Le philosophe présocratique Héraclite aurait probablement fait un mauvais chrétien. Pour lui, « on ne se baigne jamais dans la même eau », le changement est permanent et la vérité instable. Ce n’est du reste pas un hasard si Karl Marx s’est penché avec soin sur ses écrits pour nourrir les siens : le chaos et la révolution comme principes de progrès.
La philosophie de l’existence proposée par l’Église est tout autre. Sa pédagogie va comme à l’inverse puisque, chaque année, notre Mère nous plonge dans la même eau. La même eau vivifiante de la grâce et de la vérité. Mêmes fêtes. Mêmes textes. Mêmes miracles. Même Credo. C’est là l’honneur et le privilège des enfants de l’Église d’être trempés, encore et toujours, dans ce même cycle et les mêmes mystères de Dieu.
L’art de la répétition
Mais au fond, pourquoi donc cette éternelle répétition ? Sans doute d’abord parce que l’Église, éducatrice des peuples et des âmes, sait bien – comme toute bonne mère de famille – que le meilleur outil pour l’édification de ses fils réside dans l’art de la répétition. La raison ultime de ce recommencement ne relève cependant pas tant d’une affaire de méthode que de l’essence même du mystère de l’Église. Forte d’être l’épouse mystique du Christ, et ainsi de bénéficier de la grâce et de la protection du Fils de Dieu, l’Église n’a pas peur de délivrer chaque année le même enseignement. Pas peur de répéter sans cesse les mêmes choses. « Semper idem », selon la belle devise épiscopale du cardinal Ottaviani.
« Semper idem », toujours le même. Toujours le même message depuis les apôtres. Notre Mère le sait bien : pour être un bon chrétien, il ne s’agit pas de rester dans le coup, au rythme des changements, comme si l’Église de Dieu était une entreprise du CAC 40 contrainte de s’actualiser au rythme des desiderata de ses consommateurs pour se maintenir et espérer se développer… Il s’agit, tout au contraire, de rester dans le cœur. Dans le cœur de Jésus. Au risque d’être un signe de contradiction, possiblement. Mais surtout au bonheur de l’être, s’il s’agit de contredire l’erreur et de nourrir la flamme du phare qui guide ceux qui sont perdus dans l’obscurité.
Tel est le principe du cycle, une continuation, sans arrêt et circulaire, dont le centre est Dieu. En ce mois de juin, comme l’an passé, et l’année qui lui était précédente, et les autres encore qui leur étaient antérieures, et ce depuis des siècles, l’Église militante de la terre invite une nouvelle fois les fidèles à se tourner vers le Sacré Cœur de Jésus. Un cœur source de vie pour nos âmes en manque de palpitations.
Le pape Jean-Paul II voyait juste en affirmant que « la source la plus importante de malheur consiste dans l’illusion de trouver la vie en se passant de Dieu ». Oui, seul l’évangile du Christ est en mesure de répondre à nos aspirations les plus hautes en même temps que les plus secrètes.
Arracher le désir de Dieu
Se passer de Dieu. Voilà le germe de mort de nos sociétés contemporaines. Autant l’époque moderne s’était attachée à séparer la raison de la Foi, cherchant à reléguer cette dernière au domaine privé. Autant notre monde postmoderne s’applique à arracher aux cœurs des hommes le désir même de Dieu. Étouffer le maître de la Vie jusqu’à perdre le sens du bien. Et du réel ! S’abstenir du Cœur, c’est-à-dire écrire les pages de son existence armé d’un stylo, si beau soit-il, sans que ce dernier soit muni d’une encre vive et éclatante.
Une vie, pour être pleinement vécue, ne peut se priver de son organe essentiel. Bien au contraire de nous passer de lui, le Sacré Cœur doit devenir pour nos âmes le passage obligé. « Voici ce cœur qui a tant aimé les hommes » et qui réclame notre gratitude autant que notre bon zèle.
Comme la politesse nous oblige à la prévenance, la raison illuminée par la Foi nous oblige à passer par Celui qui est à l’origine de tout pour vivre ici-bas en plénitude. « Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits : car séparés de moi vous ne pouvez rien faire » (Jean 15, 5). Et si nous ne sommes que de passage ici-bas, et si un jour nous rejoindrons à notre tour la dalle d’un caveau dans le gris des cimetières, la dévotion au Sacré Cœur de Jésus nous presse de sortir de nous-même. Tout de suite, sans attendre.
Au chevalier qui sommeille en nous, le Cœur de Jésus, tel un don Diègue du Ciel, nous interroge : « Rodrigue, as-tu du cœur ? » En guise de réponse, aurons-nous la même générosité, spontanée et imperturbable, que le héros du Cid ?
La force du message du Sacré Cœur tient à sa pertinence autant qu’à son bon sens. Et ce message, le voici : ne pas avoir peur que notre vie touche un jour à sa fin mais craindre plutôt qu’elle n’ait jamais commencé par défaut d’être passée par son brasier d’amour, d’abnégation et de courage. Par son Divin Cœur. Tout est là.
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