Note des Dominicaines du Saint-Esprit à la suite de notre enquête

Publié le 07 Mai 2021
Note des Dominicaines du Saint-Esprit à la suite de notre enquête L'Homme Nouveau

À la demande de l’Institut des Dominicaines du Saint-Esprit, nous publions bien volontiers la réponse qu’elles nous ont fait parvenir à la suite de la parution sur ce site de l’article « Tempête chez les Dominicaines du Saint-Esprit ». Nous rappelons que l’Institut des Dominicaines du Saint-Esprit avait été contacté pour donner son point de vue dans le cadre de cette enquête qui n’avait pas pour but évidemment de contester l’autorité romaine ni se substituer à qui que ce soit.

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Note des Dominicaines du Saint-Esprit à la suite de l’article intitulé « Tempête chez les Dominicaines du Saint-Esprit. Notre enquête »

L’article paru le 7 mai sur le site de l’Homme Nouveau au sujet de notre Institut appelle une brève réponse de notre part :

Nous rappelons que la Visite Apostolique dans notre Institut est menée directement par le Saint-Siège. Cela devrait être une raison suffisante pour tout catholique de garder une sage retenue, à défaut de disposer de l’ensemble des éléments. Nous regrettons beaucoup que l’Homme Nouveau ait cru bon de publier un article mettant à ce point en cause l’autorité romaine. On peut s’interroger sur le but de cet article, dont nous nous contenterons de dire qu’il est plein d’erreurs factuelles, en plus de sous-entendus malveillants, comme les lecteurs auront pu s’en rendre compte.

Nous réaffirmons fermement que la ligne de notre Institut depuis son origine, clairement définie par nos Constitutions, est celle de la fidélité et de l’attachement indéfectible envers le Saint-Siège et le Pontife romain. Toute Dominicaine du Saint-Esprit s’est engagée à faire siens les avis, ordres, conseils et préceptes du Siège Apostolique avec la plus entière docilité, à cultiver et communiquer la romanité d’esprit. Nous n’entendons pas remettre en cause cette attitude fondamentale de notre vocation, et nous exprimons notre profond regret que l’article du 7 mai ait pris une direction opposée, en jetant le soupçon sur les décisions prises dans le cadre de la Visite Apostolique ordonnée par le Saint-Père.

Nous confions notre Institut à votre prière qui reste le plus sûr moyen de nous aider.

MM de St-Charles, Prieure générale, et le Conseil

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Tempête chez les Dominicaines du Saint-Esprit. Notre enquête.

Une crise très grave agite la congrégation des Dominicaines du Saint-Esprit depuis maintenant 10 ans. Les récentes mesures de sanctions prises à l’encontre de l’une des mères ont ravivé les querelles internes et, surtout, suscité de nombreuses questions. Les réponses et les explications, elles, sont rares. 

Que se passe-t-il chez « les Mères », comme les appellent leurs élèves et les nombreuses familles qui, depuis des décennies, gravitent autour de la congrégation ? 

D’abord une crise d’identité profonde, avec des religieuses qui ne partagent plus la même vision de ce qu’est et doit être leur ordre, à laquelle s’ajoutent des conflits humains et des complications juridiques puisque l’affaire relève désormais pour une part de la justice de l’Église et de la justice civile. Enquête de Jeanne Smits.

L’annonce du renvoi définitif d’une Dominicaine du Saint-Esprit, Mère Marie Ferréol OP, le 26 avril dernier, a mis un point final à un feuilleton qui a agité depuis le mois de novembre le monde des anciens de l’Institut fondé dans les années 1940 par le père Victor-Alain Berto. Point final ? Pas tout à fait. A l’heure de publier, un recours reste pendant devant le pape François.

L’affaire a éclaté le 27 octobre dernier, toutes les sœurs des différentes maisons que compte l’Institut à Nantes, La Baffe, Saint-Cloud, Draguignan et Pontcalec étant réunies pour entendre les conclusions d’une visite apostolique déclenchée début juillet.

Trois sœurs ont alors été brutalement arrachées à leur vie communautaire : deux pour des durées restreintes de trois mois (Mère Marie Pia) et huit mois (Mère Marie de Saint-Denis), officiellement pour « se reposer ». La troisième, Mère Marie Ferréol, était convoquée par les visiteurs apostoliques : Dom Jean-Charles Nault, père abbé de Saint-Wandrille, et Mère Emmanuelle Desjobert, mère abbesse de Boulaur, par ailleurs co-postulatrice de la cause de Claire de Castelbajac avec le P. de la Soujeole OP. Ils lui signifiaient que du fait de son « mauvais esprit », elle était exclaustrée pour trois ans renouvelables, avec interdiction de communiquer, pour mener une vie de pénitence. Elle dut partir sur-le-champ.

Sa disparition subite déclenche une onde de rumeurs, mais aussi l’inquiétude de sa famille biologique. Nul ne sait où elle est et la Prieure de l’Institut, Mère Marie de Saint-Charles, refuse de communiquer son adresse. Le 30 novembre, plus d’un mois plus tard, un communiqué signé de la Prieure veut rassurer : « Nous attendons son accord pour rendre public le lieu où elle réside. Mère Marie Ferréol est dans un monastère dans lequel elle peut vivre une vie liturgique proche de celle qu’elle connaît et apprécie. »

Les coups de fil se multiplient tous azimuts de la part des membres de sa famille pour essayer de la retrouver, deux plaintes sont déposées. La montée de la pression, ainsi qu’une autorisation accordée à la recluse de rendre visite à sa sœur biologique gravement malade finissent par permettre d’identifier le lieu de résidence qu’elle n’a pas révélé de peur de voir sa sanction aggravée : l’abbaye Sainte-Cécile de Solesmes.

S’il est vrai que Mère Marie Ferréol y trouve une vie religieuse communautaire, la question liturgique, elle, est plus délicate. Contrairement à Pontcalec et ses différentes maisons où la messe traditionnelle a toujours été célébrée, c’est le Nouvel Ordo qui y a cours – et la communion dans la main.

Au mois de janvier 2021, Mère Marie Ferréol est transférée à proximité de l’abbaye de Randol, seule, avec les mêmes règles draconiennes mais la possibilité de suivre la vie liturgique des moines selon le rite traditionnel.

En février, enfin dotée d’un avocat canonique, Mère Marie Ferréol est convoquée à une réunion qui sera finalement annulée par les visiteurs. A la place, la voilà sommée de se rendre à la nonciature, où Mgr Celestino Migliore lui signifie le 26 avril une décision attribuée au pape François lui-même, ordonnant son renvoi définitif, avec obligation de quitter son habit dominicain.

Possibilité lui est laissée de recourir au Saint-Père, au moyen d’une « supplique » à déposer dans les 10 jours.

Un communiqué paraît immédiatement sur le site des Dominicaines du Saint-Esprit, annonçant que « Mère Marie Ferréol n’a pas manifesté le désir de suivre le chemin de retrait, de recul et de pénitence que le Saint-Père lui demandait.» Il ajoute : « Cette décision (…) traduit une difficulté profonde vis-à-vis de la vie religieuse dans sa dimension communautaire et dans le rapport à l’autorité. »

Le motif reste vague, et paraît étrange au bout de trente ans de vie religieuse qui ont suscité de multiples amitiés et une grande reconnaissance de la part de nombreuses élèves qui expriment leur incompréhension sur les réseaux sociaux.

Il faut dire que la communication de l’Institut est particulièrement sibylline, peut-être parce que celui-ci a fait appel à une agence de communication parisienne, Alterhego. Celle-ci est notamment connue pour avoir réalisé l’audit au lycée Saint-Jean de Passy qui avait abouti à l’éviction du directeur François-Xavier Clément, mis sur la touche par le diocèse de Paris avant d’être totalement blanchi par la justice.

Aux origines de la crise

Les turbulences chez les Dominicaines du Saint-Esprit remontent loin, en réalité. En 2011, la présence d’un aumônier adepte des pratiques psycho-spirituelles avait amené des sœurs et surtout les novices à fréquenter les « agapèthérapies » au Puy-en-Velay, sorte de psychanalyse chrétienne qui se penche sur l’instant de la conception, la vie intra-utérine, la naissance et la petite enfance des retraitants pour découvrir des blessures d’enfance, des maltraitances réelles ou suggérées, avec une remise en cause des figures parentales, le plus souvent paternelles.

Ces pratiques, qui ont fait l’objet de graves mises en garde de la part des évêques de France, ont fait prendre un tour psychologisant à la formation des novices à Pontcalec. Une partie de la communauté en était venue à rejeter violemment la figure du Père Berto, accusé de pédophilie (chose que l’on entendait alors dans les dîners en ville), mettant en cause le charisme fondateur.

Sur fond d’exorcismes illicites et d’emprise ignorés de la plus grande partie des Mères, le noviciat se vida, non sans dégâts. Je me souviens de l’entretien que j’eus à propos de la crise avec l’une des grandes figures fondatrices de l’œuvre, Mère Marie Dominique (sœur du colonel Rémy, morte en 2014), et de son immense tristesse devant cette dérive.

Mère Marie Ferréol fut de celles qui alertèrent Rome. En 2013 une visite apostolique fut menée à la demande de la Commission Ecclesia Dei par le Père de la Soujeole. Cette visite se solda par un dossier colossal qui blanchit totalement le Père Berto. En 2016 le gouvernement du moment fut remplacé par une Prieure nommée par Rome, Mère Marie Pia, et le charisme propre des Dominicaines du Saint-Esprit en tant qu’œuvre d’éducation assurée par des vierges consacrées, fut réaffirmé. La virginité corporelle avait, dans la pensée du Père Berto, une signification particulière par rapport à l’Eglise, Epouse du Christ.

Mais ce règlement de la crise s’accompagnait de la part du Père de la Soujeole de consignes de silence interne et externe qui semblent avoir aggravé des oppositions non résolues, compliquées par un travail qu’il demanda sur les statuts des Dominicaines. Il fut écarté à la demande d’Ecclesia Dei.

Des liens qui posent question

Trois ans plus tard, en 2019, Mère Marie de Saint-Charles fut élue Prieure, avec un conseil très largement acquis à une « évolution » dont les contours sont complexes et multiples. Une nouvelle visite apostolique commença en juillet 2020, par décision du cardinal Marc Ouellet qui s’était saisi du dossier.

Pourquoi ? C’est une question qui reste à élucider. Tout au plus connaît-on sa proximité avec Mère Marie de l’Assomption, auteur d’une récente thèse lubacienne sur « La Nature et la Grâce chez saint Thomas d’Aquin », préfacée par le cardinal Ouellet. Toutes les Dominicaines ne partagent pas son adhésion à la théologie du Père de Lubac. Avec cette Mère, le cardinal fréquentait les sessions annuelles de théologie de l’abbaye Saint-Wandrille, organisées par le Père abbé Jean-Charles Nault. Qu’il nommerait lui-même visiteur apostolique.

Les décisions prises à l’encontre de Mère Marie Ferréol portent la signature du cardinal Ouellet. Ce ne sont pas des décisions judiciaires mais administratives, attribuées au Saint-Père lui-même. Manipulation ?

Comment un cardinal aussi proche d’une œuvre actuellement en souffrance du fait des divisions qui la traversent, peut-il prendre des décisions en vue de rétablir l’harmonie ? C’est une vraie question, et elle se pose aussi du point de vue canonique.

Mais le droit de l’Eglise est la grande oubliée de cette affaire. On cherche en vain les éléments manifestant le respect des sévères conditions de mise en œuvre de la pire des sanctions pour une âme consacrée : une sorte de « divorce » imposé au bout de plus de trente ans, et un arrachement subit à la vie communautaire. Cette rupture semble contredire l’une des idées-force du pape François : on ne renvoie pas un enfant, un frère, une sœur de sa famille.

Dans un droit de réponse publié le 6 mai sur le site des Dominicaines à la demande de Mère Marie Ferréol, il est précisé :

« À l’issue du premier décret, MM Ferréol a observé les strictes conditions imposées. Elle a sollicité à plusieurs reprises la communication des faits, qui lui a été refusée par les Visiteurs apostoliques Dom Nault et Mère Desjobert, au motif d’une “confidentialité”. Elle ne connaît donc pas les faits qui fondent son renvoi et n’a pu présenter de défense.
« Elle conteste sur le plan canonique la légalité du premier décret.
« Parallèlement, une enquête pénale a été ouverte. »

Nos questions auprès de la sœur chargée de répondre aux médias sont restées sans réponse.

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