Au cours de cette série sur l’œuvre de William Shakespeare, nous avons pu mesurer l’importance de la place de ce grand dramaturge dans la culture chrétienne. Ses pièces historiques expriment le drame de la monarchie anglaise, dont les œuvres inspirées de l’Antiquité sont aussi autant de métaphores. Ses tragédies explorent les défauts de l’âme humaine, happée par la spirale du mal, tandis que les comédies et enfin les romances tardives exhortent à la réconciliation entre les hommes sur leur chemin d’éternité. On a vu que l’idéal théâtral de Shakespeare se focalise ainsi sur les problèmes de morale et de religion et que ses personnages sont à la fois le symbole et le miroir de nous-mêmes.
Homme de la Renaissance, Shakespeare demeure de par ses origines un poète d’inspiration catholique. Catholique, il l’est par sa conception de l’être humain dans sa dualité profonde, tiraillé entre la chair et l’esprit, critiquant, par là, la dissidence puritaine de son époque ; catholique également dans sa conception de la famille fondée sur le mariage indissoluble devant Dieu et dans son idée du rôle rédempteur de la femme. De plus, sur le plan politique, il voit la société en ruines si un pays n’est pas gouverné par des principes chrétiens. Et dans ses dernières œuvres, il envisage l’harmonie entre les hommes par le moyen du pardon universel. Du point de vue religieux, il croit au péché originel et à l’influence du démon dans nos vies. Ses objections au protestantisme anglican se situent surtout au niveau de la grâce divine : les puritains plus tard auront tendance à la rejeter en faveur du matérialisme montant, créant ainsi une société désordonnée, revêtue d’orgueil et d’hypocrisie. À la fin de sa vie agitée, le vieux Shakespeare revient mourir à Stratford-upon-Avon, son village natal où il a déjà enterré sa femme et son fils, réconcilié aussi avec lui-même et avec sa foi en la Providence. Pour comble d’ironie, un contemporain du poète écrivit cette épitaphe : « Il mourut papiste ». Si on renia l’héritage de Shakespeare durant deux siècles après sa mort en 1616, ce n’est donc peut-être pas un hasard.
Au XIXe siècle, pour l’Empire britannique qui était devenu la première puissance au monde, le théâtre de Shakespeare véhiculait donc un ensemble d’idées encombrantes. Pour la France à la même époque, imprégnée encore du classicisme du Grand Siècle, les bouleversements de la Révolution et de l’épopée napoléonienne étaient reliés à la naissance de l’esprit romantique issu de la révolte contre le matérialisme bourgeois et né des cendres de la mort du roi. Apparaissent alors les nouveaux descendants de Shakespeare qui, en se détournant du marasme de l’Histoire, inventent le drame romantique : rejetant les unités de la dramaturgie classique sauf celui de l’action qui correspond aux besoins élémentaires de la logique, Alfred de Musset, Victor Hugo et Alfred de Vigny vont définir de nouvelles bases pour le théâtre de l’avenir. Réagissant aux contraintes du classicisme, Hugo dans sa Préface de Cromwell (1827) prône la liberté de l’auteur : « Tout ce qui est dans la nature est dans l’art (…). Enfin et surtout, le sublime et le grotesque doivent se côtoyer au théâtre, comme dans la vie. »
Shakespeare est pris pour modèle jusqu’à voir dans son œuvre un lien entre le drame de la condition humaine et la pensée chrétienne. On voit en lui une aspiration à l’art total qui n’est autre que ce que les romantiques considèrent être la réalité en sa totalité.
Parcourir donc l’œuvre dramaturgique des héritiers de Shakespeare peut donc nous aider à mieux comprendre notre temps, ou du moins à mesurer la distance qui nous sépare de ce grand génie. En effet, connaître le passé peut permettre de mieux comprendre l’avenir. « Le monde entier est un théâtre où tous, nous sommes de simples acteurs. » Cette métaphore scénique du grand poète déploie ainsi, devant nos yeux, l’immense toile de la Providence divine dans laquelle est inscrit, pour nous tous, notre salut.
Ce billet est extrait du dernier numéro de L’Homme Nouveau que vous pouvez commander à nos bureaux (10 rue Rosenwald, 75015 Paris. Tél. : 01 53 68 99 77, au prix de 4 euros), ou télécharger directement sur ce site en cliquant sur le lien ci-dessous.