Réforme des retraites : retour sur la vision chrétienne du travail

Publié le 17 Fév 2023
retraites

La grogne sociale traverse l’hexagone sur fond de projet de loi sur les retraites. Entre « aliénation » ou « mal nécessaire » le travail semble être systématiquement considéré sous son mauvais jour. Que nous dit l’enseignement de l’Eglise ?

 

« Je ne veux pas travailler, je ne veux pas déjeuner, je veux seulement l’oublier ». La chanson du groupe Pink Martini, familiarisée au début des années 2000 dans une publicité pour la Xsara Picasso, est surtout tirée d’un poème de Guillaume Apollinaire. Les vers disent certainement tout haut ce que la paresse pense tout bas : le travail a mauvaise presse.

La perspective de devoir travailler davantage pour pouvoir toucher sa sainte retraite effraie et inquiète. Si les emplois ne sont pas tous les mêmes (pénibilité, morosité, usure physique), il est manifeste toutefois que la vision moderne du travail répond à une philosophie qui se distingue singulièrement de celle du christianisme.

« Au commencement il n’en était pas ainsi ».

Il importe tout d’abord de dissiper un malentendu : le paradis terrestre n’était pas un lieu à proprement parler d’oisiveté. « Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Éden pour qu’il le travaille et le garde » raconte le livre de la Genèse (Ge 2, 15). Le labeur d’Adam participe même à sa béatitude : il collabore – du latin « cum labora » qui signifie « travailler avec » – à la création.

En fabriquant, transformant, ordonnant ce cosmos qui lui a été confié, selon ses désirs et son ingéniosité, l’homme tient une place unique ici-bas. Cette dignité, il en a l’exclusivité. Les autres êtres créés sont conditionnés par leur nature propre, leurs instincts. L’homme, lui seul, est libre. Libre de faire comme cela ou autrement. Libre d’opérer sur le créé de telle ou telle façon…

« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front » (Genèse 3, 19).

Ce n’est donc pas le travail qui est une conséquence du Péché originel mais sa pénibilité. On relira avec profit la grande encyclique Rerum Novarum (15 mai 1891) du pape Léon XIII exposant la Doctrine Sociale de l’Eglise : « Pour ce qui regarde le travail en particulier, même dans l’état d’innocence, l’homme n’était nullement destiné à vivre dans l’oisiveté. Mais ce que la volonté eût embrassé librement comme un exercice agréable est devenu, après le péché, une nécessité imposée comme une expiation et accompagnée de souffrance. « La terre est maudite à cause de toi. C’est par un travail pénible que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie » ».

De la faute de nos premiers parents vient l’âpreté du travail qui loin d’être dénué de toute satisfaction – la joie du travail bien fait – est dès lors accompagné de son lot de misère : fatigue, souffrance, lassitude…

« Ora et labora »

Avec le Christ, le travail reçoit sa part de Rédemption. Comme tant d’autres réalités, Jésus anoblit en effet, par sa personne, le travail manuel dans l’atelier de saint Joseph à Nazareth. Son enseignement fourmille d’analogies entre le salut et le travail : les ouvriers de la vigne, l’ouvrier de la dernière heure, l’intendant infidèle… Chaque enfant de Dieu est du reste appelé à travailler dans la vigne du Seigneur.

Ainsi, si le Sauveur n’abroge pas la peine, il la finalise en quelque sorte. Unie à ses souffrances sur la croix, la pénibilité du travail (contrainte, horaires, engagement physique) peut devenir une source de grâce. Ainsi nul ne s’étonnera que saint Benoit de Nursie considère le travail comme un des deux piliers de sa Règle : « Ora et labora » (prière et travail).

Liberté chérie !

Adam, libre, s’était détourné de Dieu et avait reçu comme châtiment la peine dans son labeur. L’homme sauvé par le Christ n’en reste pas moins libre de suivre ou d’enfreindre la loi évangélique. La cupidité de certains les a conduits à chercher à exploiter leur prochain. La société moderne particulièrement a été le théâtre de cet appétit de l’homme et de la défense bien souvent désordonnée des travailleurs exploités.

Du capitalisme au socialisme ; du taylorisme ou fordisme, du stakhanovisme au productivisme : les « -ismes » en pagaille ont terni tout idéal jusqu’à l’image abjecte de l’entrée des camps nazis et leur cynique inscription du « Le Travail rends libre ».

Malgré les diverses interventions du magistère – l’encyclique Rerum Novarum déjà citée ou l’institution par Pie XII de la fête de Saint Joseph ouvrier en 1955 – le monde reste divisé entre patronat et prolétariat ; exploitants et exploités. La confusion est poussée à son ridicule lorsqu’un député va jusqu’à prôner l’abrogation du travail pour motif écologique.

Puisse au moins les fidèles catholiques s’inscrire à contre-courant et tendre à la restauration du travail, aidée par la grâce, dans sa dignité première. Dans le film Les Barbouzes, Michel Audiard faisait certes remarquer qu’à défaut de prendre sa retraite jeune encore faudrait-il la prendre vivant, espérons néanmoins qu’elle puisse intervenir après un réel épanouissement pour le plus grand nombre.

 

A lire également : Le travail : un simple épanouissement ou la participation à une œuvre ?

Chanoine Alexis d’Abbadie d’Arrast +

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