Synode : le cheval de Troie de la gradualité

Publié le 16 Oct 2014
Synode : le cheval de Troie de la gradualité L'Homme Nouveau

Les discussions qui ont eu lieu lors du Synode ne peuvent faire abstraction de la théologie morale enseignée depuis toujours dans l’Église. Débat autour de la notion de gradualité.

Le Synode extraordinaire sur la famille est le théâtre de tensions toujours plus fortes en raison de la doctrine morale qui est engagée sous un aspect particulier : celui de la communion eucharistique d’époux dont le mariage a été rompu par un divorce civil et qui ont contracté une deuxième union, mais aussi de concubins ayant contracté une union civile, ou encore d’homosexuels vivant en couple stable.

Deux moyens sont employés simultanément par les partisans d’une évolution pour contourner l’enseignement traditionnel fondé sur l’indissolubilité du mariage (saint Matthieu 19, 3-6) :

1. La novation est d’abord présentée sous la forme d’un « compromis » entre ceux qui veulent purement et simplement accorder l’Eucharistie aux divorcés remariés et ceux qui tiennent que cela n’est pas possible (1). Entre les deux serait une thèse moyenne : l’accès à l’Eucharistie sera donné dans certaines conditions, par miséricorde, à ceux qui sont encore « en chemin », etc.

R!ègne de l’opinion

2. Ce compromis est ensuite légitimé comme une opinion d’une partie des Pères du Synode, et plus généralement d’une partie des évêques du monde : « Certains pensent que… ». Du coup cette opinion peut être suivie en toute sécurité de conscience par les baptisés.

L’ensemble du processus repose sur la notion de « gradualité » :

« Vu le principe de gradualité du plan salvifique divin, on se demande quelles possibilités sont données aux époux qui vivent l’échec de leur mariage (…). Pour certains, il faudrait que l’éventuel accès aux sacrements soit précédé d’un chemin pénitentiel (…). Il s’agirait d’une situation non généralisée, fruit d’un discernement réalisé au cas par cas, suivant une règle de gradualité, qui tienne compte de la distinction entre état de péché, état de grâce et circonstances atténuantes » (rapport du cardinal Erd?),

« Loi de gradualité », mais pas « gradualité de la loi »

Cette notion avait été mise en avant pour contourner la doctrine d’Humanæ vitæ réprouvant la contraception. Si bien que Familiaris consortio (22 novembre 1981, n. 34) a précisé qu’il était légitime de se référer à une « loi de gradualité », entendue comme loi du comportement moral humain : celui qui adhère fermement au bien malgré les tentations et les faiblesses, sait que pour observer les commandements, il lui faut surmonter bien des difficultés ; il a la ferme intention d’accomplir la volonté de Dieu, même si la bonne résolution est suivie parfois d’échecs et de chutes dans le péché. En revanche, est à prohiber la « gradualité de la loi » : le commandement divin est seulement un idéal vers lequel on doit tendre, et le seul fait d’être « en chemin » vers le bien est déjà un état de justice, au sens biblique et moral du terme (l’état de grâce), encore imparfait.

« Les époux, dit Familiaris consortio, (…) ne peuvent toutefois considérer la loi comme un simple idéal à atteindre dans le futur, mais ils doivent la regarder comme un commandement du Christ Seigneur leur enjoignant de surmonter sérieusement les obstacles. C’est pourquoi ce qu’on appelle la “loi de gradualité” ou voie graduelle ne peut s’identifier à la “gradualité de la loi”, comme s’il y avait dans la loi divine des degrés et des formes de préceptes différents selon les personnes et les situations diverses » (2).

Malgré cela, certains moralistes estiment que l’on peut ouvrir l’accès aux sacrements au pécheur, dans la mesure où celui-ci « tend vers la norme », mais sans pour autant qu’il observe matériellement et immédiatement le précepte. Ils baptisent « loi de gradualité » ce qui est en fait « gradualité de la loi », et l’appliquent aux situations de remariage des divorcés, de relations pré-matrimoniales, de vie en couple homosexuel, etc.

Faire ce que l’on peut

En réalité, Familiaris consortio rappelle que l’Église a toujours demandé d’accomplir les commandements de Dieu, et pas seulement de tendre vers leur accomplissement. Car, selon saint Augustin : « Dieu ne te commande pas de choses impossibles, mais en commandant Il t’invite à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas ». Le concile de Trente ajoutait, en glosant saint Paul : « Il t’aide à pouvoir » (Dz Sch 1536). Les pasteurs doivent, certes, prendre garde à ne pas écraser la mèche qui fume encore, mais ils doivent toujours, comme le Christ lui-même, demander à celui qui vit dans le péché de quitter le mal : « Va, désormais ne pèche plus ». C’est toute la miséricorde de Jésus pour la femme adultère (Jn 8, 11).

Pas d’état mixte entre l’état de grâce et le péché grave

La théologie morale avait au reste beaucoup réfléchi à ces questions, spécialement en ce qui concerne la pastorale du confessionnal appliquée à ce que l’on appelle les « habitudinaires » : personnes qui ont une propension à commettre relativement souvent le même péché. On parlait généralement d’« habitudinaire » pour qualifier celui qui est poussé au mal de manière « interne » (sa complexion naturelle), et on nommait plutôt « récidiviste » le pécheur qui y est amené de manière « externe » (la proximité physique, sociale, ou « occasion de péché » qui induit en tentation).

Les moralistes résolvaient traditionnellement le problème ainsi (3) : celui qui avoue au confessionnal des fautes d’habitude (de vol, de masturbation, d’adultère, etc.), mais qui manifeste une réelle contrition, spécialement en acceptant de prendre les moyens pour ne pas retomber (fuite des tentations, prière, travail sérieux sur la volonté, dévotion à la Sainte Vierge, pénitences), peut être absous.

Progression et conversion

Car autre est la progression en direction de la conversion que suppose ou produit l’absolution sacramentelle, autre est la progression à partir de la conversion dans l’état de grâce et dans la vertu, dont la conservation nécessite au reste un combat méritoire. Il n’y a pas d’état mixte, mélange de grâce sanctifiante et de péché mortel où l’habitation de Dieu ne serait que partielle. Il n’est pas concevable qu’une âme soit pour partie en état d’amitié avec Dieu, fruit de la grâce, pour partie en état d’aversio vis-à-vis de Dieu. L’infusion de la grâce sanctifiante n’est pas graduelle : elle se fait instantanément, sans aucune succession de temps (saint Thomas, Somme théologique, Ia IIæ, q. 113, a. 7). En revanche, la disposition à la conversion, antérieure à l’infusion de la grâce sanctifiante, peut être graduelle, de même que la croissance postérieure dans la grâce sanctifiante. Mais si l’on considère qu’une âme « en chemin » (un concubin qui s’est marié civilement, un divorcé remarié qui entre dans une voie de pénitence) peut accéder aux sacrements, c’est qu’on la considère en état de grâce et que l’adultère ou la fornication, sous certaines conditions, ne sont pas des péchés.

Bien entendu il s’agit en tout cela de jugements au for externe, les seuls que l’on puisse et doive poser pour régler la discipline des sacrements, qui est par définition sociale, Dieu seul étant juge de l’état intime des consciences, tant de celles des personnes qui sont éloignées des sacrements que de celles qui les reçoivent.

Mais n’est-ce pas faire une lecture trop simple des évènements du Synode que de s’en tenir aux termes d’une discussion doctrinale, qui n’avait pas lieu d’être ? La première préoccupation du Pape porte-t-elle vraiment sur le fond d’un débat théologique dont il ne pouvait pas ignorer qu’il aboutirait à l’opposition frontale de thèses inconciliables ? Ce qui est recherché, n’est-ce pas la déstabilisation elle-même de ces positions, dont l’affrontement a marqué l’époque qu’on a qualifié de restauration, de telle manière que l’Église puisse être conduite dans une ère nouvelle ? Il s’agirait alors d’un autre débat, politique celui-là. Sauf que l’Église est par essence enseignante : la déstabilisation présente la conduit au pied du mur. Et ce mur est magistériel.

1. « Le fidèle qui vit habituellement avec une personne qui n’est pas sa femme légitime, ne peut accéder à la communion eucharistique. Si ce fidèle jugeait possible de le faire, les pasteurs et les confesseurs auraient, étant donné la gravité de la matière ainsi que les exigences du bien spirituel de la personne ou du bien commun de l’Église, le grave devoir de l’avertir qu’un tel jugement de conscience est en opposition patente avec la doctrine de l’Église » (Congrégation pour la Doctrine de la foi, Annus internationalis, 14 septembre 1994).

2. Voir Jean-Pascal Perrenx, Théologie morale fondamentale, Téqui, 2008, t. 2, pp. 433-446, avec une critique argumentée d’Alain You, dans La loi de gradualité : une nouveauté en morale ? Lethielleux, 1991.

3. Voir par exemple, pour l’habitude du péché solitaire : Bernard Häring, La loi du Christ, Desclée, 1966, t. 3, pp. 418-420.

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