[Ce billet a été publié dans la feuille paroissiale de l’abbé Michel-Jean Pillet il nous a proposé de vous le rendre accessible sur notre site]
50 ans après, les films d’archives nous donnent à revoir les images brûlantes et consternantes d’une véritable révolution. Quiconque a vécu de près le déroulement de ces événements peut témoigner de l’effondrement de toutes les structures d’autorité, dans les universités, les entreprises, les administrations. C’est toute la société qui s’effondrait sous elle.
Un processus révolutionnaire
Avec Mai 68, on a pu retrouver le scénario de ce qui s’est passé en France de 1789 à 1793, en Russie en 1917, en Chine et ailleurs. Et comprendre les diverses phases du processus révolutionnaire : provocations entraînant la répression pour donner libre cours à la violence et discréditer l’autorité, fiction de démocratie directe dans des assemblées prétendues « générales » soigneusement noyautées, version étudiante du soviet révolutionnaire, diabolisation des adversaires justifiant leur élimination, puis, ou en même temps, dialectisation du corps social – « qui n’est pas avec nous est un ennemi » – et matraquage de la propagande annihilant tout sens critique, etc.
Et les slogans révolutionnaires, anarchistes et libertaires qui foisonnèrent alors ne furent pas que des graffitis sur des murs : ce fut une imprégnation profonde et durable des idéologies marxisantes ou nihilistes dans de larges pans de la société. « Ni Dieu, ni maître ! » : une société sans père et sans repères.
Des virus inoculés
50 ans après, l’héritage de Mai 68 est loin de faire l’unanimité, les uns estimant que cette révolution a marqué la fin du respect et de la morale, les autres une libération et une prise de conscience salutaires. Ainsi, l’historien Pascal Ory estime que « Mai 68 a été un échec politique, mais une réussite culturelle sur la longue durée », citant en exemples la loi Veil, le mariage pour tous ou la préoccupation écologique. Tous sont d’accord pour dire que Mai 68 a été une rupture et, qu’on le veuille ou non, nous sommes tous les enfants de Mai 68.
A l’époque, la « chienlit » n’a duré que quelques semaines. Mais les retombées sont toujours là, les cicatrices se rouvrent périodiquement et de nombreux virus ont été inoculés pour longtemps dans un corps social qui reste malade. Alors que marxisme et communisme ont accompagné l’empire soviétique dans son naufrage, les idéologies demeurent vivaces dans l’inconscient collectif français.
De mauvais plis ont été pris qui sont devenus comme une seconde nature chez les petits enfants de Mai 68 : c’est ainsi que, insensiblement, l’individualisme jouisseur a pris le pas sur le dévouement au bien commun ; la défense des droits sur le sens du devoir ; les revendications sectorielles sur l’esprit de la nation ; l’Etat vache-à-lait sur l’Etat de droit.
Les retombées sont là
Les retombées, elles sont là sous nos yeux : une économie qui tourne au ralenti (la France est en récession depuis 10 ans) ; le chômage qui touche de près ou de loin 10 millions de Français ; le fiasco de l’enseignement, confirmé par toutes les études internationales et le chômage des jeunes ; le nivellement par le bas détruisant l’ascenseur social ; le tourisme sexuel et la drogue qui démoralisent la jeunesse ; la rébellion qui couve dans les cités avec des scènes de combats de rue et l’insécurité ; l’échec de l’intégration sociale ; des groupes qui méprisent d’autant plus la France qu’elle se méprise elle-même ; des débats télévisés ou des séances à l’Assemblée qui tournent au pugilat ; le désintérêt de la politique avec des taux d’abstention aux élections proches de 50% ; le délitement de la cohésion nationale et la communautarisation qui en résulte ; la fragilisation de la famille et la baisse démographique ; le nivellement de l’art qui confine au vulgaire, au provoquant, au ridicule…
Ajoutez à cela les ZAD, les FAC et les antifas de tous bords… et vous avez tous les ingrédients pour un 50ème anniversaire plus explosif qu’un feu d’artifice.
L’âme de la France
Ce qu’à Dieu ne plaise ! Car, ce qui est étonnant, c’est que tout cela n’explose pas, et que, depuis 50 ans, la France et les Français – génétiquement et incorrigiblement râleurs – continuent de vivre et d’espérer. Et le meilleur de nous-mêmes, malgré tout ce qui peut nous déprimer ou nous enfermer, est toujours prêt à resurgir. Comme en témoigne le geste héroïque d’un Arnaud Beltrame, ou la persévérance obstinée d’œuvres associatives bénévoles comme « les Restos du cœur », « le Rocher oasis des cités », « Espérance-banlieue », et tant d’autres qui travaillent à reconstruire le tissu social. Tant il est vrai que la France n’a pas perdu son âme (chrétienne) et qu’au lieu d’attendre le changement des structures par une révolution qui casse tout en faisant table rase du passé et en sabordant l’avenir, il est plus sûr et plus sage de le faire advenir par une révolution des cœurs, en profondeur.
Mai 68 nous aura peut-être appris cela ? Mais ce message, il est déjà dans l’Evangile, et ça fait 2000 ans !