Dans l’article « Souviens-toi, ô homme… », Pierre Julien évoque le psaume 90, très présent tout au long du Carême. Voici des extraits issus des Œuvres complètes de saint Bernard – Traduction nouvelle par M. l’abbé Charpentier, Paris, Vivès, 1866, tome III. On trouvera l’intégralité de la traduction française de ces sermons ici.
1er Sermon, n° 1.
« Celui qui a établi sa demeure dans l’assistance du Très-Haut, reposera en sûreté sous la protection du Dieu du ciel » (Ps. 90, v. 1)
Il sera, plus facile de connaître ce qu’il faut entendre par ceux qui demeurent dans l’assistance de Dieu, en considérant quels sont ceux qui ne s’y trouvent point établis. Or, il y a trois espèces d’hommes qui sont dans ce dernier cas : ce sont ceux qui n’espèrent pas, ceux qui désespèrent, et enfin ceux qui espèrent, mais en vain. En effet, on ne saurait avoir établi sa demeure dans l’assistance de Dieu, quand on ne voit point en Dieu son appui, et qu’on le place au contraire dans ses propres forces et dans la multitude de ses richesses.
2e Sermon, n° 4.
« Il vous couvrira de ses ailes : et vous espérerez étant à couvert sous ses plumes » (v. 4)
Vous voyez donc comme nous trouvons une ombre salutaire, et la protection dont nous avons besoin, sous les ailes du Seigneur ; car, de même que l’astre du jour, tout excellent et nécessaire qu’il soit, fait mal, par l’excès de sa chaleur, si elle n’est tempérée, à la tête des personnes qui l’ont délicate et faible, et, par son éclat, blesse les yeux malades, ce qui ne vient pas de ce que le soleil est mauvais, mais de ce que nous sommes malades, ainsi en est-il du Soleil de justice.
Et c’est pour cette raison que le Sage nous donne cet important avis : « Ne soyez point juste à l’excès » (Eccl. VII, 17). Ce n’est pas que la justice ne soit bonne, mais c’est que tant que nous sommes faibles, il est nécessaire que la grâce que nous recevons, toute bonne qu’elle est, soit modérée, de peur que nous ne tombions dans l’indiscrétion ou dans la vanité.
D’où vient qu’en priant avec ferveur et avec assiduité, nous ne pouvons pas arriver à cette abondance de grâces que nous désirons ? Pensez-vous que cela vienne de ce que Dieu soit devenu pour nous avare ou pauvre, impuissant ou inexorable ? Non, non, tant s’en faut. Mais il connaît ce que nous sommes, et il a la bonté de nous tenir à l’ombre, de ses ailes.
5e Sermon, n° 2.
« La vérité vous couvrira d’un bouclier : vous ne craindrez point de frayeurs qui surprennent durant la nuit » (v. 5)
La grâce de la protection divine est comparée à un bouclier, avec beaucoup de raison. Le bouclier est large et étendu par en haut, afin de couvrir la tête et les épaules, et étroit par en bas, afin d’être moins pesant, et principalement parce que les jambes, qu’on doit garder, offrent peu de largeur, et ne sont pas si facilement blessées, et que d’ailleurs les blessures qu’on y peut recevoir ne sont pas si dangereuses.
De même Jésus-Christ ne donne à ses soldats le secours des choses temporelles qu’avec beaucoup de mesure et de parcimonie, et seulement autant qu’ils en ont besoin pour la conservation de ce corps, qui est comme les parties inférieures de l’âme : il ne veut point leur donner une abondance de biens temporels qui leur deviendraient un fardeau trop pesant. Il veut qu’ils se contentent, selon la parole de l’Apôtre (I Tim. VI, 8), d’avoir le vivre et le vêtement. Mais quant à l’âme, qui est la partie supérieure de notre être, il lui donne des biens spirituels en beaucoup plus grande étendue, et lui communique une abondance de grâces spirituelles.
Et c’est pour cela que Notre-Seigneur dit dans l’Évangile : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tous les autres biens dont vous pouvez avoir besoin seront ajoutés à ceux-là » (Matt. VI, 33). Il est certain qu’il entendait par là le vivre et le vêtement, dont il venait de dire que nous ne devions point nous inquiéter.
6e Sermon, n° 7
« Vous ne craindrez point les frayeurs qui surprennent durant la nuit ; ni la flèche qui vole le jour; ni les entreprises qui se font dans les ténèbres ni les attaques ouvertes et les démons du midi » (v. 5 et 6)
Quiconque voudra considérer les choses avec attention, n’aura pas de peine à trouver ces quatre sortes de tentations dans l’état général de l’Église. En effet, n’étaient-ce pas les frayeurs nocturnes qui exerçaient l’Église à sa naissance ; quand tous ceux qui faisaient mourir les serviteurs de Dieu, s’imaginaient faire une couvre agréable à ses yeux ?
Ensuite les ténèbres de la persécution étant dissipées, et la paix ayant comme répandu un nouveau jour sur toute la face de l’Église, la flèche rapide dans son vol lui causa des troubles plus violents, et lui fit de plus fâcheuses blessures, lorsque des chrétiens, tentés par l’esprit de la chair, et désireux d’une gloire vaine et frivole, se séparèrent de l’Église, et inventèrent des doctrines pernicieuses pour se faire un nom illustre, en se faisant valoir eux-mêmes.
Mais si maintenant les païens et les hérétiques nous laissent en repos, l’Église est troublée par des enfants indignes de ce nom. Sauveur Jésus, vous avez multiplié le nombre de ses enfants ; mais vous n’avez pas augmenté sa joie, car s’il y en a beaucoup d’appelés, il y en a peu d’élus. Tous les hommes sont chrétiens maintenant.
Et cependant tous cherchent leurs propres intérêts ; non ceux de Jésus-Christ. Il n’est pas jusqu’aux dignités mêmes de l’Église, qui ne soient l’objet d’une cupidité sordide et honteuse, et d’un trafic de ténèbres ; on ne cherche plus dans ces dignités le salut des âmes, mais le luxe et l’abondance. Ce n’est que pour cela que la plupart se font couper les cheveux, fréquentent les églises, célèbrent le saint sacrifice de la messe, et chantent les louanges de Dieu. On fait impudemment tous les efforts imaginables pour obtenir des évêchés, des archidiaconés, afin de dissiper et de consumer les revenus des Églises en superfluités et en vaines dépenses.
Il ne nous reste plus, après cela, qu’à voir l’homme de péché, le fils de perdition, le démon non-seulement du jour, mais du midi, qui non content de se transfigurer en ange de lumière, s’élèvera aussi au-dessus de tout ce qui est considéré et honoré comme Dieu (II Thess. II, 4).
C’est le serpent qui s’efforce de piquer au talon l’Eglise notre mère, pour se venger de ce qu’elle lui a brisé la tête. Sans doute, ce sera alors que ses entreprises et ses attaques seront plus dangereuses et plus violentes, mais la vérité ne laissera pas encore d’en délivrer l’Église des élus, et ce sera pour eux qu’elle viendra abréger les jours, et qu’elle détruira les démons du midi par la clarté de son second avènement.
11e Sermon, n° 11
« Parce qu’il a commandé à ses anges de vous garder en toutes vos voies » (v. 11).
Les anges ont donc reçu l’ordre de Dieu, non pas de nous retirer de nos voies, mais de nous y garder soigneusement, et de nous conduire dans les voies de Dieu, par celles qu’ils suivent eux-mêmes. Or, comment pouvons-nous les suivre dans leurs voies ? Car les anges agissent par la seule charité, et d’une manière beaucoup plus pure et plus parfaite que nous ne faisons. Mais au moins étant excités et pressés par la nécessité de l’état où nous sommes, de nous secourir les uns les autres, pour imiter l’exemple des esprits bienheureux, autant qu’il nous est possible, descendons vers notre prochain, et condescendons à ses besoins, en exerçant envers lui la miséricorde et la charité.
Puis d’un autre côté, élevant nos désirs vers Dieu, à l’imitation de ses anges, efforçons-nous de toute notre âme de monter jusqu’à la souveraine et éternelle vérité. Voilà pourquoi Dieu nous exhorte par un de ses prophètes à élever nos cœurs avec, nos mains, pourquoi nous entendons dire tous les jours : « Élevons nos cœurs » (Thren. III, 41), pourquoi Dieu nous reproche notre négligence et nous dit : « Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le cœur appesanti, aimerez-vous la vanité, et chercherez-vous, le mensonge » (Psal. IV, 4) ?
Quand notre cœur est déchargé du poids qui le retient sur la terre, nous l’élevons plus facilement à la recherche et à l’amour de la vérité. Il ne faut pas nous étonner que ces esprits si élevés daignent nous garder dans nos voies, que dis-je ? ne dédaignent même point de nous admettre et de nous faire entrer avec eux dans les voies du Seigneur. Combien toutefois y marchent-ils plus heureusement, et avec plus de sécurité que nous mais aussi combien la manière dont ils suivent les sentiers de la miséricorde et de la vérité est-elle inférieure à celle dont la vérité et la miséricorde même suit, en toute occasion, les voies de la miséricorde et de la vérité ?
15e Sermon, n° 6
« Parce qu’il a espéré en moi, je le délivrerai » (v. 15).
Et afin que celui qui a été délivré n’ait pas besoin d’être délivré une seconde fois, je le protégerai et je le conserverai ! Si toutefois il reconnaît mon nom et ma puissance, ne s’attribue point sa délivrance et en rapporte toute la gloire à mon nom. « Je le protégerai, parce qu’il a connu mon nom » (Hebr. XI, 1). Quand nous verrons Dieu face à face, ce sera pour nous la gloire : connaître maintenant son nom, est pour nous, en cette vie, la protection dont nous avons besoin.
En effet, on n’espère plus quand on voit et quand on possède. « La foi nous vient par l’ouïe » (Rom. VII, 24), elle fait subsister dans notre esprit l’objet de notre espérance, ainsi que nous l’apprend saint Paul. « Je le protégerai, parce qu’il a connu mon nom. » Or, ce n’est point connaître véritablement le nom de Dieu que de le prendre en vain, que de lui dire seulement, Seigneur, Seigneur, sans observer ce qu’il nous commande. Ce n’est pas connaître le nom de Dieu, que de ne point l’honorer comme notre Père et comme notre Seigneur. Ce n’est point connaître le nom de Dieu que de tourner nos affections vers les vanités et les folies du monde.
Et il est dit : « L’homme est heureux lorsque le nom du Seigneur est toute son espérance et toute sa joie, et qu’il ne regarde point ces vanités et ces folies où il n’y a que de la fausseté et que de l’illusion. » (Ps. XXXIX, 5). Mais celui qui disait : « Il n’y a point d’autre nom donné aux hommes par lequel ils puissent être sauvés » (Rom. VIII, 24,) connaissait bien ce grand nom de Dieu. Et si nous connaissons ce saint nom qui a été invoqué sur nous, nous devons désirer qu’il soit toujours sanctifié en nous.
Nous devons toujours demander cette sanctification dans nos prières, selon que Notre-Seigneur nous a appris à le faire dans ces paroles « Notre père qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié. » Mais remarquez encore ces paroles du verset que je vous explique. « Il a crié vers moi et je l’ai exaucé » (Matth. VI, 9). Voilà quel est le fruit de la connaissance du nom de Dieu, c’est le cri de la prière que nous poussons vers lui. Or l’effet de cette clameur de l’âme qui prie, c’est d’être exaucée par le Sauveur.
Car comment pourrait-elle être exaucée si elle n’invoquait pas ? Ou : comment pourrait-elle invoquer, le nom du Seigneur, si elle ne le connaissait pas ? Rendons grâce à celui qui a, manifesté aux hommes le nom du Père éternel et qui a établi le salut dans l’invocation de ce nom tout puissant, selon cette parole d’un prophète : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé » (Joël, II, 32).
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