Sur les pas de Charles de Foucauld

Publié le 12 Nov 2018
Canonisations 15 mai 2022 :  Charles de Foucauld et 9 autres saints portés sur les autels. L'Homme Nouveau

Pendant plus de cinq mois, Jean-François de Marignan a parcouru à pieds le Maroc, sur les traces de Charles de Foucauld, mendiant le gîte et le couvert. Un pélerinage, mais aussi un travail géographique et historique soutenu par La Société de Géographie, l’organisme qui avait en son temps soutenu Charles de Foucauld. De retour depuis seulement quelques mois, il nous a expliqué sa démarche.

Jean-François de Marignan, vous avez effectué un périple au Maroc sur les traces de Charles de Foucauld, quelles sont les raisons qui vous ont amené à marcher à la suite de ce grand saint ? 

C’est un peu les mêmes raisons qui poussent tous ceux qui marchent, sur les chemins de Saint-Jacques ou ailleurs. C’est le besoin de prendre du temps seul, de se connaître, de comprendre ce que l’on veut faire de sa vie… J’avais également La Société de Géographie qui était très ouverte à ce genre de projet, que quelqu’un refasse l’itinéraire parcouru par Charles de Foucauld. 

Je les ai contactés en leur parlant de mon projet, le président a été emballé par l’idée, il m’a dit « on vous parraine, on est derrière vous ». 

Ils vous ont donc aidé financièrement ? 

Ils ne m’ont pas financé directement mon voyage, mais ils ont des mécènes qui m’ont aidé. Ils m’ont surtout apporté un parrainage moral, les avoir avec moi m’a permis d’avoir des contacts sur place, de rendre le projet plus sérieux, ils attendent de moi la publication d’un livre ainsi qu’une conférence (qui aura lieu jeudi 15 novembre). La Société de Géographie m’a permis d’envisager ce périple avec sérieux plutôt que de partir simplement avec mon sac à dos. 

Pourquoi Charles de Foucauld ? 

C’est une figure que j’aime beaucoup. J’ai fait un master 2 d’histoire du monde arabe qui portait beaucoup sur les fondations de monastères cisterciens au proche orient. Il y en a un dans lequel Charles de Foucauld a été pendant six ans, en Syrie, un monastère abandonné dont j’ai retrouvé les ruines, on ne savait plus où il était. J’ai travaillé deux ans le sujet, j’ai beaucoup lu les lettres de Foucauld, c’est une figure que j’ai côtoyée longtemps. 

Pour parler vraiment du projet, Foucauld est parti à 24 ans, sensiblement au même âge que moi, pour découvrir un pays, à cette époque complètement inconnu. L’Empire ottoman tenait tout le Moyen-Orient et le Maroc était la seule région qui n’avait pas été prise par les ottomans. C’était un pays malgré les différentes populations présentes, il y a eu une conscience du Maroc du fait que c’était une région libre sans ottomans. 

Les routes ont évolué depuis le passage de Charles de Foucauld, les tracés sont désormais réalisés au plus court, comment avez-vous pu suivre fidèlement les traces de son passage ? 

Charles de Foucauld détaille tout son trajet au jour le jour dans son livre, nous savons donc à quelle heure il a quitté quel village, de quel côté il a remonté quel oued, quel col il a passé… Le livre suffirait presque à suivre son chemin. En plus des informations il a dessiné des cartes, les premières cartes du Maroc, vraiment complètes et détaillées. J’avais toutes ces informations sur mon téléphone. 

Tout le tissu routier actuel au Maroc a été réalisé par la France, en me déplaçant entre deux villages, les gens me disaient de temps en temps : « c’est l’armée française qui a créé cette piste », tout est hérité de la France du protectorat et c’est un fait reconnu par tous les Marocains. Comme toujours avec la France c’était très direct, très pragmatique, il fallait relier deux villes entre elles, une ligne était tracée.

Charles de Foucauld arrive au Maroc bien avant le protectorat, la France trace ses pistes 40 ans après son passage. L’avantage c’est que la France n’a pas du tout repris les anciennes pistes caravanières que Foucauld a empruntées. À de nombreuses reprises, j’ai donc emprunté des chemins peu fréquentés, des chemins de bergers… Tous les cols à une exception près, n’avaient pas de route. Toutes les routes caravanières de l’époque faisaient énormément de détours. À cause des guerres, des pilleurs, les caravaniers prenaient des routes pour éviter le contact des gens. Il fallait payer la protection qui s’appelait l’«  anaïa  », donnant droit à un papier signé du marabout du coin ou d’un notable. Ce qui fait que tous les deux jours voir même tous les jours Foucauld devait payer et pour éviter ces douanes, il prenait avec ses protecteurs, ses « zetats » des chemins sinueux. 

Avez-vous, comme Charles de Foucauld, réalisé tout votre voyage à pied ? 

À peu près, Foucauld a fait 3200 kilomètres, et à mon compteur je n’en ai que 2830. J’ai fait un peu de stop au début, là où il y avait des routes. Foucauld a relié Tanger – Tétouan à pied, des routes ont été construites depuis et ce n’est vraiment pas agréable de longer des voies routières. Pour les allers retour, j’ai donc fait les allers à pied et les retours en stop. Au sud du Djebel Rif, pour rejoindre Fez, j’ai également fait de l’autostop. Au total, 370 kilomètres, ce qui n’est pas négligeable, mais n’a pas d’impact sur le total. Je ne le regrette pas. 

Le parcours total vous aura pris combien de temps ? 

Cinq mois et demi. Charles de Foucauld y aura passé un an. Une différence importante tient au fait que l’explorateur a dû s’arrêter pendant le ramadan, alors que j’ai marché pendant cette période. Ce n’était pas possible pour lui, les protecteurs qu’il payait étaient musulmans et ne pouvaient pas voyager à cause du ramadan. Son déguisement de juif lui imposait de s’arrêter à chaque Shabbat. Je voudrais d’ailleurs mentionner spécifiquement Mardochée, le compagnon de Foucauld. Charles de Foucauld a été injuste avec ce juif qui l’a guidé. C’était un personnage intéressant, qui a pris énormément de risques, qui a fait beaucoup de missions pour la France avant d’aider Foucauld. Il a énormément renseigné La Société de Géographie, il a été le premier à faire un aller-retour à Tombouctou et à donner des renseignements à la France. Il était brillant, fin connaisseur de la faune et la flore. Il avait beaucoup de mérites. 

La longue durée du trajet de Charles de Foucauld est à imputer aussi aux nombreuses guerres entre tribus. Parfois il est bloqué trois, quatre jours en attendant la paix… 

Pendant le ramadan votre voyage n’a pas été trop impacté ? 

Le ramadan est tombé à cheval sur le mois de mai et le mois de juin. La marche était beaucoup plus compliquée. Je ne pouvais pas manger la journée. J’arrivais dans les villages pour la rupture du jeûne. Il faut savoir que je voyageais en mendiant mes repas et le gîte. 28 jours sur 30, les familles qui m’hébergeaient m’ont préparé un petit déjeuner alors qu’il faisait déjà jour et souvent elles m’ont donné un peu de nourriture : dattes, olives, pain… Ça me suffisait, mais c’était plus difficile. 

Mes journées étaient marquées en dehors du ramadan par les pauses thé, en marchant chaque fois que je m’arrêtais on me proposait du thé, ce qui était très agréable. Ça s’est arrêté pendant le ramadan, je croisais d’ailleurs bien moins de monde, ce qui m’a fait progresser beaucoup plus vite. J’étais dans une partie du voyage qui comportait beaucoup de déserts, il n’y avait pas grand monde, je pouvais boire sans me faire voir. Les chemins dans le désert sont assez bien faits, chaque village n’étant espacé que d’une trentaine de kilomètres. Quelques rares tronçons dépassaient les 40 kilomètres, je les préparais en dormant et en buvant beaucoup en amont. Je me renseignais beaucoup sur le parcours pour ne pas me perdre, les puits, on boit cinq ou six litres d’eau par jour…

Pour l’aspect spirituel de votre pèlerinage, parce que c’était d’abord un voyage spirituel, comment avez-vous fait pour avoir la messe ? 

J’ai beaucoup découvert l’église du Maroc, très belle, pleine de sainteté. Il n’y a pas beaucoup de lieux de messe, mais j’en ai eu une dizaine tout de même. Je me suis arrêté deux fois, pour le mercredi des cendres et Pâques, j’ai quitté mon chemin et je me suis rendu à Notre Dame de l’Atlas, le monastère des moines de Tibhirine. 

Au début, dans les grandes villes, je n’ai pas eu de difficultés à avoir la messe, puis pendant quatre mois, jusqu’à Agadir, je n’ai pas pu avoir de messes. Tous les paroissiens étant francophones, j’ai eu la messe en français à chaque fois. Il y a une très grande importance de la francophonie, grâce à Mohamed VI. Le pays est ouvert sur le monde, mais très fermé sur l’aspect religieux. Il est impossible d’être chrétien et marocain.

Concernant la mendicité, avez-vous rencontré des difficultés ? 

En cinq mois et demi de voyage, je n’ai jamais eu de parole malveillante, de vol, ou de problème. Il y a bien eu quelques jours où j’ai eu faim, mais je n’ai dormi que trois nuits dehors, deux dans le désert, une sur la plage, il n’y a pas un jour où j’ai eu besoin de demander l’hospitalité, elle m’a été proposée à chaque fois. Au total 120 familles m’ont reçue chez elles avant que j’ouvre la bouche. J’ai reçu des leçons de vie et d’hospitalité. 

Pour entendre la conférence de Jean-François de Marignan, rendez-vous le jeudi 15 novembre, à la Société de Géographie 184 Boulevard Saint-Germain, 75006 Paris. 

Ne manquez pas notre Hors Série n°25, Charles de Foucauld : l’Évangile au Sahara.

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