La pause liturgique : Introït « Nos autem » (Sainte Croix & Jeudi Saint)

Publié le 14 Sep 2024
grégorien croix introït

« Pour nous, il convient que nous nous glorifiions dans la croix de notre Seigneur Jésus-Christ, en qui est notre salut, notre vie et notre résurrection. Par lui nous sommes sauvés et libérés. Que Dieu ait pitié de nous et qu’il nous bénisse ; qu’il fasse briller sur nous son visage et qu’il ait pitié de nous. »

(Galates, 6, 14 ; Psaume 66, 1)

 

Commentaire spirituel

Cet introït célèbre est emprunté à saint Paul qui conclut son Épître aux Galates par ce cri de fierté que le compositeur ne s’est pas contenté de mettre simplement au pluriel : outre ce changement déjà significatif, il a modifié notablement la suite du texte de l’Apôtre, en supprimant curieusement la mention de la crucifixion pour faire appel à d’autres réminiscences pauliniennes afin d’enrichir son œuvre : exemple majeur de la liberté avec laquelle les compositeurs antiques se permettaient de traiter le texte sacré, non pour le fausser mais au contraire, dans un esprit vraiment ecclésial, pour le mettre davantage en lumière tout en l’adaptant à la célébration liturgique, par le procédé même de la composition

Regardons de plus près les deux textes, celui de saint Paul et celui de notre introït : 

Saint Paul, Galates, 6, 14 Introït Nos autem
Mihi autem absit gloriari nisi in cruce Domini nostri Iesu Christi.

Per quem mihi mundus crucifixus est et ego mundo.

Nos autem gloriari oportet in cruce Domini nostri Jesu Christi.

In quo est salus, vita et resurrectio nostra.

Per quem salvati et liberati sumus.

 

En « négligeant » le thème de la crucifixion, pourtant si capital pour notre foi chrétienne (mais remarquons bien qu’il l’a conservé dans la première phrase de son chant avec la mention de la croix), on voit assez clairement que le compositeur a voulu élargir la perspective, en pleine cohérence avec le passage au pluriel qu’il a opéré dans la première partie de son œuvre, et aussi par rapport à l’occurrence liturgique du triduum pascal.

On est à la veille du grand sacrifice par lequel le Christ, en s’immolant pour nous, va nous racheter. La messe du jeudi Saint célèbre sacramentellement ce grand et unique sacrifice de la croix. On s’apprête ainsi à contempler le mémorial du mystère pascal du Seigneur. Les notions de salut, de vie nouvelle, de résurrection, appliquées au Christ qui en est la source, et que le compositeur introduit dans le chant qui accompagne la procession d’entrée, semblent alors scandées par la mélodie, au rythme de la marche vers l’autel. Or ces notions capitales sont toutes parfaitement pauliniennes. À titre d’exemples, on peut citer deux passages d’autres épîtres dans lesquels saint Paul emploie ces notions :

  • Colossiens, 3, 4 : Cum Christus apparuerit vita vestra.
  • Éphésiens, 5, 10 : Salvi erimus in vita ipsius.

Quoiqu’il en soit, ce texte de notre introït est une majestueuse affirmation de foi communautaire. Toute la fierté chrétienne passe dans ces mots si pleins de sens et de sève. Au seuil des célébrations pascales, nous sommes placés devant notre Maître dont nous allons contempler l’amour inconcevable qu’il a pour nous et qui l’a poussé à s’offrir de façon si totale. Les premiers chrétiens étaient sous le choc et sous le charme de cette victoire de l’amour sur la mort : ils avaient vu de leurs propres yeux ce que le Christ avait accompli pour eux, les invitant à le suivre sur cette route sanglante et glorieuse. Ils avaient vu l’Amour en acte, et ils demeuraient dans cet amour de façon très vive, très joyeuse.

Tout le dynamisme missionnaire de l’Église prend sa source dans le mystère pascal. Il en va donc de même pour nous, après plus de vingt siècles de christianisme. Il y aurait beaucoup à dire sur l’association mystérieuse entre la croix et la gloire (gloriári opórtet in cruce) qui constitue tout le paradoxe de la foi chrétienne. Mais c’est précisément l’amour, celui de Dieu pour nous et celui que nous rendons à Dieu, qui permet d’élucider et de vivre ce paradoxe. Alors chantons avec reconnaissance et fierté ce beau chant d’entrée qui nous fait plonger dans le grand et beau mystère de notre foi en Jésus, le seul Sauveur.

 

Commentaire musical

 

Nos autem Partition croix

 

Aussi bien dom Gajard que dom Baron soulignent que la mélodie du 4e mode, unie au texte remanié de saint Paul, a quelque chose de profond et de recueilli. Il s’agit plus d’une réflexion que d’un débordement d’enthousiasme, malgré le gloriári opórtet. Mais c’est que le mystère chanté est celui de la croix. Si bien que le 4e mode qui a été choisi, convient à merveille.

Pourtant, dom Gajard nous prévient contre le piège d’une certaine lourdeur dans l’interprétation de cette pièce. « On la chante souvent trop lentement, ce qui lui fait perdre tout son caractère. Elle est grave, mais non pas triste ; c’est une affirmation solennelle et toute reconnaissante du glorieux mystère de la Croix. Comme telle, elle demande un bon mouvement, qui ne se tempère aux cadences que pour repartir avec la même douce vigueur à la phrase suivante. »

Ce bon conseil vaut dès l’intonation qui est grave, mais sur laquelle il ne faudrait pas s’enterrer dès le début. Pour cela, la vocalise de nos autem doit bien se dérouler, et la longue qui termine autem ne doit pas s’éterniser. La vie qui l’anime, au contraire, permet de franchir légèrement le quart de barre pour aller vers la suite et bien lier les deux premières incises.

Toute cette mélodie, jusqu’à opórtet, s’enroule autour du Fa, dans un beau mouvement bien rythmé mettant en valeur les accents de gloriári et de opórtet, avec, à la fin de ce dernier mot, un léger crescendo qui amorce la montée du membre suivant. Le petit passage syllabique qui l’inaugure, sur in cruce, permet d’atteindre le La, sommet du premier membre, puis de le dépasser bientôt grâce au Sib de Dómini, avec sa nuance de tendresse, et ensuite grâce au beau crescendo qui conduit jusqu’au double Do de nostri, très affirmé et très large.

C’est le sommet de toute cette première phrase, mais gardons-nous de nous regarder nous-mêmes en prononçant ce fier nostri : il s’agit bien de contempler notre Seigneur Jésus-Christ et c’est vers lui seulement que se dirige notre hommage. La fin de cette phrase qui nous fait prononcer d’ailleurs le nom très doux de notre Sauveur, s’enveloppe d’une grande tendresse et d’une belle chaleur, dans un mouvement ralenti et bien épanoui, sur une formule mélodique toute en rondeur et très liée. C’est un vraiment beau passage qui conclut admirablement toute cette première partie.

La deuxième phrase nous fait reprendre un peu de mouvement, sur in quo est, vers un nouveau double Do, lui aussi très ferme et si expressif sur le mot vita qui reprend exactement la même formule que sur le mot nostri. On peut penser qu’on est là au sommet de toute la pièce. Cette vie que nous chantons, nous allons la contempler en lutte intime avec la mort durant tout ce triduum pascal, mais déjà nous annonçons sa victoire en celui qui est la Vie, comme il l’a dit lui-même dans l’Évangile selon saint Jean : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jean 14, 6).

La seconde phrase se termine comme la première, la mélodie de resurréctio nostra reprenant à peu de choses près celle de Jesu Christi. Par contre la cadence en Ré (alors que celle de la première phrase était en Sol et donc davantage en mouvement vers ce qui suit) nous fait retourner au grave, dans l’atmosphère recueillie et profonde du début, et c’est dans ce climat que va se déployer la dernière phrase et s’achever la pièce.

Mais la remarque du début vaut aussi pour cette fin de période : il ne faut pas s’y appesantir. La longue initiale de per doit être légère et en mouvement vers la suite. L’élan allègre de salváti permet de bien marquer l’accent du mot. Et le mouvement reste léger sur liberáti. Ce n’est qu’à partir de la déposition de sumus qu’il s’élargit progressivement en une belle cadence typique du 4e mode aboutissant au demi-ton Fa-Mi si contemplatif et si mystérieux qui invite le regard intérieur à prolonger son action au-delà de la mélodie qui s’achève.

Le verset pris directement sur la dominante La doit jaillir avec beaucoup de clarté et faire ressortir les deux seuls Si naturels de toute la pièce, sur benedícat et sur nobis, qui sont mis ainsi en grande lumière. La lumière est d’ailleurs le thème de ce verset, puisque nous demandons au Seigneur qu’il fasse resplendir sur nous son visage et qu’il nous bénisse.

 

>> à lire également : « La Croix de Jésus » de Louis Chardon, une leçon de tendresse divine

 

Un moine de Triors

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