On sait que le IIème Concile de Nicée vante « les vénérables et saintes images, tout comme les représentations de la Croix précieuse et vivifiante, qu’elles soient peintes, en mosaïque ou de quelque autre matière appropriée ». Et il recommande donc de les placer « dans les saintes églises de Dieu, sur les objets et vêtements sacrés, sur les murs et les tableaux, dans les maisons et sur les chemins, aussi bien l’image de Notre-Seigneur que celle de Notre-Dame, la toute pure et sainte Mère de Dieu, des saints anges, de tous les saints et des justes ».
Quatre obstacles empêchent cependant l’image sainte, l’icône, de rayonner la foi chrétienne : un art narcissique symptôme d’une humanité malade qui refuse sa rédemption, un esprit iconoclaste qui reste latent, et bien sûr les profanations directes comme aussi l’esprit de superstition qui rabaisse l’image sainte à de la magie.
1) L’homme est malade quand il n’est pas ouvert à Dieu, alors il ne peut prétendre devenir artiste. L’art véritable, art sacré, fait regarder vers Dieu. Saint Augustin, qui a douté longtemps avant d’accueillir la lumière de la foi, parle de son errance dans « la région de la dissimilitude », comme le prodigue perdu loin de chez lui (Confessions VII,10.16). À l’inverse, la foi souligne chez l’homme la similitude, la ressemblance et l’harmonie avec le monde divin qui l’a créé. Faisant référence à cette expression, saint Bernard dénonce le chant mal exécuté des moines comme un fiasco radical. Benoît XVI prolonge son analyse pour juger sévèrement l’art sacré indigne de son nom : « L’homme qui est créé à l’image de Dieu tombe, en conséquence de son abandon de Dieu, dans la “région de la dissimilitude”, dans un éloignement de Dieu où il ne Le reflète plus et où il devient ainsi non seulement dissemblable à Dieu, mais aussi à sa véritable nature d’homme » (au Collège des Bernardins, 12 septembre 2008).
2) L’iconoclasme des premiers siècles perdure sous diverses formes : l’islam prolonge sous nos yeux l’hérésie antique, le protestantisme dit son malaise devant les expressions débilitées de la foi et s’est raidi en violence contre le dogme et l’art sacré. Il y a aussi des méprises et des erreurs de traduction concernant Nicée II dont souffrit Charlemagne : mal traduit, le respect dû aux images sacrées devenait dans les libri carolini l’adoration pure et simple, laquelle devrait être alors refusée à juste titre. L’abside de l’église carolingienne de Germiny-des-Prés n’a pas le Christ Pantocrator ; à la place, l’arche d’alliance est un signe muet de la présence de Dieu. Pourtant, le dommage est redoutable, car la vénération (comme aussi l’offense, hélas) de l’image remonte au Prototype, Notre-Seigneur, Notre-Dame ou les Saints.
3) Car, en effet, il y a des profanations directes. Ainsi, voici peu d’années, la Pietà de Michel-Ange, dans la basilique Saint-Pierre, fut attaquée directement (elle est désormais protégée) ; lors de l’invasion suédoise de la Pologne, un soldat défigura l’icône de Czestochowa qui garde ses stigmates comme un plaidoyer muet et éloquent à la fois du respect et du sérieux que mérite l’art sacré.
4) Le dernier obstacle est plus difficile à délimiter. La superstition est réellement répréhensible. Le Catéchisme (2110s) la définit ainsi : « La superstition représente en quelque sorte un excès pervers de religion… Elle est la déviation du sentiment religieux et des pratiques qu’il impose. Elle peut affecter aussi le culte que nous rendons au vrai Dieu, par exemple, lorsqu’on attribue une importance en quelque sorte magique à certaines pratiques, par ailleurs légitimes ou nécessaires ». Cela est facile à définir, le délimiter est plus délicat : face à une réprobation abstraite des gestes de la dévotion populaire, le Magistère, surtout depuis saint Jean-Paul II, défend la dévotion populaire qui fait toucher et regarder la grotte de Lourdes, caresser le fauteuil de la Chapelle miraculeuse, etc. Dans l’Exhortation Marialis Cultus, le bienheureux Paul VI fut le premier à défendre la piété des « petits ». L’ambiance Nouvel Age de notre société relativiste requiert pourtant un bon discernement. Hyper-cérébral comme on l’a rendu, l’homo post modernus a besoin de la douceur de la Révélation divine pour apaiser sa sensibilité triturée et abîmée. Le futur Benoît XVI associait la joie au baroque malgré les préventions qu’il subit : « Le Siècle des Lumières perdit sa joie en perdant la foi » (L’esprit de la liturgie, p. 106). La foi des simples saura toujours se réjouir des splendeurs divines dans l’art sacré.