On nous avait promis que la gestation par (et pour) autrui (GPA) ne ferait pas partie des points discutés pour l’élaboration de la nouvelle loi de bioéthique. On nous a répété jusqu’à l’épuisement que l’on ne peut établir de lien nécessaire entre la libéralisation de la procréation médicalement assistée (PMA) et la GPA. On nous a promis que la France n’était pas de ces pays qui permettent la location d’utérus. On nous a accusés d’agiter des peurs, tout ça pour freiner l’avancée de l’égalité des droits et par homophobie primaire. On nous a dit, l’air innocent, étonné même, que le fait qu’un Marc-Olivier Fogiel, père adoptif de deux filles acquises par GPA aux États-Unis, fasse la tournée des plateaux télévisés et s’affiche en Unes des journaux pour faire la promotion de son livre-témoignage avant d’être placé à la tête de BFMTV ne voulait rien dire, rien de rien.
Naïveté ou mauvaise foi de ceux qui s’acharnent à nier, depuis plus de quarante ans maintenant, que s’autoriser à avorter une vie humaine conduit nécessairement, et à plus ou moins long terme, à sa chosification et donc à sa commercialisation ? À vrai dire, la mauvaise foi serait justement de penser qu’il ne s’agit que de naïveté de la part de ceux qui entretiennent l’illusion de ces causes qui ne seraient pas suivies des effets que nous annonçons et dénonçons. Mais que ces gens soient aveugles ou malhonnêtes, hélas, là n’est pas la question.
Comme nous pouvions nous en douter, la GPA a été discutée à l’Assemblée nationale de manière à peine déguisée. Dans la nuit du 3 au 4 octobre, un amendement a été voté qui prévoyait la retranscription de la filiation des enfants nés à l’étranger par GPA, c’est-à-dire l’inscription d’un lien de parenté, par l’administration française, entre les parents commanditaires et l’enfant. Certains titres de presse ont feint l’étonnement avec un sens théâtral qui force le respect. « À la surprise générale, la GPA est apparue dans le débat sur la loi de bioéthique », titrait par exemple Le Monde du 4 octobre dernier. Pas très à l’aise, malgré tout, avec cette entourloupe et sans doute, pour faire mine de tenir (un peu) leurs promesses, les députés ont soumis cet amendement à un second vote le 9 octobre suivant et l’ont rejeté… Tandis que le garde des Sceaux et ministre de la Justice Nicole Belloubet expliquait qu’une circulaire serait bientôt publiée pour « simplifier les procédures d’adoption », annonçant donc, pour qui sait lire entre les lignes de la justice française, que ce qui ne pouvait être établi par le vote des députés le serait par un moyen détourné.
La GPA, donc, c’est fait. Et si la prestation doit encore être délocalisée dans des pays plus permissifs, elle est néanmoins reconnue en France. Bien sûr, ceux qui voudraient pouvoir louer des utérus locaux récriminent mais ce n’est que l’affaire de quelques années. C’est, plutôt, l’affaire de quelques années si les choses suivent leur cours. Il nous appartient d’œuvrer pour faire dévier ce cours mais également, même si le rôle n’est vraiment pas fameux, d’être encore et toujours ceux qui crient dans le désert pour analyser et annoncer les conséquences de cette révolution anthropologique qui se déploie. Nous leur avions dit pour le PACS, pour le mariage homosexuel, pour la PMA « pour toutes », pour la GPA et nous devons dire encore. Mais quoi ?
Quelques affaires, encore assez rares pour l’instant, permettent déjà d’établir avec une quasi-certitude la suite des évènements. Si la parentalité est fondée désormais sur le désir, tient-elle encore quand ce désir disparaît ? Que serait un droit si on n’a pas le droit de ne plus en profiter ? Déjà, certains parents commanditaires ont pu finalement refuser d’adopter un enfant né par GPA au motif qu’il était porteur de trisomie 21. Mais faut-il absolument qu’il y ait malfaçon pour rendre un produit qui ne convient pas ? Par ailleurs, la frontière entre les générations et l’âge naturel de la procréation ont-ils encore un sens quand on peut congeler ses gamètes pour les utiliser au moment voulu et être parent biologique de plusieurs dizaines d’enfants en faisant des dons de gamètes ? L’inceste « à l’ancienne », pour dire les choses crûment, restera peut-être mal vu pendant encore longtemps. Il sera en revanche autorisé pourvu qu’il soit orchestré par les experts de la procréatique dans l’ombre des laboratoires. Les militantes pour l’avortement qui hurlaient « un enfant si je veux, quand je veux » auraient enfin gain de cause si l’on pouvait procréer avec n’importe qui et n’importe quand et, surtout, se défaire de l’enfant en cas de changement de projet parental. Enfin quoi ? On peut tout de même avoir envie d’un enfant un jour et, six mois plus tard, se dire qu’on préférerait se lancer dans l’élevage de chats, non ?
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