La pause liturgie | « Domine refugium » du 27ème dimanche per annum

Publié le 26 Sep 2020
La pause liturgie | "Domine refugium" du 27ème dimanche per annum L'Homme Nouveau

« Seigneur, tu t’es fait notre refuge d’âge en âge. Avant que les montagnes fussent créées, avant que la terre et le monde fussent formés, depuis toujours et à tout jamais tu es Dieu. »
(Psaume 89, 1, 2)

Commentaire spirituel

Voici un graduel qui chante avec bonheur l’éternité de Dieu et aussi son intimité de toujours avec les hommes de tous les temps. Il est tiré du psaume 89 (90 selon l’hébreu) attribué à Moïse, qui médite sur la brièveté de la vie humaine en regard de l’infini de Dieu. Dans la liturgie monastique, ce psaume est chanté à l’office des Laudes, choisi par saint Benoît en raison de son beau verset 14 : « Rassasie-nous de ton amour au matin, nous serons dans la joie et le chant tous les jours. » Mais il y a bien d’autres perles dans ce chant de louange qui est une contemplation émerveillée de la transcendance de Dieu. J’en glane quelques uns au passage : verset 4 : « Car mille ans sont à tes yeux comme le jour d’hier qui passe, comme une veille dans la nuit. » Versets 9 et 10 : « Nous consommons nos années comme un soupir. Le temps de nos années, quelque 70 ans, 80, si la vigueur y est ; mais leur grand nombre n’est que peine et mécompte, car elles passent vite, et nous nous envolons. » Verset 12 : « Fais-nous savoir comment compter nos jours, que nous venions de cœur à la sagesse ! ». Et puis il y a notre graduel, c’est-à-dire les deux premiers versets du psaume. Curieusement, le chant commence non par la mention de la pré-existence de Dieu par rapport à toute la Création, mais par l’évocation de l’intimité divine. Pourquoi curieusement ? Parce qu’on serait tenté de placer en tête de nos considérations sur Dieu celle de sa vie à lui, avant qu’il soit question du monde. L’univers créé n’est rien pour Dieu, il n’est qu’une diffusion hors de lui de sa bonté infinie, mais il ne lui ajoute rien. Et nous avons du mal à nous persuader de cette vérité. Dieu possède, en plénitude, toutes les splendeurs de la Création. Il en est l’auteur. Un effet ne peut pas être plus parfait que sa cause. Dieu est la beauté, la richesse, la bonté, l’amabilité infinies. La logique voudrait que l’on n’ait pas peur de se donner tout entier à cette immensité seule capable de nous combler. Seulement voilà, le péché nous attire vers le bas, vers le néant, vers la créature. Nous sommes fascinés par les réalités sensibles qui nous entourent, par les choses que l’on voit, que l’on entend, que l’on touche. Et même si l’on sait que tout cela vient de Dieu et que par conséquent son amour est plus intéressant que tout cela, concrètement on se laisse entraîner vers ce qui nous est plus accessible et l’on délaisse ce que l’on n’appréhende pas. Dieu est invisible, c’est son gros handicap, si l’on peut dire, et c’est surtout le nôtre car nous sommes très mal à l’aise, par nature, avec l’invisible. Dieu voile sa gloire ou plus exactement sa gloire n’est pas visible à l’œil nu, elle est d’un ordre infiniment supérieur, elle est d’ordre spirituel. Alors nous ne l’apercevons même pas. Nous vivons à proximité de la gloire de Dieu, nous en sommes les contemporains, et pourtant nous abaissons nos regards vers les créatures qui nous entourent, cela nous rassure. Alors puissions-nous faire l’expérience de l’inanité radicale de la créature et même du danger qu’elle peut représenter pour nous. C’est dans cette expérience de l’éphémère, souvent cruelle pour nous, que l’amour brûlant et jaloux que Dieu a envers nous, se cache et se révèle. Il permet que nous goûtions l’amertume pour qu’enfin nous osions nous tourner vers lui. Et c’est, je crois, le sens de notre graduel qui, comme je l’ai dit, commence par affirmer à Dieu qu’il est bien notre unique refuge, de génération en génération. C’est un acte de foi, fondé bien sûr, pour nous qui vivons après des siècles d’histoire sainte, sur la considération des multiples interventions divines dans l’humanité. Nous avons la preuve que le Seigneur nous a aimés, nous ne pouvons pas en douter sérieusement. Ce qu’il a été depuis toujours, il continue et il continuera de l’être. Bien loin d’être un grand et froid horloger qui a réglé initialement la mécanique du monde et qui le laisse ensuite chavirer sans plus s’en occuper, le Seigneur accompagne au contraire sa création d’un amour constant qui la porte dans l’être, dans son agir, dans tous ses mouvements. Et la consistance de son être tout puissant en fait notre refuge. Le refuge, pour un enfant, c’est à la fois la force paternelle qui défend contre les dangers et la douceur maternelle qui accueille et réconforte. Dieu est tout cela pour nous, de façon sur-éminente.

Commentaire musical

Nous retrouvons une mélodie type du 2ème mode que nous avons maintes fois rencontrée déjà. Il y a de la lumière dans cette mélodie, de la clarté, de la joie, et aussi une certaine grandeur qui convient très bien à un texte comme celui-ci. On peut même dire que le texte du verset qui chante l’éternité de Dieu, confère à la mélodie un surcroît de grandeur et de solennité. Le corps du graduel est composé de trois phrases au texte très court, alors que le verset, plus long, est formé par quatre phrases mélodiques.

L’intonation classique met très simplement le nom du Seigneur en valeur, avec son accent développé sur un neume simple de trois notes et ses deux syllabes faibles traitées chacune par une seule note. C’est on ne peut plus simple. Le mot refugium qui suit doit être chanté avec beaucoup de legato malgré le va et vient mélodique qui le caractérise. Tout le début de cette pièce doit baigner dans une atmosphère de calme, de paix, d’intimité chaleureuse et lumineuse. L’âme se repose dans la certitude d’être aimée d’un amour tout puissant. Cette certitude la soulève sur le verbe factus qu’il ne faudrait pas traduire par devenu. Le Seigneur ne devient pas notre refuge, il l’est depuis toujours par sa nature même de Dieu, il s’est constitué notre refuge. Et l’âme s’émerveille devant cette réalité qui la rassure. Le bel élan de factus doit être à la fois traduit par un mouvement très léger et un épanouissement du sommet, avec une retombée douce sur la syllabe du participe et le verbe es qui nous fait revenir dans un climat d’intimité sereine. Ce climat se prolonge sur le mot nobis qui s’étend avec complaisance sur cette mention des bénéficiaires de la force divine. Il faut partir piano sur l’attaque de nobis, avec beaucoup d’intériorité. Puis, l’âme se laisse comme emporter par un enthousiasme irrésistible que le crescendo vers le Ré aigu de nobis doit bien faire sentir.

La deuxième phrase musicale est constituée des deux petits mots a generatione. Cette phrase est pleine de légèreté dès le début avec son récitatif sur le Do qui s’épanouit en une belle montée mais véloce, juste avant le quart de barre. Et de l’autre côté de la barre on va vers la cadence, donc la mélodie s’élargit et s’amplifie. On se pose sur le Fa.

La troisième phrase est elle aussi constituée de deux mots : et progenie. Il s’agit bien de deux phrases musicales alors que l’idée est une : elle exprime la providence divine qui s’exerce depuis toujours (a generatione) et pour toujours (et progenie). Pourquoi alors deux phrases musicales ? Justement parce que la mélodie a aussi son mot a dire et qu’entre les deux phrases, il y a une nuance expressive. La première est beaucoup plus légère, au moins en son début, tandis que la seconde, qui va nous orienter vers le verset, participe déjà un peu de son caractère solennel. Elle va nous emmener vers le sommet de tout le corps du graduel, dans une joie que plus rien n’arrête et qui témoigne de l’admiration sans borne de l’âme devant la perspective infinie qui s’ouvre devant elle. Cette formule classique du 2ème mode, sur et progenie acquiert ici une beauté singulière, faite d’enthousiasme et de grandeur, de grâce et de noblesse, qui par sa longueur, nous fait en quelque sorte sortir du temps et nous introduit dans le temps de Dieu que la mélodie du verset va chanter à profusion.

C’est vraiment de la grande louange grégorienne, très contemplative, située dans les hauteurs du registre du 2ème mode, ce qui correspond d’ailleurs doublement au texte qui parle d’une part de l’éternité de Dieu, donc quelque chose qui nous dépasse complètement, et qui évoque d’autre part cette éternité au moyen de la mention des hautes montagnes dont l’existence impressionnante s’enracine dans les profondeurs des millénaires passés. Or tout cela n’est rien en comparaison de l’être de Dieu. Les allées et venues de la mélodie, du haut en bas de l’échelle avec une préférence très nette pour les notes aiguës, expriment la longueur du temps créé que l’existence de Dieu pénètre de part en part. Il faut chanter ces neumes de façon très légère et très régulière, en ménageant bien les crescendo dans les montées, les decrescendo dans les descentes.

La terre et l’univers entier, mentionnés dans la deuxième phrase du verset ne sont rien non plus. Ici la mélodie se campe résolument dans le haut, prenant pour base d’abord le Ré aigu, puis le Do et ne touchant le La qu’à quatre ou cinq reprises, et ne descendant pas en dessous. On peut noter le passage syllabique de formaretur terra qui semble nous faire assister à la création grandiose du globe terrestre et de toutes ses richesses. Il ne faut donc pas précipiter ces quelques notes mais laisser aux mots leur courant d’accentuation qui va nous conduire en crescendo vers orbis.La longue vocalise de ce mot qui désigne l’univers est également très bien adaptée : elle plane et l’on imagine l’Esprit du Seigneur survolant les eaux primordiales, alors que la terre est encore informe.

Les deux dernières phrases (a sæculo et in sæculum tu es Deus) résument la grande vérité que chante ce graduel. Depuis toujours et pour toujours, Dieu est. Le tu es très affirmatif, est impressionnant de brièveté, alors qu’il exprime justement l’éternité divine. Il nous dit finalement de la manière la plus adaptée que cette éternité transcende toutes nos idées temporelles. La pièce se termine sur le nom de Dieu. Il est le dernier mot de tout. Ce grand graduel ignorant toute prière de demande nous a fait longuement contempler quelque chose de la puissance de ce Dieu qui, ne l’oublions pas, demeure notre refuge, malgré sa splendeur ou mieux grâce à sa splendeur qui est une splendeur d’amour et de bonté.

À écouter ici.

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