Un collectif met en garde contre une utilisation précoce des smartphones

Publié le 20 Déc 2019
Un collectif met en garde contre une utilisation précoce des smartphones L'Homme Nouveau

Créé par deux mères de famille, le collectif des « Parents unis contre le smartphone » veut alerter sur l’usage précoce des smartphones1, et particulièrement sur les dangers de cette connexion Internet à portée de main de nos enfants. Le bilan est clair : de plus en plus de parents prennent conscience des enjeux mais il y a encore beaucoup à faire pour développer des arguments et des moyens pour sensibiliser enfants et adultes.

Qui sont les « Parents unis contre le smartphone avant 15 ans » ?

Il s’agit d’un groupe Facebook créé il y a quatre mois et qui réunit aujourd’hui environ 7 000 parents solidaires dans la volonté de lutter contre l’invasion du smartphone, sachant que 15 ans est un âge indicatif qui peut varier en fonction de la maturité de l’enfant. Ces parents se regroupent pour mieux résister à la pression sociale grandissante par rapport à l’usage du smartphone.

N’est-ce pas contradictoire que de mettre en garde sur l’utilisation du smartphone sur Facebook, un réseau social que l’on consulte essentiellement depuis… un smartphone, justement ?

Nous ne remettons pas en cause, par ce groupe, l’usage du smartphone par les adultes, même si la question se pose aussi ! Nous avons fait le choix d’utiliser ce moyen de communication parce que Facebook nous permet de rassembler des parents qui se sentaient très isolés et d’avoir une portée plus virale qu’avec un site Internet classique qui demande, par ailleurs, plus de moyens. 

Comment vous est venue cette idée d’un collectif de parents ?

Ma fille a été témoin, en CM1, d’un « incident pornographique ». Pour dire les choses telles qu’elles sont, une petite fille de la classe a demandé un bisou à un garçon, lequel a dit qu’il acceptait à condition qu’elle lui fasse une fellation en échange. J’étais effarée lorsque ma fille est revenue le soir en me demandant ce que cela signifiait. Elle n’avait que 8 ans ! Après enquête, il s’avère que le petit garçon avait vu un film pornographique sur le téléphone d’un cousin un peu plus âgé. J’avais alors une idée assez théorique des méfaits des écrans et cet incident a été une première alerte très forte. Des amis, qui ont des enfants plus âgés, me disaient souvent avoir cédé sur le smartphone, « parce que tout le monde en a un ». J’ai commencé à mesurer que ce n’était pas un choix volontaire des parents. La formulation « j’ai craqué », qu’ils emploient souvent, est révélatrice. 

Au-delà du soutien mutuel, est-ce que le collectif des « Parents unis » propose des arguments, des clés de compréhension sur l’usage du smartphone ?

Effectivement, ce groupe est devenu aussi une sorte de bibliothèque virtuelle de toutes les ressources (livres, documentaires, articles…) que nous pouvons trouver sur le sujet. Ma fille, qui est en 6e maintenant, m’a récemment demandé à s’inscrire sur Instagram ; en me documentant sur le sujet, j’ai pu lui dire que cet outil ne faisait que développer l’ego, qu’il incitait à surveiller en permanence les « like » et que cela posait de tels problèmes psychologiques ou relatifs à la pédophilie qu’au Canada, par exemple, le gouvernement a décidé de supprimer la possibilité des « like » sur le réseau social. Des études ont montré que la dépression était beaucoup plus fréquente chez les enfants actifs sur les réseaux sociaux, des dépressions « par comparaison », qui naissent de l’idée que les autres ont une vie meilleure… Il faut savoir que certains adolescents vérifient jusqu’à 200 fois par jour le succès de leurs publications sur les réseaux. Bref, il est important d’avoir des informations, des données précises sur ces sujets pour que nos enfants comprennent notre démarche. L’autoritarisme ne fonctionne pas. Expliquer, parler aux enfants leur permet de prendre réellement conscience de ce qui est en jeu et d’accepter cet interdit, de l’assumer devant leurs amis.

La consultation compulsive des notifications touche aussi les adultes !

Évidemment, et le groupe a permis aussi à de nombreux adultes de prendre conscience de leur propre addiction. Certains ont décidé d’éteindre leur smartphone en arrivant chez eux, de ne pas l’utiliser devant les enfants ou même de changer pour un téléphone qui ne soit pas connecté à Internet. L’éducation se fait en grande partie par mimétisme, alors comment convaincre nos enfants des méfaits de l’invasion des écrans dans leur vie si nous y sommes nous-mêmes rivés en permanence ? Par ailleurs, au-delà de l’exemple, il est clair qu’il faut être capable d’une certaine autorité, de poser des limites à nos enfants, et c’est une question qui revient très souvent dans le groupe. 

Une chose est claire : les enfants et adolescents qui utilisent un smartphone sont largement confrontés à la pornographie. Les parents en sont-ils conscients ? 

Non, une majorité des parents n’en a pas conscience, il y a presque une forme de déni. Ils sont tellement persuadés que leurs enfants ont besoin d’un smartphone pour pouvoir être contactés à tout moment qu’ils oublient les dangers de ces écrans. Les parents ne sont pas seuls responsables de cet aveuglement, c’est un problème de société en réalité. Je sens bien que les écoles sont désemparées par ce qu’elles constatent mais la plupart des parents ne mesurent pas l’ampleur des dégâts, il faudrait bien plus de moyens pour les sensibiliser. Un récent documentaire montrait un père qui a découvert le compte Instagram de sa fille de 12 ans qui posait nue et recevait des photos obscènes d’hommes adultes… Moi-même, si je n’avais pas été confrontée à l’incident qui a touché ma fille en CM1, aurais-je vraiment pu imaginer ce qui peut traverser l’esprit d’une fille de 12 ans ? On dit que 6 % des adolescents sont porno-dépendants, et encore… Les chiffres sont très certainement sous-évalués.

Vous évoquez les moyens dont on devrait doter l’école pour mieux informer les parents. Mais n’est-ce pas les parents qui devraient, les premiers, informer sur les dangers du smartphone ?

Oui, en théorie. Mais en pratique, les enfants mènent – volontairement ou non – un double jeu et n’ont pas du tout le même comportement chez eux qu’à l’école. On imagine difficilement son enfant de 10 ans confronté à un contenu pornographique dans la cour de récréation. Et pourtant…

C’est pour cela, d’ailleurs, qu’il ne faut pas tout interdire pour pouvoir former progressivement nos enfants, avant que les copains de classe ne s’en chargent eux-mêmes. J’ai, par exemple, autorisé ma fille à utiliser WhatsApp sur mon téléphone et nous pouvons en discuter ensemble. Je peux lui dire quand, par exemple, une photo qu’elle envoie n’est pas adaptée. L’interdit brutal peut faire des dégâts et les limites qui tiennent sont d’abord celles qui sont intériorisées par l’enfant. À tout moment, nos enfants peuvent tomber sur des images pornographiques, il faut donc intervenir avant cela, avant ce « viol psychologique », pour expliquer en quoi ces contenus sont mauvais, expliquer en quoi ils donnent une image complètement fausse des relations humaines et du corps lui-même. Il faut aussi que les enfants sachent qu’ils doivent en parler à un adulte s’ils voient ces images. J’ai expliqué à mes enfants que la pornographie était véritablement une drogue, je leur ai fait lire le témoignage d’adolescents détruits par cela et qui tentent désespérément de s’en sortir. C’est bouleversant. Il n’y a pas de solution miracle pour préserver nos enfants mais une chose est claire : le déni est pire que tout et il est encore assez fort dans certains milieux, notamment catholiques, qui se croient préservés. La réalité, c’est que ces milieux sont touchés comme les autres. 

Les parents doivent être les premiers acteurs de la prévention mais l’usage des écrans et la pornographie sont aussi des problématiques politiques.

Oui, et il est important de mettre ce sujet sur la place publique. Le corps médical est, dans l’ensemble, catastrophé par les effets des écrans sur les enfants. Comme par hasard, l’augmentation massive – estimée à 200 % – des troubles du langage correspond à l’arrivée des smartphones, autour de l’année 2010. Il s’agit d’un scandale sanitaire équivalent à celui du tabac. Les optimistes disent que cela va reculer, qu’on limitera l’usage des smartphones comme on a interdit la cigarette dans les lieux publics, ce qui était pourtant inimaginable il y a vingt ans. 

1. Littéralement « téléphone intelligent », le smartphone est un téléphone relié à Internet avec des fonctionnalités semblables à celles d’un ordinateur.

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