Liberté d’expression (2/4) : De la vérité de l’être à la satisfaction du néant 

Publié le 19 Fév 2025
liberté d’expression

La revendication de la liberté d’expression a servi à saper les fondements de la société classique. © Pexels

> Dossier : « Liberté d’expression : un principe absolu ? »
La liberté d’expression absolue n’existe pas plus aujourd’hui qu’hier : il a toujours existé un intolérable opposable à la diffusion d’une pensée. Cependant, les raisons de sa limitation ont profondément changé. Devenue le droit de répandre des opinions subjectives, elle est aujourd’hui encadrée pour assurer la pérennité des valeurs de la modernité. Pour se maintenir, celle-ci profite d’ailleurs à plein de l’abaissement général de la qualité de l’expression. 

  Dans une société mue par des principes philosophiques classiques, s’exprimer librement est une faculté qui n’est pas reconnue à tous de manière indifférenciée (eu égard aux disparités d’intelligence et de connaissances sur un sujet particulier), mais dont l’exercice est nécessaire au bon fonctionnement de l’ordre social : la prudence oblige à prendre en considération les différents points de vue pour dialectiquement dégager la solution idoine. La liberté d’expression peut même s’élever au niveau de la charité dans la mesure où elle permet d’édifier le prochain. En revanche, présenter l’hypothétique comme certain ou utiliser des arguments fallacieux – autrement dit ne pas être prudent ni se soucier de la vérité – la rend nuisible au corps social.

La transformation d’une faculté en un droit

Dès lors, la société classique assume la possibilité de l’index (déconseiller la lecture d’ouvrages pour lesquels de solides connaissances sont nécessaires pour ne pas être manipulé) et de la censure (interdire la diffusion d’œuvres faisant la promotion de la débauche ou portant atteinte au sacré). Pour résumer, la possibilité de faire connaître aux autres le produit de sa pensée a pour cause motrice la liberté mineure qu’est le libre-arbitre ; elle a pour cause finale la liberté majeure, c’est-à-dire celle qui cherche à identifier et atteindre le vrai, le bien et le juste. Mais la liberté d’expression a connu, à l’époque moderne, une double transformation. D’une part, l’humanisme a exalté l’expression des convictions personnelles comme moyen d’émancipation et d’accomplissement de l’individu. D’autre part, le philosophisme a fait glisser la tolérance d’une permission temporaire d’un mal (parce que sa répression serait plus dommageable au bien commun que son acceptation) en une mise sur un pied d’égalité de toutes les subjectivités en raison de l’identité de nature des hommes. Ainsi, de droit attribué (ou refusé) à une personne en fonction de la question traitée, la liberté d’expression est-elle devenue un droit attribut de…

Pour continuer à lire cet article
et de nombreux autres

Abonnez-vous dès à présent

Guillaume Bernard | Docteur HDR en histoire du droit et des idées politiques

Ce contenu pourrait vous intéresser

SociétéArt et Patrimoine

Transmettre le patrimoine vivant, un défi pour la France

Entretien | Malgré les difficultés et la disparition d’un tiers des événements en cinq ans, les Français restent profondément attachés à leurs traditions festives. Thomas Meslin, cofondateur de l’association « Les Plus Belles Fêtes de France », défend ce patrimoine culturel immatériel et veut lui redonner visibilité et dynamisme grâce à un label national et un soutien accru aux bénévoles. Entretien.

+

les plus belles fêtes de france label patrimoine
Société

Nos raisons d’espérer

L’Essentiel de Joël Hautebert | Malgré l’effondrement des repères et la crise des institutions, il demeure des raisons d’espérer. On les trouve dans ces hommes et ces femmes qui, par leurs vertus simples et leur fidélité au devoir d’état, sont capables d’assumer des responsabilités au service du bien commun.

+

espérer vertu
SociétéFin de vie

Euthanasie : « Pierre Simon voulait faire de la vie un matériau à gérer »

Entretien | Alors que le Sénat reporte une nouvelle fois l’examen du projet de loi sur la fin de vie, l’essayiste Charles Vaugirard publie La face cachée du lobby de l’euthanasie (Téqui). En s’appuyant sur les écrits oubliés de Pierre Simon, fondateur de l’ADMD et ancien grand maître de la Grande Loge de France, il dévoile les racines eugénistes et prométhéennes d’une idéologie qui, selon lui, continue d’inspirer les lois bioéthiques contemporaines.

+

euthanasie pierre Simon
SociétéPhilosophie

La logique, un antidote à la crise de la vérité

C’est logique ! – Entretien | Dans son nouvel ouvrage Devenir plus intelligent, c’est possible ! (Le Cerf), François-Marie Portes invite à redécouvrir les outils logiques de la tradition antique et médiévale. Pour lui, apprendre à définir, énoncer et argumenter n’est pas réservé aux spécialistes : c’est un savoir-faire accessible à tous, indispensable pour retrouver le goût de la vérité dans un monde saturé de discours trompeurs. Entretien.

+

penser portes intelligent logique
SociétéLectures

Maurras, pour la Nation, contre le racisme

Entretien | En août, les éditions de Flore publiaient un petit livre d'Axel Tisserand, Maurras, pour la Nation, contre le racisme. À cette occasion, Philippe Maxence s’est entretenu avec l’auteur, agrégé de lettres classiques et docteur en philosophie, au sujet de Charles Maurras (1868-1952).

+

charles maurras racisme nation patrie
SociétéPhilosophie

Le Centre culturel Simone Weil : redonner à la médecine son âme

Entretien | Créé par des professionnels de santé pour leurs confrères, le Centre culturel Simone Weil propose des formations alliant médecine et philosophie. À l’occasion de son séminaire de novembre, il invite praticiens, étudiants et aidants à redécouvrir la vocation profondément humaine et éthique de la médecine face aux défis contemporains. Présentation par François et Marie Lauzanne, pharmaciens et fondateurs du centre.

+

Centre culturel Simone Weil médecine