Marché de la procréation, attention danger !

Publié le 27 Avr 2018
Marché de la procréation, attention danger ! L'Homme Nouveau

Alliance VITA est une association créée en 1993 à l’occasion des premières lois de bioéthique. Elle remplit deux missions : aider tous ceux qui sont confrontés aux épreuves de la vie ainsi que sensibiliser à la protection de la vie humaine, le public et les acteurs des diférents niveaux politiques. C’est dans le cadre de cette deuxième mission que l’association a organisé pendant trois jours, du 17 au 19 avril, à Paris, un showroom privé, afin de dénoncer les dérives présentes et à venir autour du marché de la procréation artificielle. Nous avons rencontre Caroline Roux, délégué générale adjointe et directrice de VITA International, à la fin de ces trois jours, afin de dresser un bilan de l’action et un état des lieux de la situation en France. 

Vous avez mis en place pendant trois jours à Paris un showroom privé sur le modèle de ce que les agences du marché de la procréation peuvent proposer. Quels étaient les objectifs de votre showroom ? 

Showroom VITA 1

Cette boutique avait pour but de montrer, d’une manière symbolique, vers où on risque d’aller en matière de procréation. Les techniques de procréation artificielles posent  en elles-mêmes des questions éthiques majeures. Légaliser  l’assistance médicale à la procréation hors indication médicale, ce serait une rupture. Beaucoup nous disent que ça ne changera rien. En réalité, ce serait basculer dans la fabrication d’enfants.

Dans le cas de la PMA pour « toutes les femmes », les enfants seraient délibérément privés de père, et les hommes réduits à des fournisseur de gamètes. Puis, Inéluctablement, des hommes demanderont à « procréer seuls », en revendiquant la gestation par autrui et le recours à de mères porteuses…

Plus globalement, cette initiative vise à prévenir le basculement de notre société dans un marché qui fait de l’être humain un produit, une marchandise qu’on fabrique sur commande, qu’on sélectionne et qu’on trie, qu’on achète et qu’on jette. Car en effet, derrière ces techniques de procréation, un engrenage a déjà commencé. Se profile une explosion de la sélection, par le diagnostic prénatal et, spécialement par le diagnostic préimplantatoire (DPI). Le professeur Jacques Testart prédisait que dans l’avenir plus personne ne voudrait avoir des enfants de façon naturelle, parce que l’on voudra vérifier la qualité de l’enfant à naître.

Ce futur devient de plus en plus crédible. Certains revendiquent d’ailleurs, dans les Etats généraux de la bioéthique, la généralisation des tests préconceptionnels pour vérifier la qualité génétique des membres du couple et procéder à des fécondations in vitro pour sélectionner les embryons indemnes de risques de maladie. C’est déjà possible actuellement pour des personnes susceptibles de transmettre des maladies génétiques héréditaires. 

Face aux souffrances réelles des personnes, célibataires ou en couple, qui ont un profond désir d’enfants, comment réagissez-vous ? 

Dans notre service d’écoute SOS Bébé, nous accompagnons des personnes confrontées à l’infertilité ou qui ont un désir d’enfants.

Nous constatons que la procréation artificielle est souvent l’unique solution proposée aux couples sans autre alternative. Je suis particulièrement marquée par les couples à qui l’on propose des inséminations ou des fécondations in vitro (FIV) avec donneur. En plus de la souffrance du conjoint touché par la stérilité qui nécessite un accompagnement particulier, s’ajoute la perspective que ce dernier n’ait pas de lien génétique avec l’enfant. Les couples aimeraient en discuter, et souvent ils font face à l’incompréhension du personnel médical face à leur refus ou leurs hésitations.

Ce que nous partage les couples, c’est leur désir profond que leur fertilité soit restaurée, pour procréer de manière autonome. Une femme nous confiait récemment avoir fait un cycle de PMA et finalement elle a été enceinte naturellement. Elle s’interrogeait douloureusement :  « j’ai eu un enfant naturellement, je suis guérie, mais j’ai quatre embryons, que faire ? Quatre de plus, je ne peux pas et je ne peux pas les détruire non plus… » 

Cette situation est loin d’être exceptionnelle.

Des personnes peuvent être tentées mais aussi se sentir fragilisées par ce que fait miroiter la technique. Il arrive d’ailleurs que des femmes seules s’adressent à nous, se demandant comment faire pour avoir un enfant, alors que l’horloge biologique a tourné, vers 35-40 ans ou au-delà. C’est souvent l’occasion de vrais échanges pour explorer la fécondité qu’elles peuvent exercer autrement. Nous constatons la valeur protectrice de la loi quand elle pose des limites. 

À Alliance VITA, nous demandons, et nous l’avions déjà demandé lors de la révision de la loi bioéthique de 2011, que soient conduites des recherches sur les causes de l’infertilité pour la prévenir. L’infertilité a explosé ces cinquante dernières années, spécialement chez les hommes. On sait que les causes peuvent être liées à nos modes de vie et à des questions environnementales, avec les perturbateurs endocriniens notamment.  Le retard de la maternité est également une cause fréquente de recours à la PMA. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) préconise de mieux informer hommes et femmes sur les âges de la fertilité par des campagnes ciblées, notamment auprès des jeunes et de  favoriser les conditions sociales de maternité plus jeunes qui permettent aux femmes jeunes qui le souhaitent de concilier entrée dans la vie professionnelle et maternité. Ces propositions vont dans le bon sens.

Concernant ces embryons congelés dont vous parlez plus haut, que faire ? 

Nous sommes clairement dans une impasse. En France, plus de 220 000 embryons sont congelés actuellement dont un tiers ne fait plus l’objet de projet parental. Les couples sont consultés annuellement, sur leur devenir. S’ils ne souhaitent pas poursuivre de nouvelles grossesses, ils peuvent être détruits, donnés à la recherche ou à un autre couple.

Alliance VITA s’est toujours prononcé contre la congélation des embryons, nous avons demandé un moratoire sur le sujet et de stopper la congélation. En réalité, il s’agit d’une forme d’acharnement que l’on fait subir aux embryons détenus congelés de façon inhumaine.

Pour revenir sur ce showroom, quel a été son impact, les premiers retours ? 

Showroom VITA 3

Plusieurs articles sont parus dans la presse : ils ont permis que le message soit diffusé largement. Pour certains cela a été un électrochoc.  

Notre action a coïncidé avec la publication du livre de Blanche Streb, Bébés sur mesure – Le monde des meilleurs, une synthèse importante de ce qui se fait déjà actuellement en matière de procréation artificielle, mais également de ce qui pourrait advenir.

Des couples en Grande-Bretagne utilisent le DPI pour que leurs enfants soient indemnes de strabisme. Des personnes ayant une surdité héréditaire ont obtenu aux Etats-Unis de faire naître un enfant délibérément sourd. Avec la technique, tous les possibles deviennent imaginables. Des chercheurs étudient la reprogrammation des cellules somatiques ou embryonnaires pour en faire des gamètes « artificiels ». Aujourd’hui, des enfants génétiquement modifiés sont déjà nés au Mexique ou en Ukraine avec la technique de la FIV 3 parents. Des recherches sont en cours pour modifier des gènes défectueux au stade embryonnaires avec le risque de transmettre les modifications aux générations futures. Certains, issus du mouvement transhumaniste, imaginent pouvoir augmenter les capacités génétiques des embryons.

Ce livre est important pour saisir la portée des débats de la prochaine révision de la loi de bioéthique.

Quelle a été, à votre avis, la première rupture qui a entraîné les dérives que vous constatez ? 

En provoquant de multiples ruptures dans le continuum de la procréation, de l’union des corps jusqu’à la naissance, l’assistance médicale à la procréation pose des questions éthiques à chaque stade de dissociation.  C’est ce que souligne d’ailleurs le CCNE dans l’avis sur la PMA, rendu en juin dernier et mentionné plus haut. Le fait que la fécondation puisse avoir lieu hors du corps de la femme a rendu l’embryon disponible, sélectionnable et chosifiable.  De même dissocier les gamètes du corps, ces cellules très particulières et personnelles, porteuses de l’hérédité génétique de chaque parent, aboutit à priver les enfants d’une partie de leur patrimoine génétique. Aujourd’hui des enfants nés avec donneurs devenus majeurs demandent d’avoir accès à leurs origines.

En 1994, la France a pris ces risques éthiques pour répondre au désir et à la souffrance des couples confrontés à une infertilité. Pour éviter trop de dérives, le législateur avait prévu quelques gardes fous : que l’infertilité soit médicalement constatée et que les couples soient composés d’un homme et d’une femme, vivants et en âge de procréer.  L’urgence actuelle serait d’évaluer ces pratiques quand on constate la surproduction exponentielles d’embryons et la difficulté de certains enfants nés avec donneurs en quête de leurs origines.

Le problème en amont ne serait-il pas un problème plus philosophique et anthropologique qu’un problème législatif et technique ? 

Les médecins de la procréation se sont progressivement sentis redevables de donner un enfant aux couples, souvent en grande souffrance de ne pouvoir engendrer, quels que soient les moyens. Cependant, plus de la moitié des couples demeurent sans enfant à l’issue des parcours de procréation.

Le problème en effet est d’avoir absolutisé la technique en oubliant que la sexualité et la procréation humaines sont des domaines délicats, personnels et intimes. Ce sont les personnes elles-mêmes qui témoignent de ces parcours du combattant, éprouvants physiquement et psychologiquement pour les couples. Aujourd’hui il s’agit de revenir aux fondamentaux :  qui est l’Homme ? Quel est le sens du corps et de nos limites ?  

Des approches plus naturelles à partir de l’observation du corps et de ses rythmes commencent à émerger, comme les naprotechnologies, qui offrent une aide médicale pour favoriser une conception naturelle.

Quelle société voulons-nous ? C’est la question posée par les Etats généraux de la bioéthique.

Plus d’informations sur le site d’Alliance Vita

© Photos : Albane de Marnhac

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