Tous les pays de la terre ont vu le salut de notre Dieu

Publié le 24 Déc 2018
Tous les pays de la terre ont vu le salut de notre Dieu L'Homme Nouveau

Graduel Vidérunt omnes, Messe du jour de Noël 

Traduction :

Tous les pays de la terre ont vu le salut de notre Dieu. Jubile pour Dieu, toute la terre.

Le Seigneur a fait connaître son salut ; aux yeux des nations il a révélé sa justice. (Psaume 97, 3,4, 2)

Thème spirituel :

La nuit bienheureuse vient de s’achever. Les étoiles et les anges ont rempli leur mission : elles ont brillé avec plus d’éclat, ils ont chanté en se faisant entendre des hommes, à proximité de l’humble étable qui abrite l’enfant nouveau-né. Les bergers ont été attirés par la lumière scintillante et par l’harmonie des chants angéliques ; ils ont accouru avec émotion, ils ont poussé la porte de la pauvre habitation, et là ils ont vu de leurs yeux privilégiés de pauvres et de cœurs purs la splendeur du monde cachée en la personne d’un bébé dormant paisiblement entre les bras de sa toute jeune maman, sous le regard protecteur d’un époux comblé.

Le secret de cette naissance nocturne, écho touchant de la naissance fulgurante du Verbe éternel dans le sein du Père, qui faisait l’objet des chants et de l’atmosphère de la messe de minuit, commence à se divulguer, par l’intermédiaire de ces bergers qui vivaient à Bethléem. Le soleil de justice, la vraie lumière qui illumine le monde est apparue sur la terre. Sa course gigantesque va inonder les ténèbres de l’histoire et les dissiper progressivement. Cette lumière que les chants de la messe de l’aurore nous montre encore enveloppée mystérieusement dans les replis de la nuit, les chants de la messe du jour, et notre graduel en particulier, la dévoilent au contraire au grand jour : « Tous les pays de la terre ont vu le salut de notre Dieu. » Cette vérité n’est certes pas évidente au sens littéral au moment où l’enfant Jésus voit le jour pour la première fois. La liturgie a le don des raccourcis, et ici il est prodigieux : c’est toute l’œuvre du Christ qui est annoncée par avance, jusqu’à son règne définitif et universel dans la gloire. Mais le petit enfant emmailloté de langes est bien le Christ-Roi de l’univers. Il est donc tout à fait légitime de chanter sa victoire et son règne sur les ténèbres, dès le premier instant de son apparition sur la terre. L’Église contemple avec le recul que lui donne son histoire, l’œuvre du salut achevée par la mort et la résurrection du Sauveur. Elle revit la naissance de Jésus en considérant en elle le premier mouvement divin de cette vie qui ne s’est déployée que pour son amour, son rachat, son salut. L’incarnation est rédemptrice et les meilleurs de la race d’Israël l’ont compris très vite : le vieillard Siméon n’est-t-il pas le premier à avoir chanté notre graduel quand il proclamait dans son beau cantique : 

« Maintenant, Souverain Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël1. »

Non, il n’était pas le premier, car Zacharie, le père de Jean-Baptiste, avait reçu d’en haut, avant même la naissance du Christ, la perception claire de la lumière qui allait se répandre sur la terre :

« Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël, de ce qu’il a visité et délivré son peuple, et nous a suscité une puissance de salut dans la maison de David, son serviteur2. »

Mais avant Siméon et avant Zacharie, et beaucoup plus profondément qu’eux, la Vierge Marie avait compris la portée de cet avènement unique dans l’histoire des hommes :

« Il est venu en aide à Israël, son serviteur, se souvenant de sa miséricorde, selon qu’il l’avait annoncé à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa postérité à jamais 3! »

Le texte de notre graduel, tiré du psaume 97 (98 selon l’hébreu), appartient à l’Ancienne alliance. Pourtant, on peut dire qu’il a été repris presque mot pour mot par les témoins privilégiés des merveilles de son accomplissement. L’Église, en reprenant ce texte, ne fait donc que se glisser dans cette herméneutique vivante, celle des cœurs purs qui ont vu et contemplé de si près le salut de notre Dieu. Par sa foi exprimée dans sa liturgie, l’Église nous rend contemporains des merveilles opérées il y a deux mille ans. Elle use alors des mêmes mots qu’ont employés Siméon, Zacharie, la Vierge Mère. Elle se fait et nous rend évangéliques.

Commentaire musical :

Viderunt omnes Partition

Ce beau graduel, tout comme celui de la messe de minuit, est une splendeur. Il est moins mystérieux, moins profond que le graduel Tecum princípium, mais il est plus frais, plus joyeux. Au 2ème mode plein de noble majesté succède un 5ème mode clair et sonnant comme le jour qui se déploie. Cette joie traverse les quatre longues phrases mélodiques réparties de façon équilibrée dans le corps et dans le verset du graduel.

Le début de la première phrase est original et ne fait pas appel aux formules centons. L’intonation est très joyeuse et elle lance d’emblée la mélodie sur les flots de la grande louange. Elle est bien typée, grâce à l’arpège initial Fa-La-Do caractéristique du 5ème mode. Dès que le Do est atteint, la mélodie s’y appuie et se déploie vers les aigus, jusqu’au Mi, avant de se poser sur la première cadence en Do. Toute cette intonation est pleine d’élan et de lumière. Il faut la donner dans un beau mouvement, très léger, en crescendo vers son sommet qui, lui, doit être pris en douceur. La fermeté acquise est entretenue sur les neumes chaleureux et enveloppés de fines terræ qui se balancent de façon très harmonieuse et aussi bien appuyée entre le Do et le La. On reprend du mouvement après la cadence de terræ, et tout en donnant fermement l’accent de salutáre, marqué d’un épisème, on avance joyeusement jusqu’à l’attaque de Dei qui inaugure une montée très large, très puissante qui représente le sommet mélodique et intensif de toute la pièce. Elle est très expressive sur le mot Dei, cette montée chaleureuse par degrés conjoints qui s’achève sur le scandicus Ré-Mi-Fa, qui doit être pris de façon très large, en plénitude. Nous assistons en quelque sorte au lever du soleil, un soleil qui ne se couchera plus mais qui inondera les confins de la terre jusqu’à la fin des temps. Mais comme elle est belle aussi et suggestive cette retombée denostriqui exprime au contraire toute l’humilité de l’épouse ! Ce soleil, c’est sa vie, son sauveur, il lui appartient, il nous appartient dès lors qu’il a daigné prendre notre nature humaine. Il y a donc une belle nuance de douceur sur cenostri, composé de trois clivis, qui conclut cette première phrase mélodique.

La deuxième phrase est différente de la précédente. On le sent dès le début. Après la richesse neumatique qui caractérisait chaque mot, on retrouve une certaine simplicité sur le verbe jubiláteet son invitation à la joie, qui n’est pas sans ressembler mélodiquement à la formule tout en élan de l’intonation. Il faut donc faire sentir un contraste et démarrer cette seconde phrase moins fort et de façon plus allante, plus légère. On peut noter la belle courbe qui enveloppe le nom de Dieu, Deo, prononcé pour la seconde fois, mais traité ici avec beaucoup plus d’intériorité et de douceur. La courbe mélodique traduit à merveille l’adoration, la tendresse, la reconnaissance de toute l’humanité envers son Dieu qui s’est penché sur elle si gratuitement. Puis un nouvel élan joyeux se produit sur omnisqui nous fait entendre à nouveau l’arpège Fa-La-Do typique du 5ème mode. Dès la syllabe finale de omnis et sur terra, le compositeur retrouve une formule centon qui lui permet de conclure le corps du graduel.

Le verset fera appel, lui, tout au long, de ces formules centons qui étaient plus rares dans le corps. C’est le cas dès le début, surnotum fecit Dóminus. Formule admirable qui se déploie sur plus d’une ligne de portée, enveloppant de sa chaleur et de ses contours pleins de douceur, de tendresse aussi, le nom du Seigneur Dóminus. Il convient de donner tout ce passage avec légèreté, sans éclat vocal, dans le plus parfait legato, en suivant bien l’évolution de la mélodie qui monte et descend, traduisant l’acte contemplatif d’émerveillement qui naît dans l’âme à la vue du petit enfant de la crèche. La finale de cette longue vocalise reprend de façon très heureuse les intervalles de la montée de Dei dans le corps, comme pour montrer que cet acte de contemplation s’achève en un acte de foi en la divinité de celui qui s’est revêtu de notre humanité. Que c’est beau et bien trouvé, cela ! Ensuite, on entend pour la deuxième fois le mot salutáre, un mot qui nous fait tant de bien et qui ressemble cette fois, mélodiquement, à la formule de terræ, comme pour souligner le fait que ce salut s’étend bien à toute la terre.

La dernière phrase du verset redémarre (on peut noter que chaque phrase mélodique commence par un ou deux punctum isolés, comme pour redonner le mouvement à cette longue pièce). Une troisième fois, on est conduit avec chaleur vers le Fa aigu, ici sur géntium, et c’est dans un grand enthousiasme que les formules centons degéntium, de revelávitet de suam, fixent cette fin de pièce magnifique. La finale de revelávit, en se posant sur le Fa, amène doucement la détente qui s’empare des deux derniers mots, bien larges, bien chaleureux, pour conférer aux âmes la paix, fruit de la naissance de Jésus.

Dom Gajard remarque qu’il ne faut pas s’effrayer des variation continuelles de tempo, tout au long de ce graduel. C’est par ce moyen que l’on peut traduire la vie qui circule de Dieu dans le cœur de l’épouse et remonte vers le Seigneur en action de grâce, en louange, en émerveillement.

1. Luc, 2, 29-32.

2. Luc, 1, 68-69.

3. Luc, 1, 54-55.

Vous pouvez l’écouter ici

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