Qui veut congeler ses ovules, qui veut ?

Publié le 16 Oct 2015
Qui veut congeler ses ovules, qui veut ? L'Homme Nouveau

« Cette année, il nous faudrait 1200 donneurs : 900 femmes, 300 hommes, or nous n’avons que 450 dons d’ovocytes et 260 de spermatozoïdes », déplore Marisol Touraine, ministre de la Santé. Un problème ? Une loi ! En l’occurrence, il s’agit du décret d’application de la loi sur le don d’ovocytes, publié au Journal officiel le 15 octobre dernier. 

Le texte élargit la possibilité du don d’ovules ou de spermatozoïdes aux personnes n’ayant pas d’enfant, dans l’espoir de remédier au manque de donneurs de gamètes en France. Cette mesure, annoncée par le ministre en mai dernier, était prévue par les lois de bioéthique de 2011 mais le gouvernement n’avait pas encore établi les conditions de sa mise en pratique. Alors qu’elle était réservé aux adultes en bonne santé ayant déjà eu au moins un enfant, cette pratique s’étend donc désormais à toute personne en bonne santé, entre 18 et 37 ans pour les femmes et 18 et 45 ans pour les hommes. Le don demeure anonyme, volontaire et gratuit, selon la même logique que celle qui préside en France pour le don d’organe et le don du sang.

La banalisation du recours à l’AMP

La mesure mise en place par Marisol Touraine vient répondre à un état de fait, celui de l’augmentation continue du recours à l’Assistance Médicale à la Procréation (AMP). Aujourd’hui, un cinquième des couples concernés par la stérilité ou l’infertilité ont recours à l’AMP. Si le don de spermatozoïdes se banalise en France, le don d’ovules, légal depuis les lois de bioéthique de 1994, demeure plus rare : on compte 200 enfants nés chaque année par don d’ovocyte… Et les établissements qui proposent ces pratiques déplorent de longues listes d’attente, tant et si bien que de nombreux couples partent se faire inséminer dans d’autres pays comme l’Espagne où la pratique est plus courante. 

Une loi incohérente

Le décret d’application publié ce 15 octobre prévoit en outre que les donneuses d’ovules pourront en faire conserver une partie pour elles-mêmes, par congélation, au cas où elles deviendraient elles-mêmes infertiles. Un cas de plus ou la loi française se contredit elle-même puisque l’autoconservation des gamètes est interdite d’autre part. Il y a donc fort à parier que certaines femmes donneront des gamètes par « altruisme », bien sûr, mais aussi et surtout pour se constituer leurs petites réserves d’ovules au cas où elles seraient ménopausées précocement ou devenues stériles à la suite d’une maladie. Au moment par exemple où, lassées de ne s’occuper que de leur carrière, elles décideront qu’elles ont envie d’enfanter. Seul garde-fou : la loi autorise l’insémination artificielle uniquement sur les femmes encore en âge de procréer. Mais au fond, si ce n’est plus à la nature mais à la seule loi de poser des limites, comment déterminer l’âge limite pour procréer ? Faut-il autoriser l’insémination pour une femme de 49 ans et l’interdire à celle qui vient de souffler ses 50 bougies ?

Une limite d’autant plus difficile à établir que les femmes enfantent de plus en plus tard, faisant ainsi reculer l’âge « normal » pour être mère dans l’imaginaire collectif. En effet, l’Insee rapporte que l’âge moyen d’une femme à la naissance de son premier enfant est de 28 ans pour l’année 2013. Et l’âge moyen d’une femme qui accouche (que ce soit ou non son premier enfant) est de 30 ans. Ce que les démographes appellent « pic de fécondité » est ainsi passé de 25 à 30 ans en trois décennies. Autre signe de cette évolution, en 2013, seule la fécondité des 35-39 ans avait augmenté par rapport à 2012. L’heure est donc à l’enfant « si je veux, quand je veux », et « je veux » de plus en plus tard. Mais il y a toujours quelques bacs d’azote liquide prêts à abriter des gamètes pour celles qui découvrent sur le tard leur instinct maternel.

Avortez, c’est plus simple !

On notera que la même Marisol Touraine qui a fait supprimer le délai de réflexion obligatoire pour l’avortement, tient à ce que toute donneuse d’ovocytes n’ayant pas d’enfant soit auparavant soumise à un entretien obligatoire avec un psychologue. Cela pour « éviter toute démarche qui ne serait pas volontaire ou suffisamment éclairée ». Ce qui laisse entendre qu’une femme qui avorte le ferait toujours de manière libre et éclairée, même si la décision est prise rapidement. Cela signifie également que donner un ovule serait un acte plus traumatisant que de tuer un fœtus…

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