Si la vie intérieure est essentielle, notre foi s’incarne aussi dans des rites et offices. Particulièrement pendant la Semaine sainte où toute la Passion est revécue à travers de nombreuses cérémonies.
Mais comment bénéficier de cet aspect de la vie chrétienne en temps d’épidémie ? Conseils d’un évêque.
Nous savons, comme chrétiens, que la fête de Pâques est le sommet de la vie chrétienne. Vivre la mort et la résurrection du Christ est le sommet de la liturgie. Cette célébration du « mystère de la foi » est d’ailleurs préparée par le temps du Carême : quarante jours pour nous permettre de « revenir au Seigneur de tout notre cœur ».
Des signes et des symboles :
Ce temps du Carême, s’il évoque les quarante ans d’errance du peuple hébreu et les quarante jours de jeûne de Jésus au désert, a préparé les fidèles à vivre la Semaine Sainte. Là est précisément la difficulté : le passage de l’intériorité à la célébration. Cette préparation, en effet, n’est pas seulement une démarche intérieure. Elle se vit aussi à travers des gestes concrets dont la participation aux célébrations des « jours saints ». Cette participation est le signe le plus visible et le plus fort pour notre association au mystère de la passion et de la résurrection de Notre-Seigneur. Nous avons besoin de signes et de symboles. La foi n’est pas seulement un acte silencieux, une adhésion intérieure et secrète. Elle se traduit par l’expression liturgique. Pour nous catholiques l’insistance sur l’Incarnation ouvre un large champ à une symbolique expressive inscrite dans les rites. Au cours de la Semaine Sainte nous retrouvons les branches des rameaux, l’huile de nos olives et le parfum suave du baume, la croix, l’eau, le feu, les lumières et le cierge pascal, la joyeuse volée des cloches et leur silence, leur vibrant éclat dans la nuit de Pâques qui annonce la victoire du Ressuscité. Nos yeux suivent aussi le changement des couleurs liturgiques et les gestes qui traduisent l’essence même de notre foi, par exemple le reposoir et l’adoration pendant la nuit du Jeudi Saint.
En raison des directives données les rassemblements pour des motifs religieux sont, comme pour tout autre motif, interdits. La question est donc de savoir comment « pratiquer » cette semaine sainte. Il est d’abord nécessaire d’accepter le réel. Nous ne sommes pas maîtres de certaines décisions. La purification du Carême devrait nous conduire à une grande humilité : nous accueillons ce qui nous est donné. Une chose est d’aspirer à célébrer harmonieusement les mystères de la foi, autre chose est d’en faire un droit. L’Eglise propose des palliatifs pour ne pas sombrer dans la négligence et l’oubli de ce temps liturgique fondamental.
Comment recevoir et mettre en œuvre ces orientations ?
Comme évêque je les ai proposées aux curés du diocèse avec quelques adaptations aux réalités locales. Le premier souci est de pouvoir rejoindre les personnes et leur permettre d’accueillir la Parole de Dieu et le sens des fêtes pascales. La télévision (le Jour du Seigneur et, surtout chaque jour, KTO) est une possibilité pour la plupart, les radios chrétiennes créent des programmes nouveaux adaptés aux circonstances, les réseaux sociaux et particulièrement internet véhiculent même en direct des messes et des célébrations vécues dans les diocèses. Il y a là une richesse qu’il faut utiliser et faire connaître. Mais cette richesse ne dispense pas de nos propres efforts.
D’abord pour nous, évêques et ministres ordonnés, il n’est pas question de résignation. Comme dans bien d’autres domaines tout ce que nous pouvons faire nous devons le faire et, en particulier, soutenir les fidèles, prier avec eux et retransmettre nos célébrations comme un support familier et parlant. Beaucoup ont besoin de l’image et nous pouvons répondre à ce besoin. Nos homélies ont intérêt à être brèves mais fortes et nourrissantes : la période est doublement importante : la semaine sainte et la pandémie. Les fidèles (je pense aussi aux jeunes de la zone C qui sont en vacances scolaires) ont diverses propositions qu’ils peuvent reprendre. Point n’est besoin de les accumuler mais il est bon d’aborder le Triduum pascal avec les moyens dont on va disposer.
Des gestes priants et parlants, la prière d’un peuple tout entier :
Le déroulement des célébrations « domestiques », envoyé par les services de la Conférence Episcopale aux évêques qui l’ont transmis aux paroisses peut conduire la démarche ;
- La lecture « dégustée » de la Parole de Dieu quotidienne
- Les émissions retransmises depuis Rome et les diffusions nationales et diocésaines
- Les relais entre paroissiens, membres de groupes de prière, de maisonnées, de groupes de maison, de foyers, etc.
- S’autoriser au titre de la « respiration spirituelle » à passer par l’église ouverte et y prier un moment
- Avoir le souci fraternel d’autrui quel qu’il soit.
Enfin rester dans la joie et la répandre autour de nous car, à Pâques, nous passons des ténèbres à la lumière. Jésus était mort et Il est vivant et il nous fait vivre.
Les « gestes » de Pâques :
Vous ne pouvez pas vous confesser pour Pâques et vous en êtes peiné ? D’abord essayez de vous renseigner : peut-être un prêtre acceptera-t-il de vous recevoir… Avec la distance voulue ? Sinon, prenez une feuille, faites un sérieux examen de conscience (tout doit y passer sans esquiver les péchés « difficiles » ), regardez le Christ en croix (« ce sont nos péchés qu’il portait ») et relisez votre vie écrivez tous ces péchés, en ayant devant les yeux l’image que vous pourriez mourir chargé de ces péchés, puis demandez pardon au Seigneur du fond de votre cœur, ajoutez l’acte de contrition, pliez soigneusement la feuille et, quand vous pourrez, lisez cette confession au prêtre mais, attention, que cette confession soit vraie en tous points et que vous regrettiez le mal que vous avez commis. Ainsi vous êtes réellement pardonné en attendant votre prochaine confession. Le Seigneur ne manque pas de moyens pour exercer sa miséricorde mais nous ne l’accueillons pas.
Pour la Communion eucharistique nous sommes appelés à une communion spirituelle. Être privé de l’eucharistie est une souffrance réelle mais nous pouvons ainsi saisir la place absolue qu’elle tient dans ma vie. Est-ce que je rends grâce pour toutes les communions que je vis ? Est-ce que je reconnais que sans le ministère du prêtre le Seigneur ne peut me donner son corps, « nourriture pour la vie éternelle. » ? Je ne pourrai donc pas communier à Pâques. C’est grave et, en même temps, je suis associé aux pauvres, « à la table de ceux qui n’ont rien », je vis un grand dépouillement. Nul n’a droit à l’eucharistie, c’est un pur don de Dieu, une grâce. Je ne peux pas revendiquer ma condition de catholique pratiquant pour l’exiger, je suis comme toute l’Eglise, pauvre et dans l’attente. « Le Seigneur vient » et j’attends son retour glorieux. En l’absence de communion eucharistique je vis pleinement ce désir. C’est ce qui a été heureusement rappelé depuis le début de la pandémie du COVID 19 : la communion spirituelle qui est une pratique très ancienne est une attente heureuse du Corps du Christ. Je le désire mais je ne le reçois pas mais, dans la foi, je suis saisi par une autre forme de sa présence.
Conclusion :
Pendant ce temps liturgique beaucoup de questions doivent se poser à nous. D’abord laissons de côté « l’obligation pascale » : se confesser et communier. C’est certes indispensable à ma vie de fidèle du Christ mais les circonstances ne le permettent pas. Je le ferai lorsque je pourrai et je n’ai pas à me focaliser sur cette question. Au contraire, j’ai à m’interroger profondément sur ce que signifie pour moi vivre la mort et la résurrection du Christ. Je peux enfin prendre du temps pour accompagner Jésus sur ce chemin. La Providence Divine nous fait un véritable cadeau ; au-delà du manque nous retrouvons ce que le Carême nous a aidé à découvrir : le Seigneur veut nous sauver et nous ramener vers le Père. Par sa mort et sa résurrection il a accompli ce salut et il ne cesse de nous donner les moyens de le recevoir. Ne nous plaignons pas de la rigueur des temps, accueillons la présence vivante du Seigneur !