Dans le monde actuel, il peut sembler normal de désespérer. Mais c’est justement dans ces moments d’affaiblissement, que la beauté doit pouvoir nous redonner espoir, et sauver nos âmes.
À regarder le monde qui nous entoure, de la France à l’Église, comment ne pas être déboussolés, désolés, pour ne pas dire écœurés… Cette atmosphère, déjà en 2009, le pape Benoît XVI constatait combien elle était marquée « non seulement par des phénomènes négatifs au niveau social et économique, mais également par un affaiblissement de l’espérance, par un certain manque de confiance dans les relations humaines, c’est la raison pour laquelle augmentent les signes de résignation, d’agressivité, de désespoir ».
Dans cet extrait de discours, adressé aux artistes réunis devant lui dans la chapelle Sixtine, il s’agissait alors pour le Pape de guider son auditoire vers une porte de sortie avantageuse : « Qu’est-ce qui peut redonner l’enthousiasme et la confiance, reprenait-il, qu’est-ce qui peut encourager l’âme humaine à retrouver le chemin, à lever le regard vers l’horizon, à rêver d’une vie digne de sa vocation sinon la beauté ? »
Offrir de la beauté
« Donnez-moi de l’art / Donnez du printemps / Donnez de la beauté », voilà ce que réclamait justement, dans l’un de ses « tubes », le duo de chanteuses « Les Frangines ». Oui, offrir de la beauté autour de nous, devenir ses artisans devient de plus en plus impératif pour tenter de guérir ce monde assoiffé de transcendance.
Lorsque la beauté étreint l’âme et écarquille les yeux, elle permet à chacun de redécouvrir la joie de la vision, de saisir moins confusément le sens profond de son existence. Comme le remarquait Benoît XVI, la beauté authentique est en mesure d’ouvrir le cœur humain au désir profond de connaître et d’aimer, « d’aller vers ce qui est au-delà de soi ».
De l’expressionnisme qui détruit la figure à l’anarchisme dadaïste qui dynamite la forme en passant par la dérision surréaliste qui se moque de la vérité, on comprend mieux la logique de ces remises en cause successives, toujours plus radicales. Les litanies de la disgrâce tiennent du négatif photographique de la beauté divine.
En 2005, le commissaire de l’exposition Big Bang, destruction et création dans l’art du XXe siècle, au centre Pompidou, notait que « depuis le courant moderne qu’ont constitué les avant-gardes, la déconstruction est à la racine même de l’acte créateur ». On est loin des deux facultés immatérielles sources de la réussite artistique louées par Gustave Thibon : l’intelligence qui guide la main et l’amour qui s’applique au travail.
Déjà en 1971, dans une précieuse étude intitulée À la découverte du beau, Jean Ousset faisait remarquer : « Nous ne savons plus voir ». Pour le fondateur de la Cité catholique, jamais le sens esthétique des hommes n’avait été aussi réduit à une telle commercialisation de bas étage, à un tel « buzz » sur fond d’outrance. Trop de nos contemporains (à commencer par nous-mêmes, sans que nous le réalisions suffisamment) ne savent plus écouter, comprendre, goûter. La matière, première victime du matérialisme, a rendu notre monde sec et froid.
S’extraire de l’utile
Mais si la raréfaction de la beauté est l’un des symptômes de la décadence, ses conséquences, on l’oublie facilement, en sont plus tragiques encore : sans beauté, comment cultiver l’esprit contemplatif ? Le beau langage, les belles manières, voilà tant de soleils à distribuer et qui constituent autant de panneaux fléchés en direction du Ciel et de notre Créateur !
Ayons donc conscience que redonner le goût de la beauté incombe au disciple du Christ pour aider son prochain à s’élever, à s’extraire de l’utile ou du scandale, à déceler dans la plénitude des choses et l’harmonie des êtres un tremplin pour devenir meilleur. Prendre le temps de s’échapper du quotidien, et de son bruit, pour mieux le remettre en perspective. La beauté sauvera le monde certes, pourvu que ce dernier sache – ou réapprenne – à le contempler. Socrate avait vu juste, « toute sagesse commence dans l’émerveillement ». Entre la beauté esthétique et la vérité philosophique, la frontière est ténue autant que le lien est solide.
De toute notre espérance
Qui sait voir et observer détient alors les clefs intérieures pour percer le grand secret de la vie de l’esprit. Dans la beauté, il devient en effet possible pour le contemplatif de découvrir le visage de Dieu. À l’inverse, là où l’Esprit ne souffle plus, les réalités physiques et putrescibles finissent par perdre de leur sève et de leur originalité.
Face au monde moderne et à ses déconstructeurs, Georges Bernanos peut nous éclairer. Lutter contre eux, s’y opposer, ne saurait relever d’un baroud d’honneur perdu d’avance. « Ce n’est pas mon désespoir qui refuse le monde moderne. Bien au contraire, nous dit-il, je le refuse de toute mon espérance. » Nous voilà rassurés sur la marche à suivre. Parce qu’à regarder l’aube de 2024, de l’espérance, il est préférable d’en avoir quelques brassées en réserve.
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