L’économie aussi est une question de valeur morale

Publié le 15 Fév 2012
L'économie aussi est une question de valeur morale L'Homme Nouveau

Certains se réjouissent que la campagne électorale prenne le chemin d’une discussion sur les « valeurs » plutôt que sur l’économie, considérée comme étant un sujet uniquement « technique », sans grande valeur ajoutée de la part des candidats, lesquels n’auraient qu’une étroite marge de manœuvre. Il est vrai que la proposition du candidat Hollande, maquillage léger en faveur de l’euthanasie, conforte une telle perception. Le discours de Claude Guéant sur la supériorité de certaines civilisations va aussi dans ce sens, sans même parler de l’entretien fleuve accordé au Figaro Magazine par le Président de la République, pas encore candidat (on parle d’une annonce officielle pour ce soir) ou de la volonté d’autres d’inscrire la laïcité dans la constitution.

Mais, pour autant, faut-il rejeter dans le domaine de la seule technique la question du système économique, sous prétexte qu’il n’aurait rien à voir avec les valeurs ou, pour être, plus précis avec la morale ? Les catholiques sont-ils acculés à ne se battre ou à se faire entendre que sur la question de l’avortement ou de l’euthanasie, voire de la famille et de la liberté de l’enseignement, comme si le système économique dans lequel nous vivons était complètement innocent ? Il est indéniable que le Pape nous invite à prendre en compte ce qu’il a nommé les points non négociables, limites ultimes au-delà desquelles nous basculerons dans des politiques déshumanisantes et franchirons le cap du déni de civilisation. Mais la situation du Chinois (par exemple), travaillant pour le grand marché mondial et le profit aussi bien des entreprises contrôlés par le parti dans son pays que des revendeurs occidentaux, n’est-elle pas aussi le fruit d’une politique déshumanisante et un déni de civilisation ?

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Que la marge de manœuvre économique soit étroite, concédons-le, et concédons-le d’autant plus aisément, que notre organisation politique, économique et sociale, s’est organisée en sens inverse du principe de subsidiarité, renvoyant toujours plus, selon une logique ultra-jacobine, le pouvoir de décision dans des instances supérieures et lointaines.

On ne s’étonnera donc pas qu’ainsi la marge de manœuvre soit réduite (ou pour le dire dans un autre langage, que la liberté soit étouffée), sur le plan économique, quand ce domaine a été abandonné depuis des décennies aux seules sphères des « spécialistes » et des « techniciens ». Lesquels, soit dit en passant, nous ont conduits dans la crise à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés et prétendent encore être les seuls à pouvoir y apporter une solution. Médecin, guéris-toi toi-même !

Mais doit-on, pour autant, rejeter complètement la question économique sous prétexte qu’elle ne serait que technique, avec le sous-entendu qu’elle ne concernerait pas notre conscience de chrétien ? Affirmer que l’économie n’est qu’une pure affaire technique ne revient pas seulement à résoudre le problème avant de le poser en favorisant le système économique en place, mais également à laisser croire que finalement il n’y a aucun lien entre le système économique actuel et les fameuses valeurs qui habitent ou désertent notre société. Pour nombre de catholiques, en effet, l’économie n’est effectivement qu’une affaire de technique, au mieux, de choix entre deux systèmes, le libéralisme et le socialisme, le christianisme n’étant plus que le supplément moral de ce système.

Comme si le choix économique était moralement neutre ! Comme si le système économique n’avait aucune conséquence sur la vie que nous menons. Et je ne parle pas là d’un simple choix pour des investissements éthiques ou « bio », comme on les voit fréquemment aujourd’hui, mais bien du système dans lequel nous vivons.

Avant d’être technique, ce qu’elle est aussi, la question économique est une question de valeurs, pour reprendre ce terme inapproprié. Et l’efficacité ne peut être la seule valeur qui préside à nos choix économiques, même si elle entre évidemment en ligne de compte. En ayant bousculé toutes les hiérarchies, renvoyant la politique dans le domaine des seuls spécialistes, la religion dans celui des superstitions, l’économie dominante a malheureusement transformé notre monde en une société de marché où tout est réduit au libre choix et à la marchandisation. On peut croire au hasard ou à la fatalité. On peut aussi s’en contenter au nom d’un pseudo-réalisme qui entend tout conserver tout simplement parce que les choses existent ainsi. Mais quelles que soient nos attitudes et nos marges de manœuvre, rien ne nous empêche de voir qu’il y a un lien philosophique entre le libre choix des libertaires favorables à l’avortement (pro-choice

, disent-ils) et le libre choix des spéculateurs et de ceux qui préfèrent délocaliser. C’est la même absence de limites ; la même idéologie du progrès. Quand on n’isole pas tel ou tel passage du vaste corpus de la doctrine sociale de l’Église, de Léon XIII à Benoît XVI, on s’aperçoit que l’Église apporte les principes qui, enchassés les uns dans les autres, permettent d’envisager une autre société et une autre économie, ne condamnant pas le catholicisme à n’être que le supplément d’âme ou le supplément moral, le supplétif spirituel du socialisme étatiste comme dans les années soixante-dix ou du libéralisme comme aujourd’hui. En ce sens, le débat sur le système économique est aussi un débat sur les valeurs. À ne pas laisser de côté. 

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