L’éditorial du Père Danziec | Le sourire est une force, c’est une maîtrise de soi qui transcende passions et contrariétés par une bonne humeur conquérante et imperturbable.
Pour Théophile Gauthier, « Le hasard n’est que le pseudonyme de Dieu lorsqu’il refuse de laisser son nom. » Par un heureux concours de circonstances, je me retrouvais il y a peu, durant quelques jours, dans l’enceinte même du séminaire où, il y a vingt ans, j’effectuais ma formation sacerdotale. Ce hasard de la Providence avait valeur de cure de jouvence.
Tel Marcel retrouvant le château de sa mère, je regoûtais à la gloire de mon Père. Une gloire toute céleste, à son image. Faite de silence, de calme, d’étude et de recueillement, de vie d’office [1] et de vue de haut, de distance sur l’actualité pour mieux se concentrer sur l’Essentiel : Lui. L’Unique Nécessaire. Des laudes aux complies, des récréations parlées aux récitations du chapelet, de la mise en place du couvert aux déambulations dans le jardin, des jeunes lévites déployaient donc sous mes yeux ce que j’avais vécu avant eux et que d’autres avant moi avaient accompli.
Mais ce que je réalisais surtout – et je me surpris moi-même de le réaliser si vivement, j’oserais dire de m’en rendre compte « à l’intime » – ce fut le sourire de ces séminaristes. Sans doute les affres du monde et les tracas attachés à une vie dans le siècle déteignent sur la vie apostolique et paroissiale, et sur le pasteur lui-même. L’ordinaire vision des hommes, des femmes ou des adolescents dans le métro, dans la rue ou au sortir des établissements scolaires crée malgré soi des manières habituelles de considérer la nature humaine.
Néanmoins, il y avait une force dans ces visages souriants. Un naturel et une certaine grâce. Un mélange de distinction et de simplicité. Un goût d’ailleurs ou d’au-delà, celui d’une terre étrangère que l’on voudrait avoir à domicile. Au détour d’une porte ou d’un couloir, à l’entrée de la sacristie ou à la sortie de la salle de vaisselle, le silence étant le plus souvent de mise, c’est le sourire qui tenait lieu de langage parmi ces séminaristes.
L’impact du scoutisme
La récente et documentée enquête publiée par l’Ifop sur l’impact social du scoutisme participe de ce même constat. De façon inédite, étaient mis en valeur les bienfaits de la pédagogie de Baden-Powell. À l’article 8 de la Loi scoute, on lit : « Le scout est maître de soi. Il sourit et chante dans les difficultés. » Ainsi est établi que la maîtrise de soi, c’est-à-dire celle de ses passions comme de ses contrariétés, peut être avantageusement transcendée par une bonne humeur conquérante et imperturbable.
Le sourire offert, c’est autant le remontant de la persévérance, la manifestation de la bonté, l’étincelle de l’enthousiasme que le soutien précieux de la paix intérieure. Surtout il garantit une porte de sortie aux impasses des amertumes de l’existence. Pour Guy de Larigaudie, le scout à l’état pur, il est un précieux moyen pour se créer une âme amicale.
« Tu veux faire à un camarade une critique que tu juges nécessaire, lui donner un conseil que tu crois utile. Critique, conseil, choses dures à avaler. Mais souris, compense la dureté des mots par l’affection de ton regard, le rire de tes lèvres, par toute ta physionomie joyeuse. (…) Il est malaisé parfois de trouver le mot juste, l’attitude vraie, le geste approprié. Mais sourire ! C’est si facile… et cela arrange tant de choses. Pourquoi ne pas user et abuser de ce moyen si simple. » [2]
À l’heure où l’Église est secouée par de nombreuses interrogations, où la France s’enfonce dans une instabilité politique méconnue jusqu’alors de la plupart de ses citoyens, à la croisée de bouleversements numériques, civilisationnels et humanitaires, une double tentation se présente sous les yeux des catholiques de conviction. D’abord celle de faire l’autruche, en refusant de voir ce que l’on voit pour mieux s’accommoder du présent, fût-il consternant. Ensuite celle, pour rester dans le domaine des volatiles, qui consiste à faire son Calimero en s’exclamant dès le premier obstacle ou la première opposition : « C’est vraiment trop inzuste ! »
« Ni aveugle ni grincheux, le chrétien de 2024 doit mener son âme de façon semblable à celle des premiers chrétiens. »
À l’ombre de l’Évangile et de la Croix
Ni aveugle ni grincheux, le chrétien de 2024 doit mener son âme de façon semblable à celle des premiers chrétiens, à l’école du même Évangile et à l’ombre de la même Croix. Le premier est civilisateur, la seconde est rédemptrice. Porteurs de sourires dans un monde blafard, semeurs de joies à la face de plaisirs tristes, ne nous laissons pas voler l’incomparable bonheur d’être des enfants de la lumière (Jn 1, 4).
Faisons nôtre cette précieuse recommandation de l’abbé Courtois : « N’aie dans ton esprit que des pensées aimantes, dans tes yeux que des lueurs de bonté, sur tes lèvres que des paroles de charité, dans ton cœur que des sentiments d’amitié, dans ta volonté que des vouloirs de bienveillance. » [3] Un sourire pour sauver le monde en somme.
[1] La « vie d’office » correspond au chant commun des heures du bréviaire dans la chapelle du séminaire : laudes, sexte, vêpres…
[2] Guy de Larigaudie, Étoile au grand large, Éditions Points, 2021.
[3] Abbé Gaston Courtois, Quand le Seigneur parle au cœur, Médiaspaul, 2005.
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