Petite histoire d’une traduction liturgique

Publié le 03 Déc 2013
Petite histoire d'une traduction liturgique L'Homme Nouveau

Parmi les rectifications des traductions liturgiques souhaitées par Rome celle du Notre Père était très attendue. Réaction de Roger le Masne, Président de l’Association des Amis de l’Abbé Jean Carmignac.

La question de l’exactitude des traductions liturgiques est apparue de nouveau récemment à partir d’un cas particulier, la sixième demande du Pater. Diverses revues catholiques, le journal La Croix, mais aussi des journaux non officiellement confessionnels, tels Le Figaro, Le Monde, etc. en ont parlé, ce qui montre que dans notre France d’aujourd’hui un public assez large s’intéresse à ce genre de question.

Il ne s’agit cependant pas de ce seul point particulier mais d’un ensemble de textes liturgiques. On peut se demander comment des traductions retenues par l’Église et utilisées dans les offices peuvent être erronées, voire hérétiques.

Un triste exemple

À titre d’exemple rappelons le cas de l’épître aux Philippiens, ch. 2, v. 6 à 11, (lue le dimanche des Rameaux) qui, de 1969 à 1974 inclus, figura de façon fausse dans Le Lectionnaire dominical officiel de France. Dans le Nouveau missel des dimanches, pour l’année liturgique 1969-1970 (publié par dix éditeurs dont Mame), on pouvait lire en effet : « Le Christ Jésus est l’image de Dieu ; mais Il n’a pas voulu conquérir de force l’égalité avec Dieu », formulation que l’on peut qualifier d’hérétique (voir divers numéros de L’Homme Nouveau, notamment celui du 17 janvier 1971). Pour mémoire, et à titre de comparaison, voici le texte des années 1968 et précédentes : « Étant de condition divine (le Christ) ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu ». 

Devant cette grave erreur des articles parurent dans plusieurs journaux (outre L’Homme Nouveau citons La Croix, Le Figaro, Le Monde, etc.). Des mouvements de contestation eurent lieu dans certaines églises. L’abbé Carmignac s’éleva fortement contre cette traduction. Mais il fallut plusieurs années, jusqu’au dimanche des Rameaux 1975, pour retrouver dans le Lectionnaire une traduction orthodoxe (« [le Christ] qui était dans la condition de Dieu, n’a pas jugé bon de revendiquer son droit d’être traité à l’égal de Dieu »).

Ainsi de nouvelles traductions sont apparues en 1969 avec le « Nouveau missel » cité ci-dessus. On ne peut les appeler traductions conciliaires, comme certains l’ont dit, car elles n’ont pas été approuvées par le concile Vatican II, qui avait pris fin le 8 décembre 1965 ; ce sont seulement des traductions post-conciliaires. Elles ont tout de même été réalisées effectivement à la demande du Concile (Constitution sur la sainte liturgie, nn. 21 et 25 notamment).

Une formation insuffisante

J’avais eu l’occasion de demander à l’abbé Carmignac, qui estimait mauvaises certaines traductions, comment il était possible que les évêques les aient acceptées. Il me répondit en substance que les évêques de l’époque sortaient en majorité de l’Action catholique et qu’ils avaient une formation philosophique et théologique insuffisante. Du moment que ces traductions avaient été faites par des personnes se disant « théologiens » ( L’abbé Carmignac ajoutait « soixante-huitards ») les évêques les acceptèrent telles quelles, peut-être même parfois sans les lire.

Mais peu à peu, sans aller jusqu’au cas extrême de l’épître aux Philippiens ci-dessus, on prit conscience qu’il y avait des erreurs. Rome s’en inquiéta et, en 2001, Jean-Paul II approuva un texte demandant une révision. Ce fut l’instruction Liturgiam authenticam, « Instruction pour la correcte application de la Constitution sur la sainte liturgie », (premier document de Vatican II, Sacrosanctum concilium [SC], de décembre 1963).

On lit, entre autres, dans le document de Rome : « Il est devenu évident que les traductions des textes liturgi­ques ont besoin, en divers endroits, d’être améliorées, soit en les corrigeant, soit en réalisant une rédaction entièrement nouvelle. Les omissions et les erreurs, qui affectent jusqu’à présent les traductions en langues vernaculaires, ont constitué un obstacle au juste progrès de l’inculturation » (Liturgiam authenticam, 5e instruction, n. 6). Et encore : « L’usage de la langue latine sera conservé (…). La traduction du texte latin (…) doit être approuvée par l’autorité ecclésiastique (compétente) » (SC, n. 36). Enfin Rome demandait que dans un délai de cinq ans (à partir de 2001 donc) soit réalisé « un rapport complet concernant les livres liturgiques en langue vernaculaire » (Liturgiam authenticam, 5e instruction, n. 132). L’importance du travail fut telle que, pour la France, ce rapport ne put être fourni dans le délai prescrit, mais finalement approuvé par la Conférence épiscopale des évêques de France lors de leur assemblée de Lourdes de novembre 2009. Il fallait ensuite l’approbation des autres pays francophones de sorte que la recognitio, c’est-à-dire la reconnaissance officielle, a été donnée par Rome le 17 juillet 2013.

Le Pater

Dès la parution de la nouvelle traduction (janvier 1966) l’abbé Carmignac avait émis de sérieuses réserves (voir son « À l’écoute du notre Père » de 1971). Voici, très brièvement évoqués, quelques points sur lesquels il attire notre attention.

Offenses-dettes. La forme primitive (Matthieu) est « dettes » et non « offenses », ce qui est corroboré par la suite du verset où il est question de « débiteurs ». Tous nos actes ont pour but de procurer la gloire de Dieu. Dès que nous n’agissons plus pour lui nous sommes en dette envers lui. La nouvelle version a heureusement repris ce mot.

Aussi. Il fallait comprendre : comme nous aussi. Malheureusement on avait déplacé le aussi entre le verbe et son complément : « comme nous pardonnons aussi ». La version nouvelle l’a purement et simplement supprimé.

Vienne-arrive. Venir suppose un simple mouvement vers. Arriver, toucher à la rive, le mouvement est terminé. D’où le choix de l’abbé Carmignac pour « arrive », malheureusement non retenu.

Ne nous soumets pas à la tentation, ce qui signifie Ne nous mets pas sous la domination du diable. Prêter cette intention à Dieu est considéré comme blasphématoire. « Ne nous laisse pas entrer en tentation » rétablit la parole juste. (On aurait pu préférer « dans la », le « en tentation » introduisant une connotation de « permanence » ou de « maintien dans »).

tentation

Épreuve-tentation. Dieu nous éprouve, seul Satan nous tente : « … Je veux ainsi les mettre à l’épreuve pour voir s’ils marcheront selon ma loi ou non » (Ex 16, 4). On ne peut demander au Père de ne pas nous éprouver, mais Il nous donne le moyen de supporter (1 Co 10, 13). C’est pourquoi on ne peut substituer dans le Pater le mot épreuve au mot tentation.

Tutoiement. L’hébreu a élaboré pour Dieu un pluriel d’excellence ou de majesté (Elôhîm, Adônîm). Ne pas employer le moyen similaire que permet le français (vouvoiement), c’est un refus positif d’accorder à Dieu l’hommage extérieur que lui rend la langue hébraïque.

Le Credo

De même nature-consubstantiel. Les deux mots nature et substance (ou essence, fusis et ousia en grec) sont différents et non interchangeables. Dès 1965 Étienne Gilson ne comprenait pas qu’une consubstantialité puisse être transformée en une connaturalité. Le mot consubstantiel, qui peut être remplacé par de même substance, est désormais courant dans le langage. Dire que le Fils est de même nature que le Père est une lapalissade, risible pour un non-croyant. Nous ne connaissons pas le terme retenu.

Mise en vigueur des traductions

On nous dit que la mise en place n’aura pas lieu avant plusieurs années. Faut-il laisser les fidèles prier avec une formule fausse (blasphémer) à chaque messe pour attendre que la totalité des prières soit en place ? Le changement du Pater avait eu lieu en 1966, trois ans avant les autres changements. Solution provisoire : dire le Pater en latin (cas de ma paroisse le 10 novembre) ou dire l’ancienne formule en français (cas de la messe à laquelle j’assistais le 19 novembre).

Finalement à ces réserves près, nous remercions le Seigneur et nos évêques et chanterons un Te Deum, hymne chrétienne chantée lors de victoires. Car il s’agit bien d’une victoire contre le Tentateur.

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