Saint Augustin et la crise du monde actuel

Publié le 28 Oct 2025
saint augustin crise époque

Vue sur la basilique Saint-Augustin, depuis les ruines d'Hippone. © Zakarya Djama, CC BY-SA 4.0

Auscultant l’actualité internationale à la lumière des enseignements de saint Augustin, le professeur Roberto de Mattei souligne que « l’intervention de Dieu est possible à tout moment et un seul acte de fidélité ou de trahison de la part d’un homme suffit à changer le cours des événements. »

 

La trêve précaire à Gaza ne doit pas alimenter d’illusions ni sur l’avenir de cet accord, ni sur la possibilité d’une paix imminente entre la Russie et l’Ukraine. Il y a, en outre, une différence substantielle entre les deux conflits en cours.

L’accord sur Gaza a été possible tout d’abord parce qu’il y avait un gagnant et un perdant, respectivement Israël et le Hamas. Deuxièmement, parce qu’une vaste coopération d’États arabo-musulmans s’est formée, déterminée à rétablir l’ordre que le Hamas a troublé avec l’attaque d’Israël le 7 octobre 2023.

En Ukraine, au contraire, non seulement il n’y a toujours pas de vainqueur ni de vaincu, mais il n’y a pas de large coalition d’États prêts à isoler la Russie qui, contrairement au Hamas, est un vaste pays doté d’une puissance nucléaire. La Chine, dont dépend aujourd’hui la Russie, a tout intérêt à geler l’engagement des États-Unis en Europe, afin de détourner ses forces de l’Indo-Pacifique et de porter le coup mortel à Taïwan auquel elle se prépare depuis des années.

La résistance ukrainienne

Afin d’accroître la présence militaire dans cette zone géopolitique, le président américain Trump aimerait se désengager du front européen, ne comprenant pas comment la guerre en jeu en Ukraine affecte l’ensemble de l’Occident.

En fait, au sein de ce que nous appelons l’Occident, si, sur le plan économique, politique et militaire, l’Europe est la sœur cadette des États-Unis, sur le plan spirituel et culturel, elle en est la mère, car la civilisation américaine a ses racines dans l’héritage intellectuel, religieux et moral de l’Europe. L’Ukraine, l’ancien royaume de Kiev, en raison de son histoire et de la volonté politique qu’il exprime aujourd’hui, fait partie de l’Europe et non de la Russie de Moscou. L’abandonner serait un acte de lâcheté morale et de myopie politique.

D’ailleurs, Trump, dans son effort pour clore le jeu ukrainien, risque de commettre la même erreur que Poutine : sous-estimer non pas tant le personnage de Zelenski, un acteur qui a fait de sa vie sa scène, mais l’esprit de résistance du peuple ukrainien, une nation qui a souffert, sans fléchir, de l’Holodomor, extermination par la famine (1932-1933), voulue par Staline, avec la mort d’environ 4 millions de personnes, et qui, entre 1941 et 1960, a exprimé la résistance militaire antisoviétique la plus combative d’Europe de l’Est. Il sera difficile de parvenir à un accord qui imposerait des conditions inacceptables à ces gens.

Bref, nous sommes confrontés à des nœuds presque inextricables. Le président Trump ne connaît certainement pas les pages consacrées à la Russie par Joseph de Maistre (1753-1821) et Juan Donoso Cortés (1809-1853), ni même celles de l’historien américain Henry Adams (1838-1918), qui a identifié le danger de ce pays oriental, le définissant comme une immense réalité territoriale et humaine, difficile à comprendre ou à gouverner, une force naturelle plutôt qu’une nation au sens occidental (1).

Il n’est pas clair dans quelle mesure l’objectif principal de Trump est d’augmenter la grandeur de l’Amérique ou celle de son propre « moi », en remportant un prix, aujourd’hui discrédité, mais auquel il semble attribuer une grande importance, comme le prix Nobel de la paix.

Un décideur isolé

Cependant, il faut admettre que le président américain est entouré d’une équipe de collaborateurs prêts à corriger ses erreurs de calcul, tandis que le président russe, comme tous les dictateurs, est dramatiquement isolé dans ses décisions, car personne n’ose le contredire. Trump regarde les lauriers qu’il peut obtenir, au-delà de son mandat présidentiel, Poutine sait qu’il est condamné à gouverner jusqu’à la mort, s’il veut éviter la mort à la fin de son gouvernement.

C’est également pour cette raison qu’une impulsion suicidaire semble consumer le président de la Fédération de Russie. Poutine a fait assassiner ses opposants, à l’intérieur et à l’extérieur de son pays, et fait massacrer des centaines de milliers de ses compatriotes dans l’une des campagnes militaires les plus infructueuses jamais entreprises par la Russie dans son histoire.

L’offensive estivale russe touche à sa fin et, comme le souligne Marta Serafini dans le Corriere della Sera du 20 octobre, le tsar russe n’a pas obtenu un seul résultat de ceux annoncés. Potrkrovsk, en danger depuis plus d’un an, n’est pas tombée, et l’armée russe n’a jamais réussi à prendre le contrôle des oblasts de Dnetsk, Lougansk, Zaporuzhzhia et Kherson, revendiqués par Poutine. Le dictateur russe sait qu’il ne peut pas gagner, mais il est prêt à tout pour ne pas perdre. Il est difficile de prédire ses futurs mouvements, comme ceux de Trump, qui aime l’improvisation et les rebondissements.

Des passions shakespeariennes

Le problème, c’est que les relations internationales étaient autrefois des parties d’échecs complexes, entre joueurs expérimentés, qui engageaient toutes leurs facultés intellectuelles dans le jeu. Aujourd’hui, au contraire, ce qui domine la scène, c’est un enchevêtrement de passions, qui constitue la première cause de l’instabilité internationale.

Robert Kaplan parle de « déclin shakespearien » pour désigner les démons intérieurs qui poussent les dirigeants politiques à une certaine folie (2). Cependant, les hommes de pouvoir contemporains n’ont pas la conscience tragique et la grandeur d’âme qui caractérisent les personnages de Shakespeare dans leur descente à la ruine.

Le théâtre élisabéthain a également été remplacé par un monde numérique dans lequel chaque individu – leader, influenceur ou simple spectateur – joue son rôle devant un public invisible, tandis que les réseaux sociaux encouragent et multiplient le pouvoir expansif des passions désorganisées.

Comme dans les pièces de Shakespeare, les émotions dominent la raison, mais les démons intérieurs de Macbeth et d’Othello se manifestent sous la forme d’une dépendance sociale vis-à-vis des algorithmes. La colère, la vengeance, la haine et le ressentiment sont devenus les pulsions dominantes d’une psychologie collective volatile, qui se nourrit d’elle-même dans le monde virtuel, devant un public planétaire.

La chute intérieure d’une civilisation

C’est dans ce contexte que prend forme la chute intérieure d’une civilisation qui, à l’instar des personnages de Shakespeare, est dévorée par ses propres démons. Seulement aujourd’hui, la folie ne se limite pas au silence d’un bâtiment, mais se représente d’elle-même devant un écran, comme une tragédie mondiale en direct. La psychologie des individus et des masses échappe à ceux qui tentent de reconstruire l’histoire selon des lignes idéologiques préconçues, car l’époque contemporaine n’est plus régie par des idées, mais par des états d’esprit collectifs et un pathos incontrôlé. Dans le monde des passions, réelles et virtuelles, toutes les idéologies se dissolvent.

Cependant, la force destructrice du communisme survit, que le président chinois Xi Jinping relance à Pékin et que Vladimir Poutine traduit en pratiques de pouvoir à Moscou. La prophétie de Fátima s’est accomplie et l’Église romaine catholique, apostolique, avec ses vérités infaillibles de foi et de morale, reste le dernier point fixe dans le chaos contemporain.

Lorsque tout est englouti par le tourbillon du présent et que le temps devient un flux d’événements sans direction dans lequel tout est possible et tout est imprévisible, une réflexion historique et théologique est nécessaire. L’intervention de Dieu est possible à tout moment et un seul acte de fidélité ou de trahison de la part d’un homme suffit à changer le cours des événements.

Au Vᵉ siècle, le général romain Boniface, Comes Africae, gouverneur de l’Afrique romaine (c. 422-432 ap. J.-C.), trahit sa foi et l’Empire, en concluant un accord avec les envahisseurs vandales (Prosper d’Aquitaine, Chronicon, ad annum 429). Saint Augustin, qui l’exhortait à se battre, mourut alors que la ville d’Hippone était assiégée, méditant sur la signification de la chute de l’Empire romain, qui s’effondra non seulement par la force des barbares, mais par la défection de ses défenseurs.

Et pourtant, sur les ruines de cet Empire, la civilisation chrétienne du Moyen Âge allait naître. La théologie de l’histoire de saint Augustin, témoin du déclin de l’Empire romain, est la seule qui puisse ouvrir le cœur à l’espérance. Qui, si ce n’est Léon XIV, pourrait retrouver aujourd’hui son sens éternel ?

 


1. The Education of Henry Adams. An Autobiography, Modern Library, New York, 1996, p. 438-439.

2. Il secolo fragile. Caos e potere nel mondo in crisi permanente, Marsilio, Venise 2025, p. 100. Texte original : Waste Land: A World in Permanent Crisis, Random House Publishing Group, 2025.

 

>> à lire également : Le prix Nobel de la paix de Trump ne passe pas par Haïti

 

Roberto de Mattei

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