L’Évangile face à la pensée contemporaine

Publié le 01 Oct 2015
L'Évangile face à la pensée contemporaine L'Homme Nouveau

Vingt-six théologiens viennent de publier leur contribution au Synode sur la famille, accompagnée d’une préface de Mgr Brunin, président du Conseil Famille et Société de la Conférence des évêques de France. Un livre qui met de côté le Catéchisme de l’Église catholique et l’enseignement de Jean-Paul II. Lecture d’un prêtre pour dénoncer le danger.

Dans la perspective du prochain Synode sur la vocation et la mission de la famille dans l’Église et le monde contemporain, le Conseil Famille et Société de la Conférence des évêques de France a lancé une vaste consultation auprès de théologiens français ou francophones. Les Éditions Bayard publient les contributions qui sont regroupées en seize chapitres. Dans sa préface, Mgr Jean-Luc Brunin rappelle l’importance du travail théologique pour une meilleure intelligence de la Révélation, Révélation que les Pasteurs de l’Église annoncent, enseignent et communiquent : « Les théologiens apportent les couleurs, mais la symphonie sera l’œuvre des évêques réunis en synode sous la présidence du Pape. Ils pourront se saisir de la palette de couleurs produite par les théologiens pour prolonger le travail de discernement amorcé ici » (p. 18).

Absence notable de canonistes

Cette publication rassemble la contribution de 26 théologiens, la plupart exégètes ou moralistes. Si ce sont les instituts supérieurs de théologie qui ont été sollicités, on ne comprend pas la sous-représentation du corps enseignant des séminaires, alors que beaucoup ont un doctorat en théologie et qu’ils ont en charge la formation de pasteurs qui seront directement au service des familles. De même il n’y a aucune contribution de l’Institut catholique de Toulouse. Notons enfin l’absence de canonistes alors que beaucoup, comme praticiens du droit, ont une expérience très riche quant à la difficulté aujourd’hui pour de nombreux baptisés de vivre les exigences du mariage sacramentel. C’est faire l’impasse sur la dimension propre­ment pastorale de la justice ecclésiale.

Cette première réserve n’enlève rien au grand intérêt de l’ouvrage qui nous offre une sorte d’état des lieux de la réflexion théologique et pastorale. Certaines affirmations, spécialement chez les exégètes, intriguent : « L’enseignement de l’Église me semble assez général assez réducteur par rapport à ce que les textes scripturaires disent du mariage et de la famille » (p. 52) ; « les textes magistériels, quand ils s’appuient sur l’Écriture, (…) font en général l’impasse sur l’exégèse proposée par les spécialistes, lui préférant une herméneutique qui rend le texte compatible avec l’enseignement que l’on cherche à fonder » (p. 53). Ce scientisme un peu naïf et plutôt dépassé ne rend pas compte de la richesse de la tradition herméneutique de l’Église qui lui permet par son Magistère de saisir et d’exposer l’intention de l’auteur principal de l’Écriture. D’autres auteurs soulignent avec raison que le mariage et la famille restent dans les récits bibliques des réalités ambiguës et marquées par le péché, un lieu d’épreuve et de tension (cf. pp. 57-28 et 62-66), une réalité qui a besoin d’être sauvée et rachetée c’est-à-dire évangélisée.

Jean-Paul II : un enseignement mis de côté

On sera aussi surpris qu’aucun des contributeurs ne fasse allusion à la puissante réflexion théologique de saint Jean-Paul II à propos des trois premiers chapitres de la Genèse. Il ne suffit pas de constater que la doctrine d’Humanæ vitæ n’est pas comprise et acceptée par de nombreux baptisés, encore faut-il rendre compte du travail accompli par la théologie et le Magistère pour expliquer les fondements de cette doctrine et de cette exigence. De même, si les auteurs rendent compte de la complexité de la doctrine paulienne sur le mariage (avec le parallèle de l’union du Christ et de l’Église en Ephésiens 5, cf. pp. 89-105), ils sont beaucoup plus discrets quant aux paroles décisives du Sauveur à propos de l’indissolubilité…

Quant à la question de la possibilité d’admettre dans certaines conditions des divorcés remariés à la communion, elle est évidemment au centre des préoccupations et des réflexions. Tout en maintenant l’indissolubilité du mariage, on cherche à déterminer si le fait d’être engagé dans un nouveau mariage représente en soi et absolument un obstacle à la communion eucharistique. Autant se demander si l’on peut obtenir le pardon pour un péché grave et manifeste tout en prenant la ferme résolution de persévérer dans son péché… On passe sur les poncifs habituels d’une pensée théologique (celle du Magistère bien entendu, car les théologiens, eux, nous offrent toujours la quintessence de l’esprit philosophique dans ce qu’il y a de meilleur et de plus adapté au monde contemporain…) qui serait trop essentialiste et qui ne considérerait pas le sujet dans le dynamisme de sa construction morale, sur des propos parfois abscons et obscurs, sur des développements inutiles qui ne répondent pas à la question posée (ainsi sur l’homosexualité, un auteur nous offre trois pages de généralités, s’achevant par une série de questions n’ayant rien à voir avec le sujet annoncé… cf. pp. 143-147).

Ces quelques remarques ironiques ne doivent pas masquer l’intérêt de cet ouvrage. On pourra pour finir se demander si c’est à l’Évangile d’être mesuré à l’aune de la pensée contemporaine et des comportements de ceux à qui s’adresse le message du salut, à qui est proposée la grâce de la conversion et du changement…

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