Les Saintes Ecritures sont peu disertes sur Melchior, Gaspard, Balthazar et leur caravane. S’ils ont suivi l’étoile jusqu’à la crèche, nous savons surtout qu’ils venaient d’Orient. Un mot mystérieux, dans lequel réside un enseignement aussi riche que leurs trésors.
Au nombre des divers événements de la vie du Christ que l’Église naissante avait jadis coutume de commémorer le 6 janvier, la visite des Mages semble avoir peu à peu supplanté les autres. De sorte que la Nativité du Verbe selon la chair, son baptême au Jourdain, les noces de Cana, la multiplication des pains, n’entrent aujourd’hui dans la logique de l’Épiphanie que d’une manière seconde et indirecte, comme pour accentuer la lueur douce et onctueuse qui a illuminé le ciel de la Judée dans la nuit de Noël.
Si la Tradition vivante de l’Église, par la voix de ses interprètes autorisés que sont les Pères et les Docteurs, fournit aux curieux de nombreux détails sur ces pèlerins impromptus, l’Écriture observe quant à elle une très puissante discrétion, nous contraignant à demeurer fixés sur l’essentiel. Une précision de grande valeur retient cependant notre attention : ces Mages viennent d’Orient (Matthieu, II, 1).
Orient : un mot à multiples entrées
Chez les auteurs classiques de l’Antiquité comme pour les Juifs, le terme « orient » constituait une dénomination approximative permettant d’embrasser d’un seul regard de l’esprit les immenses contrées situées au-delà du Jourdain. Ce nom évoquait d’antiques prophéties et quelques faits marquants, tantôt heureux, tantôt douloureux, de l’Histoire Sainte, depuis la migration d’Abraham à l’oracle de Zacharie : « Voici, un homme, dont le nom est Orient ; il germera dans son lieu, et rebâtira le temple de l’Éternel » (Zacharie, VI, 12).
En grec et en latin, le nom « orient » possède une très riche signification ; il qualifie une série hétéroclite de phénomènes naturels, s’étendant de la floraison des semences au lever du soleil, phénomènes qui ont toutefois en commun de décrire un commencement, une croissance, un éveil progressif et décisif. L’Orient est le lieu de la renaissance, du retour, de l’apprentissage, parce qu’il est également celui de la création, Dieu ayant dans l’œuvre des six jours établi l’Éden à l’Orient (Genèse, II, 8).
Lorsqu’il indique que les Mages viennent d’Orient ou que l’étoile les conduisant jusqu’au berceau de l’Enfant-Roi s’est elle-même levée en Orient, saint Matthieu entend donner un enseignement d’ordre spirituel, esquissant de ce fait l’attitude intérieure des augustes voyageurs. L’astre, si l’on en croit saint Jean Chrysostome et un sentiment commun de la Scolastique, est à la fois l’étoile miraculeuse, la lumière de la foi, la Vierge-Mère et l’Enfant nouveau-né ; il est le suprême pédagogue de ces hommes de bonne volonté, que la grâce de l’Incarnation vient soudainement extraire du sommeil de l’erreur, de l’idolâtrie et du péché.
De l’Orient géographique à l’orientation au Christ
C’est de l’Orient que reviendra le Christ au jour de son retour, selon une mémorable tradition des chrétientés primitives. Il ne se manifestera plus pour sauver mais pour juger ; l’effort de conversion qu’il exige de ses fidèles peut être résumé en cette orientation du cœur vers le Sauveur du monde. Voilà pourquoi l’orientation des Mages revêt une triple exemplarité.
Elle exprime avant tout l’attente d’un jour nouveau, d’une nouvelle naissance, de la révélation des Cieux et invite en ce sens à la plus entière disponibilité au bon vouloir de Dieu ; mais l’Orient est également un lieu de pénitence et de repentir, puisque le Tout-Puissant jamais ne s’impose au cœur humain. Il agit avec une dextérité sans pareil pour le façonner à son image et le modeler à sa ressemblance.
Lors du premier péché, nos parents ont perdu leur ressemblance au divin modèle, parce que leur jugement erroné les a privés de la sainteté dont Dieu avait orné leur âme. Chassés du Paradis, ils ont été envoyés à l’Occident et doivent désormais revenir par les larmes et la contrition à leur véritable patrie qui est l’amitié divine. Voilà pourquoi les Mages repartent par un autre chemin, ayant à Bethléem dépouillé leur cœur des illusions et des mensonges de la vie pour les revêtir du Christ.
La dernière orientation que nous suggère le texte sacré est celle du culte, qui est substantiellement un acte d’adoration dû au seul vrai Dieu. Devant l’humble crèche, les Mages s’agenouillent et adorent, avant de présenter au Messie les titres de leur vénération : l’or de la royauté, l’encens de la divinité, la myrrhe de la souffrance humaine. Leur attitude est empreinte de profondeur et de gravité : il s’agit d’un acte cultuel, que ces prêtres persans réalisent avec la dévotion intérieure et la minutie extérieure dignes d’un tel événement.
Ils reconnaissent alors dans l’Enfant-Dieu la terre nouvelle, remède aux désillusions de l’histoire humaine et accomplissement de l’attente hébraïque, cette terre promise en héritage aux fils d’Abraham (Genèse, XIII, 15), ceux qui ne sont pas nés de la chair et du sang, mais de la foi, terre qui est simultanément un nouvel Éden et une nouvelle naissance pour les malheureux fils d’Ève.
L’Orient n’est pas seulement une indication d’ordre géographique ; il est un argument spirituel de premier plan qui nous invite à réformer notre appréhension des réalités d’ici-bas en l’ajustant au bon vouloir de Dieu. L’Orient vient signer du cachet de l’exclusivité la recherche humble et sincère du Salut ; il nous apprend que nul ne peut trouver le Rédempteur s’il n’accepte auparavant de l’établir maître de ses préoccupations, de ses désirs et de son existence toute entière. École de confiance, de foi et d’amour, il rectifie notre jugement, tempère nos passions, étanche notre soif, apaise nos tourments.
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