Macron était aux Bernardins et le spectacle était très réussi

Publié le 10 Avr 2018
Macron était aux Bernardins et le spectacle était très réussi L'Homme Nouveau

Encore un commentaire de l’allocution prononcée ce lundi 9 avril par le Président Emmanuel Macron, à l’invitation de la Conférence des évêques de France, au collège des Bernardins ? Il n’aura pas fallu longtemps, d’ailleurs, pour que les camps se forment, pour ou contre. 

Il y a ceux que le seul fait de voir un président s’adresser officiellement à des catholiques fait tomber en convulsion. Que ce soit bien clair, et au nom de la loi 1905 plutôt que du Père, du Fils et de l’Esprit Saint, la République est laïque ce qui signifie qu’elle peut parler avec tout le monde, sauf avec les catholiques.

D’autres convulsent aussi, mais du côté de ceux qui croient au Ciel. Parce qu’ils ne sont pas dupes, jamais. Ils savent que, depuis des décennies, ils ne sont qu’un grain de sable dans les rouages d’un État qui s’applique à saper tout fondement moral. Donc le Président Emmanuel Macron peut bien dire ce qu’il veut, ce sera un mensonge. Et s’il dit que deux et deux font quatre, et bien c’est peut-être vrai, mais c’est par hypocrisie ou électoralisme. 

Il y a ceux qui n’aiment pas beaucoup les catholiques et se battent pour la laïcité, qui n’aiment pas beaucoup Evangelium vitæ et militent pour la PMA, qui ne sont pas mécontents pour autant parce qu’ils savent très bien que les paroles du Président Macron devant un parterre de têtes mitrées n’engagent que ceux qui y croient.

Et il y a ceux qui y croient, justement, mais pas seulement en Dieu. Ces cathos qui savent bien au fond d’eux que Macron n’est pas une grenouille de bénitier mais qui sont tout de même contents de voir que, pour une fois, on leur parle gentiment, on leur fait des promesses, comme à n’importe quelle autre minorité.

En somme, le Président Emmanuel Macron a parlé et il y a ceux qui croyaient au Ciel et ceux qui n’y croyaient pas, ceux qui croyaient en Macron et ceux qui n’y croyaient pas, ceux qui ne croient pas au Ciel n’étant pas forcément ceux qui ne croient pas en Macron, bref… 

Qui sommes-nous pour juger du for intérieur de Macron ? Peut-être qu’il a effectivement lu Emmanuel Mounier et Georges Bernanos, cités pendant son discours, et peut-être même les a-t-il appréciés. Mais le fin mot de cette histoire-là, nous ne l’aurons pas. Ce que nous savons, en revanche, c’est que Macron est d’abord un communiquant très habile et bien entouré. Macron est également un bon comédien, nous le savons depuis sa prestation le 1er mars dernier à l’Élysée, lorsqu’il a récité quelques vers de Pierre et le Loup de Prokofiev. Macron, enfin a un projet politique à mener, qu’il ne sacrifiera certainement pas pour quelques dizaines d’évêques et quelques millions de catholiques qui se rebellent, somme toute, de façon très correcte, en citant des passages de l’Apocalypse avec un air menaçant, en enchaînant des neuvaines à Marie qui défait les nœuds ou à sainte Rita. Et pour les pires d’entre eux, lorsqu’ils sont vraiment très en colère contre le monde tel qu’il ne va pas, ils montent des associations caritatives pour venir en aide aux plus démunis (ou lisent L’Homme Nouveau). La Zone À Défendre (ZAD) des cathos de France n’est pas exactement ce qu’on peut appeler menaçante. 

C’est dire qu’il y a de très fortes chances pour que le discours du Président Emmanuel Macron ne soit qu’un clip publicitaire de plus pour sa propre personne en marche, et qu’il n’aura pas la moindre incidence sur sa politique. D’ailleurs, le Président n’a pas évoqué la foi d’Arnaud Beltrame lors de l’hommage qu’il lui a rendu aux Invalides, il n’aurait pas pu se permettre une telle complaisance à l’égard des catholiques lors d’un évènement d’une si grande ampleur. Mais, honnêtement, qui se souciera encore, dans une semaine, du fait qu’Emmanuel Macron soit allé rassurer les évêques pour leur dire combien tout le monde est gentil, un obscur soir d’avril ? C’est pourquoi il ne s’est pas gêné pour adresser toutes sortes d’amabilités à l’endroit des croyants qu’il faut rassurer en ces temps troublés de révision des lois de bioéthique. 

En tout cas, que l’on soit ou non heureux que le Président ait répondu à l’invitation de Mgr Pontier, président de la Conférence des évêques de France, accordons-nous pour dire qu’il a une excellente équipe de communication et que son allocution témoigne d’un bon travail de recherche sur le champ lexical de la foi et les références cultes (sans mauvais jeu de mots) des catholiques de France. 

Et la dissertation – mention très bien – du Président, pourrait faire à son tour l’objet d’une dissertation. Contentons-nous de n’en relever que quelques points saillants.

Un champ lexical adapté à l’auditoire

Dès les premiers mots, et pour ne citer que ces quelques exemples, celui qui est habituellement l’apôtre des droits s’est soudainement mis à parler du devoir, si cher aux catholiques et il a relégué la médiatique dualité public/privé pour lui préférer celle du temporel et du spirituel, plus douce à nos oreilles. On l’a même entendu parler de vocation, pensez-vous, et expliquer qu’il n’entend aucunement substituer « à la transcendance divine un credo républicain ». 

Une mauvaise note en biologie, Président

Le Président a dû avoir un professeur de littérature compétent puisqu’il excelle dans l’exercice de recherche sur un champ lexical, mais il est moins brillant en biologie : « Et surtout, ce ne sont pas les racines qui nous importent, car elles peuvent aussi bien être mortes. Ce qui importe, c’est la sève. Et je suis convaincu que la sève catholique doit contribuer encore et toujours à faire vivre notre nation. » Or, jusqu’à preuve du contraire, la sève, pour couler, a besoin des racines.

« Vous êtes gentils, mais vous n’êtes pas les seuls »

C’est, quoique traduit de manière un peu abrupte, l’un des motifs qui traverse l’ensemble du discours. Car le Président ne peut pas, sous peine de descendre dans les sondages, dire des choses sympathiques aux catholiques sans, d’une part, assurer à ces mêmes catholiques qu’ils n’ont pas le monopole de la bonté et, d’autre part, assurer à ceux qui ne sont pas catholiques qu’ils sont également tout à fait aimables. 

Ainsi, par exemple, Arnaud Beltrame, héros catholique, a rejoint les rangs de nombreuses autres grandes figures dont certaines sont athées. De même, l’indifférence dont il ne voudrait pas être coupable vis-à-vis des cathos, le Président Emmanuel Macron ne veut pas non plus en être coupable « à l’égard de toutes les confessions qui aujourd’hui habitent notre pays ». 

Les catholiques sont une communauté comme une autre

Ces bons points accordés à tous en vertu d’une stricte égalité républicaine ne sont que la face visible d’une intention plus profonde. Ce n’est pas que le Président Macron n’ait pas révisé ses notes sur l’étymologie du mot « catholique », il a même profité de son discours pour placer que cela voulait dire universel. Ce n’était qu’un effet de rhétorique car, en réalité, et c’est tout l’enjeu de l’allocution, le Président a, mine de rien, maintenu les catholiques dans la petite boîte dans laquelle ils sont rangés, en ces temps de laïcité, à côté des autres communautés, minorités et lobbies. « Alors j’ai entendu, Monseigneur, Mesdames et Messieurs, les inquiétudes montant du monde catholique », a-t-il dit. 

Et puisque les catholiques sont une communauté comme une autre, ils sont priés de faire comme les autres, à savoir s’exprimer poliment quand on le leur demande, sans attendre que ces paroles aient la moindre prise sur les politiques, et mettre toutes leurs convictions personnelles en deçà du credo républicain. 

Être catho, c’est bien, être un bon citoyen, c’est mieux

Le Président Macron est fort, bien sûr, il n’a pas besoin qu’on le rassure au sujet des catholiques mais, à l’inverse, il considère de sa « responsabilité de ne pas laisser s’éroder la confiance des catholiques à l’égard de la politique – et des politiques ». Et « c’est parce que j’entends faire droit à ces interrogations que je suis ici ce soir. Et pour vous demander solennellement de ne pas vous sentir aux marches de la République, mais de retrouver le goût et le sel du rôle que vous y avez toujours joué », a-t-il aussi déclamé. Pourquoi ? Parce qu’il est grand temps que les catholiques rentrent dans le rang et arrêtent un peu de nous rappeler que l’Église est experte en humanité. 

L’important, c’est le processus

« Dialogue », « questionnement », « interrogations », « chemin », « tension ». Tout va bien en démocratie, pourvu qu’il y ait un débat. Peut importe le but, l’important est le chemin. Et mieux encore que le dialogue, dialoguer sans savoir : « Nous devons oser fonder notre relation sur le partage de ces incertitudes. » Le Président serait-il un apôtre de Platon et de la dialectique ? Oui… À cela près que Platon s’appuie sur ce qu’il sait pour chercher la vérité, pas sur ce qu’il ne sait pas. Mais à force, de phrases en paragraphes, d’insister sur le questionnement, le doute, l’incertitude, le Président Macron envoie comme un message, pas complètement subliminal, aux catholiques, à qui il demande de faire don de leur « humilité », de reconnaître que leurs « injonctions » ne suffisent pas à faire face au réel : 

« Mais cette voix de l’Église, nous savons au fond, vous et moi, qu’elle ne peut être injonctive. Parce qu’elle est faite de l’humilité de ceux qui pétrissent le temporel. Elle ne peut dès lors être que questionnante. Et sur tous ces sujets, et en particulier sur ces deux sujets que je viens d’évoquer, parce qu’ils se construisent en profondeur dans ces tensions éthiques, entre nos principes, parfois nos idéaux et le réel nous ramènent à l’humilité profonde de notre condition ».

Réel au secours duquel vole l’orateur, qui insiste sur « l’humanisme réaliste » dont il est l’apôtre, un humanisme qui voit un peu plus loin que les principes. Parce que c’est vrai que c’est encombrant, les principes. Celui de l’interdit de tuer, par exemple, quand on veut légaliser l’euthanasie…

Qui le premier, de la poule ou de l’œuf, des principes ou de l’action ?

« L’Église accompagne inlassablement ces situations délicates et tente de concilier ses principes et le réel », compatit le Président. Mais il a une solution : dans la pensée chrétienne, les principes moraux doivent servir à éclairer l’action, à nourrir le jugement prudentiel, et parfois, c’est vrai, le discernement est compliqué. Ou, pire encore, les principes nous indiquent que l’acte que nous voulons poser est mauvais et qu’il faudra renoncer peut-être à notre confort, à certains plaisirs… Le Président Macron propose l’inverse : regardez la réalité et voyez comment, en les tordant dans tous les sens, vous pourrez dire que vous avez pu y appliquer vos principes. Ce n’est pas si compliqué ! 

Dans ce même élan de charité, le président nous a aussi assuré tout son soutien, nous, croyants, qui devons vivre « cahin-caha » avec notre côté « intempestif » mais il le prie qu’on lui pardonne, lui l’homme raisonnable, de vivre « dans le temps du pays ». 

Et bien sûr, il y a l’ultime, la fabuleuse requête du Président : que les catholiques fassent « don » de leur liberté spirituelle à la République. Carrément. 

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