Confrontée comme infirmière à la sédation terminale, paravent législatif de l’euthanasie, Odile Guinnepain a fondé « Nos mains ne tueront pas ». Cette antenne d’écoute et de formation au sein de « Choisir la vie » est une réponse pour soutenir les soignants qui veulent soulager et non pas achever le malade. Entretien.
Vous venez de recueillir par le biais de l’antenne d’écoute « Nos mains ne tueront pas » le témoignage d’une aide-soignante en dépression depuis trois ans après avoir été confrontée à la réalité des IVG dans les hôpitaux. Que fait l’antenne pour elle ?
Odile Guinnepain : Ce que nous faisons d’abord pour cette femme, c’est écouter sa détresse, sa souffrance. Elle peut parler simplement, librement, sans forcément de réponses ni de conseils qu’elle n’est peut-être pas prête à entendre. Parler à un autre professionnel de santé lui donne ce sentiment d’être mieux comprise. Car c’est là l’une des intuitions de « Nos mains ne tueront pas » : une écoute pour les professionnels de santé, par des professionnels de santé. Cette femme a pu exprimer sa souffrance sans qu’on lui dise que ce n’était pas grave. Comme aide-soignante, elle a vu de nombreux fœtus déchiquetés par curetage, qu’elle était chargée de rassembler pour vérifier que l’intégralité du fœtus avait été retiré du corps de la mère, avant de les mettre aux ordures. Nous lui disons que sa souffrance est normale, et même saine… alors que la société lui dit l’inverse. Cette femme nous a dit qu’elle se sentait écoutée pour la première fois. Au fond, elle percevait un grave tabou sur l’IVG dans notre société, même si elle n’est pas capable d’en formaliser la cause, et avec nous, elle est libre d’en parler.
Comment est née l’antenne d’écoute « Nos mains ne tueront pas » ?
L’antenne est officiellement née le 22 janvier dernier, lendemain de la Marche pour la Vie mais l’idée date de 2015. Je suis infirmière depuis vingt ans, orientée en soins palliatifs depuis treize ans. La loi Claeys-Leonetti a provoqué le déclic. Cette loi « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie » (dont il est intéressant de souligner qu’elle ne concerne pas que les malades en fin de vie !) propose, dans son article 3, la sédation jusqu’à la mort sous certaines conditions. Par expérience, je pressentais alors que cela aboutirait à de nombreuses euthanasies déguisées. Mais comme, justement, il ne s’agit pas « officiellement » d’euthanasie, les soignants ne peuvent invoquer l’objection de conscience. Ce sont ces deux réalités qui ont généré l’idée de dire « non » et de le manifester. J’en ai parlé à une amie infirmière. Nous sommes allées à la Marche pour la Vie de 2015 avec nos blouses blanches, disant que nous en avions marre d’être instrumentalisées pour tuer. Notre présence a interpellé plusieurs personnes, alors nous avons décidé d’aller plus loin. Il fallait faire quelque chose pour encourager, soutenir, accompagner tous les soignants confrontés à des problèmes éthiques. J’ai parlé de mon projet à Cécile Edel, présidente de Choisir la Vie, qui a proposé que l’antenne d’écoute soit rattachée à cette association.
Pour l’instant, je suis la seule écoutante mais nous espérons développer l’antenne, avec plusieurs professionnels de santé et un numéro officiel de ligne d’écoute.
Pourquoi insistez-vous sur la nécessité que les écoutants soient des professionnels de santé ?
L’idée n’est pas de se dire que les soignants sont de « meilleurs écoutants » que les autres, loin de là, mais il y a forcément des choses que l’on ne peut mesurer quand on n’est pas sur le terrain du soin. Par ailleurs, un soignant peut donner à un autre soignant des conseils très techniques et très pratiques pour éviter les situations délicates, essentiellement liées à l’avortement et à l’euthanasie, et c’est aussi l’un des objectifs de l’antenne.
Au début de ma carrière, j’ai moi-même été témoins d’actes d’avortement et d’euthanasie, j’ai donc quitté le lieu où je travaillais. Aujourd’hui, j’ai la chance d’être responsable de l’organisation des soins palliatifs là où ou j’exerce. J’aide donc à développer des démarches palliatives dans le respect des personnes et nous n’avons pas à pratiquer de sédation terminale désordonnée car nous anticipons les problèmes, nous cherchons toujours à comprendre nos patients. J’ajoute que nous leur proposons le sacrement des malades qui les apaise d’une manière incroyable. En fait, comme le préconisent les soins palliatifs, nous avons le souci du malade à tous les niveaux, physique, psychologique, social, intellectuel et spirituel ; sauf, qu’aujourd’hui le mouvement des soins palliatifs ne fait quasiment plus le lien entre le spirituel et la foi. En conséquence, l’une des réponses fréquente à la souffrance ou au combat spirituel en fin de vie, c’est la sédation terminale.
On sait que certaines personnes attendent pour mourir, la visite d’un proche, un pardon… Il faut savoir le détecter ! Je pense à cette femme que nous avons accompagnée il y a quelques mois : elle avait reçu le sacrement des malades, sa douleur était soulagée, elle n’était quasiment plus consciente et « prête à mourir ». Et pourtant, la mort ne venait pas. Cette femme n’avait plus de famille, hormis deux belles-filles très éloignées. Alors je suis allée la voir et me suis adressée à elle, même si elle était inconsciente. Je lui ai expliqué que j’avais eu ses belles-filles au téléphone, qu’elles ne pouvaient pas venir et lui ai demandé pardon pour elles… Mildred s’est éteinte paisiblement deux heures plus tard ! Bref, il est intéressant que ce soit des soignants qui parlent à des soignants, afin de pouvoir donner ces conseils très pragmatiques et éthiques dans le soin.
Que ferez-vous des témoignages recueillis via l’antenne d’écoute ?
Dans la mesure où les soignants qui ont appelé sont d’accord, les témoignages seront publiés sur le site Internet de Choisir la Vie. Il faut que ces témoignages soient connus pour que tous aient conscience de ce que vivent les professionnels de santé.
« Nos mains ne tueront pas » propose aussi des formations ?
La prière est indispensable pour affronter les situations délicates mais nous avons aussi le devoir de nous former et d’entendre les expériences d’autres soignants. La première formation aura donc lieu les 27 et 28 mai à Paris, sur le thème : « Comment contourner la sédation euthanasique ? ». Nous recevrons cinq intervenants, dont Mgr Michel Aupetit, évêque de Nanterre et médecin de formation, ainsi qu’Hugues de Saint-Vincent, membre de l’Institut pour le Leadership Vertueux. C’est très intéressant car le leadership vertueux est une pédagogie fondée sur des fondements chrétiens qui permet de développer un tempérament de meneur au service du bien commun. Cela nous permet de prendre des responsabilités pour faire passer des idées et des pratiques respectueuses de la vie. Il ne suffit pas de se plaindre, il faut prendre les choses en main ! Nous recevrons aussi Laurence Leménager, enseignante en philosophie, qui parlera du sentimentalisme et des pièges auxquels il conduit dans la réflexion éthique. Enfin, une autre infirmière et moi-même nous donnerons également un témoignage.
Nous prévoyons d’organiser ensuite une formation autour de la problématique de l’avortement. Nous avons accompagné, via l’antenne d’écoute, notamment une sage-femme et deux infirmières récemment diplômées et qui ont pourtant toutes les trois abandonné leur poste pour ne pas avoir à participer à des IVG et à des sédations euthanasiques.
Qu’attendez-vous de ces formations et de cet échange d’expérience entre soignants ?
Que nous, soignants, n’ayons plus peur de dénoncer, de dire publiquement notre refus d’être instrumentalisés pour tuer. Aujourd’hui, les soignants ont peur, se sentent isolés, n’osent pas se manifester face à des problématiques éthiques et manquent souvent de formation. Lorsqu’on regarde les débats organisés par les médias sur ces problématiques, on entend très rarement des soignants exprimer leur mal-être ou la réalité de l’avortement. Or, je pense qu’il est important aujourd’hui de faire entendre notre voix. Et pour cela, ayons confiance : Dieu ne choisit pas ceux qui sont capables pour le servir et témoigner, mais il rend capables ceux qu’Il choisit !
De cette culture de mort, dont, nous, soignants silencieux, sommes en partie responsables, nous aurons des comptes à rendre au Ciel, c’est sûr, mais aussi devant les hommes. Souvenons-nous du second procès de Nuremberg en 1946-1947, qui a jugé les médecins et les infirmières militaires travaillant dans les camps de concentration. Comme les dirigeants et organisations nazies, ces soignants ont été condamnés notamment pour crimes de guerre et pour avoir eux-mêmes ordonné ou couvert des pratiques et expériences inhumaines mais, en plus, pour avoir obéi à des ordres et à des lois injustes sans avoir fait objection de conscience. Je pense souvent à sainte Bernadette, qui disait à ceux qui doutaient des apparitions mariales : « Je ne suis pas chargée de vous le faire croire. Je suis chargée de vous le dire. » C’est pareil pour nous. Nous ne sommes pas chargés de faire croire la vérité aux autres, cela dépend de leur conscience et de leur libre arbitre. Nous sommes chargés de la leur dire et de renoncer, dans nos métiers, à servir la culture de mort. N’oublions jamais que soigner n’est pas tuer.
Si, à la prochaine Marche pour la Vie du 21 janvier 2018, au moins une centaine de soignants venaient manifester en blouse blanche, cela pourrait marquer les esprits !
Vous parlez de la nécessité pour les soignants de se rassembler pour dénoncer les pratiques qui leur sont imposées mais si, dans le milieu catholique pratiquant et formé, la question de l’avortement ne fait quasiment pas débat, les choses sont plus complexes concernant l’euthanasie, sur lequel l’accord et plus difficile à trouver…
Il est clair qu’il y a un déficit concernant l’euthanasie, et qui touche précisément la question de la sédation terminale. Beaucoup ne voient pas le problème parce que sédater, c’est éviter toute souffrance ou soulager toute souffrance. Or, derrière la souffrance, tant de choses se disent et se manifestent dont la réponse n’est pas la sédation. L’inconvénient aujourd’hui est que nous avons un regard tellement lésé sur la personne humaine que nous ne sommes plus en capacité de réfléchir sur son mystère, son unicité, son caractère précieux et la valeur de sa vie. En conséquence, lorsqu’en fin de vie, quelque chose de son mystère nous dépasse et nous désoeuvre, nous choisissons la solution de facilité qu’est l’endormissement abusif qui élimine un problème plutôt que la recherche du vrai bien de la personne. Finalement, c’est le même problème que l’avortement ; plutôt que de prendre les moyens professionnels, humains, sociaux pour aider des femmes à accueillir l’enfant dans le mystère de sa venue inattendue, de sa fragilité physique ou mentale etc., on élimine l’enfant en pensant éliminer un problème.
À ce regard lésé des soignants et à leur manque de formation, souvent s’ajoute le manque évident d’effectifs et de temps… Sédater tout le monde évite d’avoir à prendre le temps de chercher comment prendre soin du patient au mieux, évite aussi d’être confronté à la personne qui souffre.
Il manque une vraie politique de santé publique en France depuis un certain nombre d’années maintenant. J’observe, depuis vingt ans que je travaille, une vraie détérioration des soins. Aujourd’hui, la science et la médecine progressent sur la guérison de certaines pathologies, les soins et l’amélioration des conditions de vie de beaucoup de personnes gravement malades et c’est un réel progrès. Mais, parallèlement, la qualité de soins et les moyens pour soigner ne cessent de se dégrader. Et les premières victimes en sont les plus fragiles.
Pourtant, on observe aussi depuis vingt ans de vrais progrès dans le développement des soins palliatifs et la prise en charge de la douleur !
Bien sûr, il y a de vrais progrès sur le plan technique dans le soulagement de la douleur et de certaines souffrances, mais cela ne suffit pas, il y a encore un grand manque de formation et de réflexion profonde. La culture de mort ambiante génère des soignants qui sont de bons professionnels mais qui ne sont plus des battants et surtout, qui ne distinguent plus la différence entre le bien et le mal. Dans la culture soignante aujourd’hui, beaucoup d’actes de soins bons deviennent un mal et inversement.
C’est le paradoxe de la sédation terminale. Endormir quelqu’un jusqu’à sa mort pour éviter qu’il souffre est un bien et c’est un mal que de refuser de le faire parce qu’il est plus juste de trouver une solution alternative qui serait plus adaptée, respectueuse de sa vie et de son cheminement. Beaucoup de soignants ne réalisent plus qu’ils soignent des objets de soin, plutôt que des personnes ! Figurez-vous que, comme infirmière, il m’a été demandé récemment de suivre une formation à « l’Humanitude ». Nouveau concept né il trente ans, véritable « guide spirituel » du bon soignant ! Ce n’est pas une blague, c’est une nouvelle discipline officielle. Je l’ai fait par obéissance… Et cela m’a au moins permis de voir jusqu’où pouvait aller la bêtise humaine. On y réapprend à dire bonjour en regardant dans les yeux, à prendre le temps pour faire les soins… C’est dire ! Puis, comme les vaches qui ont un label bio, les institutions peuvent obtenir le label « Humanitude » qui garantit que vous y serez à peu près correctement soigné. La limite de cette pédagogie, c’est qu’elle ne développe qu’une philosophie du bien-être, avec les dérives que cela peut engendrer. L’avortement est devenu un droit « pour le bien-être de la femme ». La sédation jusqu’à la mort a été libéralisée « pour le bien-être du mourant, de ses proches et de la société » !
Nous avons tellement perdu le sens de la souffrance humaine et de la personne humaine, qu’il nous est difficile de soigner humainement : nous sommes dans une logique uniquement du bien-être et non plus dans une logique du bien de la personne et du bien commun. La finalité du soin, c’est le bien de la personne ; le bien-être n’en est qu’un moyen. Nous, soignants, devons faire la distinction entre ce qui est légal et ce qui est juste.
W.-E. Formation pour les professionnels/étdts en santé les 27 et 28 mai au 70, bd Saint-Germain, Paris Ve. Contact et inscription au plus tard le 20 mai. Tél. : 02 54 01 11 24 / 06 74 18 25 30 – nosmainsnetuerontpas@gmail.comwww.choisirlavie.fr