Alors que la nouvelle année file déjà, emportée par le rythme accéléré et souvent inhumain de la modernité, il nous est toujours loisible de nous arrêter un instant sur un mystère du calendrier chrétien. Après la naissance du Sauveur, nous avons été invités à commémorer la venue des mages auprès de l’Enfant Jésus. Pour beaucoup d’entre nous, même parmi les catholiques, la fête de l’Épiphanie se réduit souvent au partage d’une bonne galette et, le temps d’un repas, à la reconnaissance d’un des convives comme roi, élu par le hasard ou, s’il est très jeune, par l’habileté d’une main maternelle, capable de donner la part contenant la fève.
Entre galette et conte pour enfants
Ce n’est pas ici que nous nous moquerons de cette vieille tradition catholique et française qui consiste à tirer les rois. Après tout, le catholicisme est une religion de l’incarnation et de la médiation. Loin de tout puritanisme, elle ne désavoue pas les mouvements de joie et les saines agapes qui manifestent le sens d’une fête. À condition, toutefois, de ne pas en oublier la réalité première, ce sens spirituel, destiné à nourrir nos âmes pour les tourner vers le Christ qui reste notre véritable nourriture.
Il y a une dizaine de jours, nous fêtions donc l’arrivée des rois auprès du Christ. Représentant des Gentils, ils sont venus adorer le vrai Dieu et lui apporter leurs dons. Est-ce une pieuse légende ? Une image bordée de rose pour foi enfantine et naïve ? Nos certitudes rationalistes et nombre d’exégètes modernes nous entraînent facilement sur cette pente. Après tout, comment croire réellement à cette histoire d’étoile qui guide des hommes venus de loin ? Comment adhérer à cette succession de faits, de la rencontre avec Hérode jusqu’à la mort des saints Innocents qui en est l’une des conséquences ?
La galette avalée, nous sommes vite tentés d’oublier cette histoire dont on voit bien pourtant la portée symbolique. Représentant des païens, ces rois annoncent l’évangélisation du monde. En Hérode, nous voyons les gouvernants injustes qui ont parsemé l’histoire humaine et le totalitarisme, fruit de la modernité politique. Pour leur part, les saints Innocents forment l’image parfaite des victimes actuelles de l’avortement.
L’Épiphanie ou l’universalité de la foi chrétienne
Dans un livre récemment paru(1), le chanoine Grégoire de Guillebon (ICRSP) reprend à frais nouveau cette question de la véracité de la venue des mages. Plus qu’un livre, il s’agit d’une véritable somme sur l’un des plus grands mystères chrétiens, lié directement à l’Incarnation du Verbe et qui, à ce titre, a été attaqué en profondeur par la bien-pensance exégétique, le rationalisme moderniste, le scientisme torve.
En niant ce seul trait de l’Évangile de l’enfance, il s’agissait d’abattre l’édifice entier du christianisme, en le renvoyant aux légendes et aux contes pour enfants. Parmi d’autres, le chanoine de Guillebon cite par exemple l’exégète protestant allemand Karl Theodor Keim qui affirmait en 1867 : « Nous n’attaquons pas le droit éternel de ces belles légendes parmi lesquelles notre enfance a grandi heureuse. (…) l’histoire idéale ne demande pas obstinément à être de l’histoire réelle. »
L’auteur remarque donc très justement que « l’adoration des Mages est, à bien des égards, emblématique des difficultés auxquelles achoppe aujourd’hui la lecture des Écritures ». C’est pourquoi son livre ne se contente pas de traiter seulement de la venue des mages, mais il insère cette question dans ce qu’est plus largement l’Écriture sainte, affrontant à ce titre les rapports entre texte inspiré et découvertes archéologiques ou encore, ceux entre Révélation chrétienne et manuscrits hébreux. Il propose des critères méthodologiques ainsi qu’une lecture historique et mystique des passages liés à la venue des mages. Il formule enfin des pistes et des hypothèses. Pour ce travail, il a mobilisé les Pères de l’Église, les textes du magistère, les travaux exégétiques et l’on reste impressionné par ce déferlement au profit de la vérité catholique.
Assurément, les spécialistes pourront discuter telles ou telles affirmations. C’est leur rôle. Derrière ce travail, nous voyons pour notre part un grand amour de l’Église, un acte concret de foi et d’espérance, mû par la charité de permettre au plus grand nombre d’entrer, comme le souligne l’auteur à la fin de son introduction, « dans l’intimité du Maître ».
À travers cette plongée dans un mystère chrétien trop sécularisé, nous retrouvons le vrai sens d’une fête et les moyens de continuer à en vivre, bien au-delà du jour de sa célébration. À notre tour, nous devenons des adorateurs en vérité du véritable Dieu. N’est-ce pas, au fond, une bonne manière de commencer une nouvelle année, que de la recouvrir, d’emblée, d’un parfum d’éternité ?
1. Chanoine Grégoire de Guillebon, Les Rois mages dans le mystère chrétien, Librim Concept, 622 p., 29 € (www.librim.fr)