Sur la Syrie la France doit « renouer avec l’audace » !

Publié le 13 Avr 2018
Sur la Syrie la France doit  "renouer avec l'audace" ! L'Homme Nouveau

Marc Fromager est le directeur de l’Aide à l’Église en Détresse (AED). Devant les menaces de bombardements sur la Syrie,  il publiait le 12 avril un appel urgent à reconstruire la Syrie plutôt que de bombarder le pays. Nous l’avons interrogé pour en savoir plus sur la situation actuelle et les moyens d’en sortir. 

Vous avez publié un texte hier (cf. bas de l’article) suite aux récentes accusations contre le régime syrien, vous dénoncez le recours à des mensonges grotesques sur les armes chimiques. Comment être si sûr qu’il s’agit de mensonges ? 

Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu d’attaques chimiques, j’alerte simplement sur le fait que ces dernières années, l’argument de l’utilisation d’armes chimiques ou de destruction massive, que ce soit, en Irak ou en Syrie, a été tellement employé pour des situations qui se sont avérées être des mensonges grossiers, ou des situations pour lesquelles les preuves n’ont toujours pas été fournies, qu’une certaine suspicion a fini par apparaître. 

Ensuite on ne voit pas très bien pourquoi le régime syrien aurait utilisé des armes chimiques précisément à ce moment, alors que la bataille de la Goutha était en passe d’être gagnée. L’enclave est libérée aujourd’hui, ça n’a pas de sens. 

La question habituelle qu’il faut se poser est la suivante : à qui profite le crime ? 

On s’aperçoit qu’à chaque fois que l’État syrien a retrouvé un peu de souveraineté sur son territoire, il y a eu systématiquement ce genre d’accusations. C’est surprenant. Maintenant, s’il est avéré qu’il y a eu utilisation d’armes chimiques, encore faudrait-il déterminer qui les a utilisés. Parce qu’on sait très bien que les rebelles ont dans le passé eu recours à des armes chimiques, dans le but de faire accuser l’État syrien. Peut-être sommes-nous à nouveau dans ce genre de scénario. 

Admettons même que ce soit l’État syrien, par l’armée syrienne, qui les ait utilisés, ce serait criminel, mais l’ensemble de cette guerre est criminel. 

Une question demeure : Si on bombarde, pourquoi pas ?, mais que fait-on après ? Qu’est-ce que les bombardements de la Syrie changeraient ? Seraient-ils une aide pour la population ? Accéléreraient-ils la fin de la guerre ? Diminueraient-ils les souffrances des Syriens ? On ne voit pas exactement comment… 

Concernant les retours qu’a l’AED de la population civile, les civils redoutent-ils une intervention américaine et française ? 

Évidemment ! Si on vous annonce qu’on va bombarder votre pays, il est normal que vous soyez inquiet. Le pire étant que la population sur place est assez au courant des réalités de ce conflit. Qui est loin d’être une simple guerre civile. Qu’il y ait des Syriens qui se battent en Syrie, c’est possible. Mais depuis le début de ce conflit, il y a eu l’importation massive de mercenaires étrangers, d’armes étrangères, et de financements étrangers… Il est entendu sur place que cette guerre n’est pas la guerre de la Syrie, mais en fait une guerre imposée par des acteurs étrangers où l’on retrouve des rivalités politiques, des enjeux énergétiques majeurs… La malchance de la Syrie, c’est de se retrouver à l’intersection de tous ces conflits, toute cette tension, et elle en paye le prix. 

Cela rajoute au drame que la population syrienne vit depuis sept ans, une dimension supplémentaire, dans le sens que la population sait bien que si les États-Unis et la France bombardaient leur pays, ce serait pour d’autres raisons que de chercher à rétablir le droit international. Droit international qui en plus serait ouvertement violé puisqu’il n’y a pas eu de résolution des Nations unies. 

Vous dites que ce n’est pas une guerre civile. Y a-t-il une crainte chez les civils de voir le Président Bachar el-Assad reprendre le contrôle de son pays et exercer des représailles ? 

Je ne dis pas que ce n’est pas du tout une guerre civile, mais clairement l’élément étranger a pris le pas quasiment dès le départ sur un conflit qui pouvait opposer une partie de la population syrienne. De fait, quand on discute avec les Syriens, ils étaient favorables à ce que soient menées un certain nombre de réformes, d’évolutions dans le pays. Pour autant, très peu envisageaient ou désiraient rentrer dans un processus chaotique comme on a pu le voir depuis sept ans. 

Il faut savoir que la Syrie même si ce n’était pas une démocratie – et il n’y en a pas beaucoup dans la région – était un pays qui se développait économiquement, où les relations avec les musulmans étaient plutôt bonnes. C’était un État laïque, comme l’Irak… C’est tout de même surprenant de constater que les deux seuls États laïques de la région ont été pris pour cible. N’a-t-on pas cherché à favoriser les extrémistes religieux ? 

Ce que j’ai pu comprendre en interrogeant des Syriens (je ne les ai, bien sûr, pas tous interrogés) sur le terrain, c’est que si Bachar a pu tenir aussi longtemps, c’est parce qu’une bonne partie de la population est derrière lui, et a bien compris que ce jeu international de destruction du pays, avec, encore une fois, l’arrivée massive d’un appui étranger, armes, mercenaires, financements… cherchait d’abord à détruire, et pas à aider de quelque manière que ce soit. 

On constate par ailleurs que l’Etat syrien a récupéré le contrôle du territoire. Or que ce soit Homs, Alep, la Goutha, il n’y a pas eu de grande purge. 

Aujourd’hui il faut reconstruire le pays, c’est ce que les Syriens attendent. 

Concernant la reconstruction de ce pays, vous mentionnez un nouveau plan Marshall qui serait une solution. En quoi consisterait-il ? N’y a-t-il pas le risque d’y voir les « relents colonialistes Â» que l’on évoque de temps en temps ? 

Les « relents colonialistes Â» ce ne sont que les Occidentaux qui en parlent. Pour un plan Marshall, il faudrait savoir qui y participerait. A priori si ceux qui ont participé à la destruction du pays pouvaient participer à sa reconstruction, ce serait simplement une réparation. Ensuite, vu les montants, les sommes envisagées très élevées – le pays est ravagé -, il faudrait que l’ensemble de la communauté internationale participe, pas seulement deux ou trois pays. Ça réduirait d’autant l’idée que ce puisse être la reprise en main par quelque pays que ce soit. 

Avant d’évoquer la reconstruction, il faudrait réunir les différents acteurs sur le dossier syrien, et trouver des solutions pour chacun d’eux. Il y a tellement d’intérêts divergents sur cette crise syrienne… Tant qu’on n’aura pas trouvé un compromis politique au départ sur ce qu’il est possible de faire, au moins trouver un moyen de limiter les pertes sur différents secteurs, il sera inutile de parler reconstruction. Il faut d’abord apaiser les tensions qui sont extrêmes aujourd’hui. 

On ne se rend pas compte, mais on a rarement, dans les précédentes décennies, atteint un niveau de tension tel qu’on le connaît aujourd’hui sur le dossier syrien. Avec notamment les Américains et les Russes qui se font face et ne semblent pas décidés à lâcher le morceau. 

Voici le texte tel qu’il était publié le 12 avril sur le site de l’AED

Alors que d’imminentes frappes internationales menacent à nouveau la Syrie, Marc Fromager, directeur de l’AED, lance un appel urgent à reconstruire le pays plutôt que le replonger sous les bombes.

Reconstruisons la Syrie

Et si au lieu de bombarder la Syrie, soi-disant pour le bien de sa population, nous l’aidions à se reconstruire ?

Alors que le pays commençait à apercevoir le bout du tunnel après 7 ans de guerre (500 000 morts, 14 millions de déplacés/réfugiés), nous voudrions le replonger sous les bombes ? Ne sommes-nous pas encore fatigués des mensonges grotesques au sujet des armes chimiques ou de destruction massive ?

Malgré d’hypothétiques retombées financières pour nous (éventuels contrats d’armement entre autres), bien déplacées au vu des souffrances inimaginables du peuple syrien, pourquoi ne pas réunir nos amis américains, saoudiens et russes en proposant un « Plan Marshall Â» pour sauver la Syrie et accessoirement nous prévenir d’une escalade dont le monde entier pâtirait ?

Notre Président marquerait l’Histoire et notre pays serait à nouveau non seulement fidèle à sa réputation mais retrouverait aussitôt un prestige dans la région et au-delà.

Et si la France renouait avec l’audace ?

Marc FROMAGER, directeur de l’AED,

Mareil-Marly, le 12 avril 2018

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