L’ordination des femmes : un sujet de discussion ?

Publié le 12 Avr 2023
femmes

Article mis à jour ; jeudi 13 avril

 

Depuis que l’idéologie féministe est entrée dans le cadre des discussions à l’intérieur de l’Eglise, et sans aucun doute dopée par divers événements suscités sous le pontificat actuel – notamment le « synode sur la synodalité » et ses avatars diocésains et nationaux, comme le désormais célèbre « Synodalerweg » allemand –, la question de l’accès aux ordres sacrés des femmes, tel le monstre du Loch-Ness, revient régulièrement sur le devant de la scène médiatique.

La question n’est en effet pas nouvelle : les protestants le réclamaient déjà au XVIe siècle, et l’on a pu, dès avant l’ouverture du dernier concile, voir ressuscitées ces prétentions, pensant sans doute que cette assemblée changerait les choses. Mais la revendication n’ayant pas été entendue, pour répondre à ceux qui insistaient pour obtenir que les femmes accèdent aux ordres sacrés, Paul VI réitérait l’enseignement traditionnel – notamment à la suite d’une supplique du Dr Frederick Donald Coggan, « archevêque » anglican de Cantorbéry[1] – sur l’impossibilité pour l’Eglise de donner suite à ces prétentions.

Il approuvait également, peu de temps après, une déclaration de la Sacrée Congrégation de la Doctrine de la Foi sur cette même question[2].

L’on pensait la discussion close, mais elle ressurgit pendant le pontificat de Jean-Paul II. Dans ce contexte revendicatif, la Commission théologique internationale avait été sollicitée, et, in fine, le Magistère suprême, en la personne du pape Jean-Paul II s’est exprimé sur la question en publiant une lettre apostolique, le 22 mai 1994.

Y était indiqué que le sujet, malgré de nombreuses clarifications de la part du Magistère, était étonnamment encore débattu, et qu’afin « qu’il ne subsiste aucun doute sur une question de grande importance qui concerne la constitution divine elle-même de l’Église », le pape déclarait, « en vertu de [s]a mission de confirmer [s]es frères (cf. Lc. 22,32), que l’Église n’a en aucune manière le pouvoir de conférer l’ordination sacerdotale à des femmes et que cette position doit être définitivement tenue par tous les fidèles de l’Église. »

Naturellement, les tenants de la position novatrice ouvrant l’accès au sacerdoce aux femmes ont indiqué que la position du pape n’était que disciplinaire, conjoncturelle ou prudentielle[3]. En tout cas, susceptible de changement dans un avenir plus ou moins rapproché. C’est pourquoi la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a souhaité préciser que cet enseignement revêtait tous les caractères d’un enseignement infaillible[4], de soi irréformable, conformément aux indications du 1er concile du Vatican concernant l’infaillibilité de certains enseignements pontificaux en matière de foi et de mœurs[5].

Mais le « serpent de mer » n’avait pas dit son dernier mot. Dès 2016, le Pape François, tout en répétant le caractère irréformable de l’enseignement donné par ses prédécesseurs sur cette question[6], instituait cependant une commission visant à étudier la possibilité de l’accès des femmes au diaconat – et plus généralement au sacrement de l’Ordre – faisant suite à l’idée renaissante que, dans les temps apostoliques, cet ordre pouvait avoir été conféré à des femmes – les diaconesses –, et que, dès lors, rien n’interdisait, dans l’optique d’un retour « aux normes des saints pères » , « ad pristinam sanctorum patrum normam », selon l’expression ancienne et reprise par la constitution conciliaire sur la liturgie, Sacrosanctum concilium, du 4 décembre 1963, l’idée d’un diaconat féminin.

Cette commission n’ayant pas donné d’avis suffisamment unanimes sur cette question, une autre fut instituée, en 2020. La discussion théologico-historique ne manquera sans doute pas d’intérêt, car la question fait partie de ces pierres d’achoppement qui semblent diviser l’Eglise en deux « partis » : les tenants de la doctrine traditionnelle, n’envisageant le diaconat que pour des hommes, s’appuyant sur la Parole de Dieu, la Tradition et le Magistère, et ceux qui tiennent pour une forme d’ouverture à l’esprit du monde, considérant, comme les héritiers de Luther ou Calvin, que le diaconat n’est pas un degré du sacrement de l’Ordre – qui pour eux n’existe d’ailleurs pas – mais un « ministère » qui peut être accompli par n’importe qui, moyennant une désignation dont la modalité peut varier selon les dénominations protestantes.

On a pu ainsi lire dans le document final du synode sur l’Amazonie, en 2017 que « dans les nombreuses consultations menées en Amazonie […] le diaconat permanent pour les femmes a été demandé. »[7]

Le canoniste, sans être étranger à la problématique, n’a pas vocation à y apporter un éclairage spéculatif, domaine plus communément réservé aux théologiens. D’ailleurs, ces derniers ont mené sur cette question une réflexion sérieuse, durant plusieurs années – en fait, à partir de 1992 –, dans le cadre de la Commission théologique internationale, laquelle, en 2003, rendait public un document intitulé : « Le diaconat : évolution et perspectives »[8], fruit d’un long labeur intellectuel.

Elle y indique notamment l’unité du sacrement de l’Ordre, quoique distingué en diverses parties intégrantes[9], mais elle note surtout que « les diaconesses dont il est fait mention dans la tradition de l’Église ancienne (selon ce que le rite d’institution et les fonctions exercées suggèrent) ne peuvent pas être assimilées purement et simplement aux diacres. » Cette étude reprenait, en les approfondissant, les enseignements de l’Eglise sur cette question.

Malgré des textes et des interventions magistériels assez forts, la question de l’accès des femmes à l’un ou l’autre des degrés du sacerdoce – diaconat, sacerdoce, épiscopat, selon le Code de droit canonique en vigueur[10] –, revient régulièrement dans les revendications de tel ou tel[11].

Le droit de l’Eglise doit non seulement rendre compte de la réalité ecclésiale, mais encore traduire en termes juridiques, la Foi de l’Eglise, et c’est pourquoi le Code de droit canonique avait évidemment intégré que seuls les hommes étaient des sujets aptes à recevoir le sacrement de l’Ordre[12].

Cet aspect a été complété au fil du temps : en 2008, voyant que les prescriptions relatives à l’impossibilité de conférer l’ordre à des femmes n’étaient pas reçues par certains, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi émettait le 19 décembre 2007, un décret « concernant le délit d’attentat à l’ordination sacrée d’une femme »[13], frappant le « consécrateur » ou le sujet de l’ « ordination » de la peine d’excommunication.

Ce délit a par la suite été inséré dans le motu proprio traitant des délits les plus graves contre la foi et les mœurs réservés à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi[14], et finalement, après la révision du livre VI du Code de droit canonique, le 8 décembre 2021, ce même délit a été intégré dans le corpus, au can. 1379 §3.

En vérité, la discussion sur l’accès des femmes au diaconat, et plus généralement au sacrement de l’Ordre, suggère plusieurs réflexions au canoniste.

La première, est d’abord celle de l’existence-même d’une discussion sur ce sujet, dans l’Eglise fondée par Jésus-Christ. En raison de la pratique des protestants, une ambiguïté semblait exister puisque certaines dénominations chrétiennes hors de l’Eglise avaient fait choix d’ « ordonner » des femmes, diacres, prêtres et même plus récemment, d’en faire des évêques[15], le magistère avait alors jugé bon de clarifier la question.

La doctrine exposée par le magistère est aujourd’hui non seulement claire et limpide dans son contenu, mais encore dans l’assentiment de foi qu’il requiert. Si bien que le canoniste est stupéfait que l’on fasse un sujet de discussion sérieux dans l’Eglise d’une doctrine irréformable. Il n’est en effet pas moins certain pour l’Eglise et ses fidèles que le sacerdoce en chacun de ses degrés est inaccessible aux femmes, que Dieu existe, ou que Notre-Seigneur est réellement présent sous les espèces du pain et du vin à la Sainte Messe.

Prétendre le contraire, c’est commettre le péché – c’est le domaine des moralistes – et le délit – domaine des canonistes – contre la Foi, en clair, une hérésie. Sauf, naturellement, à prétendre que la doctrine de l’infaillibilité pontificale définie au 1er concile du Vatican n’est pas, en fait, une donnée de la Foi, mais une opinion susceptible d’être reçue ou non dans le corps ecclésial.

Fondamentalement, la difficulté qui résulte de discussions sur des sujets pourtant indiscutables tient à la nature de l’Eglise et de son enseignement. Est-elle, oui ou non, fondée par Jésus-Christ, sur un fondement visible, Pierre et ses successeurs ? Si tel est le cas, alors toute discussion sur des matières définies comme appartenant au donné révélé est vaine et exclue, sinon, il faut envisager l’Eglise comme une société simplement humaine, étrangère au concept de révélation divine.

La deuxième réflexion porte sur la réponse pénale que l’on apporte à ces sujets. Il n’est pas moins grave d’envisager la possibilité d’ordonner des femmes que de nier l’existence de la Trinité ou de commettre des infractions contre la sainteté du sacrement de l’eucharistie. [Une partie de la phrase d’origine a été supprimée en raison de son ambiguïté comme l’ont montré les commentaires qu’elle a suscités. Elle visait dans l’intention de l’auteur à souligner la gravité des faits énoncés, pas à les minorer ni à les relativiser. Nous présentons toutes nos excuses aux personnes choquées. Ndlr].

C’est dans cet esprit que ces délits « les plus graves » ont été réservés à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

Or, il semble bien, même si les statistiques publiques manquent, que les crimes commis par des clerc avec des mineurs occupent beaucoup plus la section disciplinaire de ce dicastère que les délits contre la foi[16]. Le droit canonique était autrefois envisagé comme la garantie que l’exposé de la Foi, vertu nécessaire au salut des hommes, serait intégralement et avec pureté, enseignée à l’univers, et que les tentatives pour souiller cet enseignement seraient poursuivies et châtiées, pour le bien de l’Eglise entière.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que les préfets du Saint-Office, devenue Congrégation pour la Doctrine de la Foi, étaient des canonistes, et non des théologiens, du-moins jusqu’en 1968.

Cela emporte une troisième réflexion : la foi est-elle nécessaire au salut ? Au vu du traitement – ou de l’absence de traitement – des délits contre la foi, on en vient à considérer que l’Eglise n’est qu’une marâtre moralisatrice, dont le discours s’arrête à exposer le bien ou le mal, sans d’ailleurs qu’elle ait à expliquer son propos. De fait, c’est ainsi qu’elle est le plus souvent perçue, et c’est aussi pour cela que sa crédibilité est également balayée : les scandales sexuels liés au clergé – particulièrement des années d’après-concile d’ailleurs – rendent inaudibles le discours de l’Eglise, surtout s’il ne porte que sur la moralité des actes humains.

Pierre avait reçu la mission de confirmer ses frères dans la Foi. Nul doute que si la Foi est de nouveau intégralement enseignée, si ceux qui la refusent sont clairement désignés, alors il sera sans aucun doute plus aisé de condamner les coupables des turpitudes en tous genres, sans entraîner dans leur chute l’Eglise entière, qui, Dieu merci, possède les paroles de la Vie éternelle et contre laquelle les portes de l’Enfer ne peuvent prévaloir.

 

[1] Paul VI, Réponse à la lettre de Sa Grâce le Très Révérend Dr Frederick Donald Coggan, Archevêque de Cantorbery, sur le ministère sacerdotal des femmes, 30 novembre 1975, AAS 68 (1976), pp. 599-600. A cet égard, il faut rappeler que la théologie catholique du Sacerdoce, reçue de Jésus-Christ, est radicalement différente de celle tenue par les différentes dénominations protestantes, au point d’ailleurs que leurs « ordinations », lorsqu’elles existent, sont invalides. Pour les anglicans, la chose est réglée depuis le pape Léon XIII, et la bulle Apostolicae curae du 13 septembre 1896 : « Les ordinations faites selon le rite anglican ont été et sont absolument nulles et sans valeur ». Parlant d’ « ordination », les anglicans – entre autres – n’entendent donc pas de la même chose qu’un catholique.

[2] Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi, déclaration Inter insigniores sur la question de l’admission des femmes au sacerdoce ministériel, 15 octobre 1976, AAS 69 (1977), pp. 98-116.

[3] On peut par exemple citer l’éditorial de La Croix du 31 mai 1994, où Bruno Chenu, affirme qu’« il faut se garder de placer cette déclaration dans le domaine de l’infaillibilité ».

[4] Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Réponse à un doute sur la doctrine de la lettre apostolique Ordination sacerdotalis, 18 novembre 1995 : « La doctrine qui prévoit que l’Eglise n’a pas la faculté de conférer l’ordination sacerdotale aux femmes doit être considérée comme appartenant au dépôt de la foi. Elle exige un assentiment définitif, parce qu’elle est fondée sur la parole de Dieu, constamment conservée et appliquée dans la tradition […]. [Il s’agit] d’une doctrine proposée infailliblement par l’Eglise. »

[5] 1er concile du Vatican, Constitution Pastor Æternus, 18 juillet 1870.

[6] Au retour des JMJ de Rio de Janeiro, au cours d’une entrevue avec les journalistes dans l’avion : « Pour l’ordination des femmes, l’Église a dit non ; le pape Jean-Paul II l’a dit de manière définitive. Cette porte est fermée ». Voir Le Monde, 30 juillet 2013.

[7] http://secretariat.synod.va/content/sinodoamazonico/fr/documents-/document-final.html, n. 103.

[8] Commission théologique internationale, Le Diaconat, évolution et perspectives, Paris, 2003.

[9] Commission théologique internationale, Le Diaconat, évolution et perspectives, op. cit. : « […] la tradition ecclésiale, surtout dans la doctrine du concile Vatican II et dans l’enseignement du Magistère postconciliaire, souligne fortement l’unité du sacrement de l’Ordre, dans la claire distinction entre les ministères de l’évêque et des presbytres d’une part et le ministère diaconal d’autre part […]. »

[10] can. 1009.

[11] https://www.la-croix.com/Debats/Lidee-dun-diaconat-feminin-soppose-lenseignement-Vatican-II-2023-03-31-1201261570

[12] can. 1024/CIC 83 : Seul un homme baptisé reçoit validement l’ordination sacrée ; can. 968 §1/CIC 17 : Seul l’homme baptisé reçoit validement la sainte ordination.

[13] Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Decretum generale – De delicto attentatae sacrae ordinationis mulieris, AAS 100, (2008), p. 403.

[14] Motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela, au sujet des normes concernant les délits les plus graves réservés à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, (30 avril 2001), AAS 93 (2001) pp. 737-739. Modifié le 21 mai 2010, art. 5, AAS 102 (2010), pp. 419-430.

[15] En 2014 pour l’ « Eglise d’Angleterre ».

[16] La même remarque peut être faite pour les tribunaux diocésains.

 

A lire également : Le synode allemand de la rupture

Chanoine Benoît Merly, canoniste +

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