et catégories sociales (PCS) de leurs parents.
L’IPS, comme la plupart des indices de l’administration étatique, a été créé par des professionnels de l’algorithme mathématique. Son mode de calcul, qui comporte des critères quantitatifs mais aussi qualitatifs, est aussi absurde qu’intrusif. Un agriculteur est, par exemple, moins bien « noté » qu’un ingénieur et la prise en compte de l’environnement familial laisse songeur : nombre de livres dans le foyer, nombres d’écrans, aspirations professionnelles de l’enfant, sujets de conversations familiaux, etc.
L’IPS n’était pas diffusé jusqu’ici afin de ne pas encourager le contournement de la carte scolaire. Cette fameuse carte qui assigne en théorie aux familles, l’école de leurs enfants en fonction de leur domicile. Le ministère préfère aujourd’hui prendre ce risque pour justifier la mise en place de mesures fortes et prévoit d’y « associer » l’Enseignement catholique en lui imposer des « quotas ».
Quelles sont ses mesures ? Des expérimentations ont eu lieu à Paris depuis 2017. Elles consistaient à mixer autoritairement les populations par binôme de collèges publics. Les résultats sont qualifiés « d’encourageants » et le ministre a même affirmé qu’ils étaient « bons ». Ce type de brassage devrait donc être systématisé.
Pourtant, le dernier rapport disponible ne dit presque rien de certains effets secondaires, notamment des conséquences sur le niveau général de l’hétérogénéité des classes : si le niveau des élèves moins favorisés a progressé en valeur relative, quid de celui des élèves issus des collèges de meilleur niveau ?
Rien n’est dit non plus sur les questions de discipline, alors que ce sujet est central pour les conditions d’apprentissage, la transmission des savoirs et le développement de la vie sociale des élèves. Quand un professeur vous dit qu’il fait 15’ à 20’ de cours maximum par heure de présence dans la classe, cela explique certaines choses…
Par ailleurs, nombreux sont les parents qui cherchent l’établissement qui permettra à leurs enfants de sortir du déterminisme des quartiers où ils vivent et cherchent des relations amicales choisies.
La fuite vers le privé des familles refusant de vivre cette expérience est également peu documentée et rien n’est dit sur le comportement des parents des écoles élémentaires alentours, alors qu’il serait possible de mesurer si le nombre de départs vers le privé augmente ou non à la sortie du CM2.
Sans nous étendre sur les causes profondes de cette situation, il est impossible de passer sous silence l’échec de l’assimilation et l’incapacité de « l’école de la république » à donner à chacun, quel que soit son milieu d’origine, un socle fondamental pour conduire chaque élève à devenir ce qu’il est.
Mettre en place des « quotas » qui seront appelés pourcentages pour ne pas effrayer ne changera rien ; ce sont les familles qui in fine réagiront.
Nous pensons donc que le ministre se trompe et pouvons prédire que cette approche est vouée à l’échec. Pour autant, n’y-a-t-il rien à faire ?
Pour essayer d’avancer, il peut être intéressant de revenir à la vocation originelle de l’École : quelles sont les conditions pour qu’un collège – une école – réalise ce pour quoi il est fait ?
Une école est un lieu où des professeurs enseignent à des enfants par un acte de transmission, confiés à l’institution par leurs parents, sous la conduite d’un directeur qui veille à la réalisation de ce bien commun.
Les parents demandent que leurs enfants apprennent à lire, écrire et compter correctement. Puis à rédiger, s’exprimer, se familiariser avec les abstractions et développer leur esprit critique ; le tout dans un cadre préservé.
Pour cela, il convient d’avoir des professeurs compétents et professionnels, capables de transmettre et de s’intéresser à leurs élèves. Les sondages montrent qu’un grand nombre de français font confiance aux professeurs.
Enfin, il faut un chef d’établissement pour diriger tout cela. C’est-à-dire qui ait le pouvoir de décider ce qui est bon pour son collège, dans le respect de la mission de l’école, qui est de transmettre et de faire grandir tous les élèves, chaque élève et tout l’élève.
Diriger, cela veut dire pouvoir embaucher les professeurs, le personnel éducatif et administratif. Mais aussi pouvoir s’en séparer. Ce qui revient à leur donner la responsabilité hiérarchique du personnel (administrative et pédagogique), responsabilité qu’il peut déléguer à ses adjoints.
Diriger, cela veut dire avoir une vision pour la communauté éducative, une ambition qui permet de fixer des objectifs. Cela veut dire pouvoir reconnaitre les progrès accomplis et accompagner le personnel dans ses difficultés.
Diriger au service des familles, cela veut dire créer un lien indispensable avec les parents, qui doivent rester les premiers éducateurs de leurs enfants.
Diriger, cela veut dire pouvoir renvoyer les élèves qui posent de graves problèmes de comportement. Et pour cela créer par zone un établissement spécialisé dont la mission serait de donner une seconde chance à ces élèves, dans un cadre strict et plus adapté.
Diriger enfin, cela veut dire donner les moyens matériels, les dépenses étant contrôlées par l’instance ad hoc.
En résumé, ceci n’est que l’application d’un principe simple à énoncer, efficace en toute circonstance, mais délicat à mettre en œuvre : le principe de subsidiarité. L’application de ce principe dans les écoles permettrait de connaitre ce que nous voulons tous : un authentique renouveau éducatif au service des familles et du pays.
L’école, publique ou privée, n’a pas besoin de gestionnaires, mais de chefs à qui l’on donne le pouvoir d’assumer la responsabilité des décisions sur le terrain ; des chefs qui annoncent les règles du jeu aux parents et les font respecter en soutenant leurs professeurs ; des chefs qui exigent des élèves une tenue et un comportement irréprochables tous les matins en les accueillant et durant tous les cours de la journée.
Enfin, des chefs qui favoriseront des méthodes pédagogiques éprouvées pour transmettre les fondamentaux aux élèves, leur permettre de grandir et de se structurer ; bref une école qui transmette. Ceux qui s’éloigneraient de cette ligne seraient immédiatement sanctionnés par les familles, qui mettraient leurs enfants dans une autre école, publique ou privé.
A cette condition l’école publique sera capable de donner envie aux familles d’y inscrire leurs enfants et dans une certaine mesure de permettre l’assimilation des jeunes issus de cultures différentes.
A une échelle modeste certes, mais significative, cette façon de faire existe déjà en France et fonctionne dans la plupart des écoles indépendantes, dites hors-contrat. Ces écoles, dont les projets pédagogiques sont extrêmement variés, accueillent des enfants de toute condition. Elles sont libres de conserver des méthodes éprouvées, d’expérimenter des pédagogies innovantes ou d’allier les deux ; libres de leur recrutement. Les écoles indépendantes répondent aux besoins des familles et des territoires.
Et il est regrettable que l’État, loin de proposer aux écoles indépendantes un cadre propice à leur développement, leur mette au contraire des bâtons dans les roues, par des inspections à charge, par des inégalités de traitement aux examens d’Etat et par le refus, jusqu’à présent, d’étudier la possibilité d’un statut d’école conventionnée qui leur permettrait justement d’accueillir davantage d’enfants et offriraient aux parents une vraie liberté de choisir le type d’instruction qu’ils souhaitent donner à leur enfant.
C’est pourquoi, il faut nous réjouir que les sénateurs Brisson et Retailleau aient fait voter par le Sénat le 11 avril dernier une proposition de loi qui donne enfin aux chefs d’établissement les pouvoirs ad hoc. L’Assemblée nationale va-t-elle reprendre cette proposition ? Le bon sens et le pragmatisme vont-ils l’emporter sur l’idéologie ?
Nous ne pouvons que l’espérer car cette proposition de loi s’attaque à la principale cause du problème ; mais nous savons hélas que Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes !
A lire également : De l’importance de la dictée