> Tribune libre de François Granier
Loin des idéologies modernes qui exaltent un individualisme sans racines et une liberté détachée de toute vérité, la loi naturelle inscrit dans le cœur de l’homme une orientation vers le bien, le vrai et l’unité. Fondée sur la recherche de Dieu, la justice et l’amour, elle constitue le fondement même de l’ordre moral et social, orienté vers le bien commun et couronné dans le Christ-Roi.
Une exigence primordiale est présente en tout être humain : l’aspiration au bonheur, le désir de faire le bien et d’éviter le mal (1), c’est l’empreinte du Créateur et de la finalité qu’il a donné à la nature humaine, la béatitude. Cette félicité est commune car l’homme vit en société par nature, et non selon un arrangement utilitariste d’individus autocentrés selon l’idéologie individualiste et contractualiste des Lumières (2). Bien sûr, le libre-arbitre peut aller contre ces aspirations, il agit alors contre sa nature, pour son malheur.
La fin de la loi naturelle est donc le Bien commun mais son effet immédiat est de rendre les hommes bons, c’est-à-dire vertueux. Il est impossible qu’un homme soit bon s’il ne se règle pas sur le Bien commun. Il est aussi impossible que le Bien commun de la Cité prospère si les citoyens ne sont pas vertueux, au moins ceux à qui il revient de commander.
Pour qu’une loi humaine soit légitime, elle doit donc être en accord avec la loi naturelle. « On t’a fait savoir, homme, ce qui est bien, ce que le Seigneur réclame de toi : rien d’autre que d’accomplir la justice, d’aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu. » (Mi 6, 8)
La loi naturelle s’appuie sur trois socles : la recherche de la vérité sur Dieu mais aussi dans la vie sociale, la pratique de la justice et l’amour de la bonté. Les hommes peuvent alors édifier une société juste en respectant les communautés naturelles, la famille fondée sur le mariage en vue de la transmission de la vie et de l’éducation, les nations, communautés de culture et d’histoire liées par des biens communs.
Recherche de la vérité
« L’insensé s’imagine connaître beaucoup de choses mais en réalité il n’est pas capable de fixer son regard sur l’essentiel. Cela l’empêche de mettre de l’ordre dans son esprit et de prendre l’attitude qui convient face à lui-même et à son environnement » (3).
Le premier stade de la révélation divine est le merveilleux livre de la nature. En le lisant avec les instruments de la raison humaine nous pouvons arriver à reconnaître l’action du Créateur.
Mais quand il n’y a pas de recherche de la vérité, l’homme devient soumis à des systèmes de pensée fermés à la réalité, des idéologies qui reposent sur une conception de la liberté qui se place au-dessus de la vérité et de la justice. Elles prétendent construire un monde meilleur, sans commencer par la réforme de mœurs que chacun doit mener dans sa vie. Elles ne sont finalement que des outils de domination d’un groupe sur les autres.
Pratique de la justice
Aristote affirme que le bonheur consiste à agir « conformément à la vertu parfaite » et à être « suffisamment pourvu de biens extérieurs ». Ainsi le bien est la finalité « dans toutes les sciences et tous les arts ». Or la traduction de ce bien en politique est le juste. « La justice est un raccourci de toutes les vertus. » Elle permet aux gouvernants de faire régner un certain bonheur dans la cité en encourageant l’accomplissement d’actes bons et en décourageant l’accomplissement d’actes mauvais.
Une organisation juridique de la société qui se limite à revendiquer des « droits » sans encourager les vertus qui permettent leur réalisation est une arnaque, sans même mentionner les « droits » contre nature qui sont causes d’injustices (par exemple tuer, voler ne sont pas des droits).
D’un côté, l’activité économique a un contenu technique, comme par exemple la gestion des stocks, l’établissement de réseaux de transport, etc. D’un autre côté, l’activité économique engendre des rapports sociaux, qui sont soumis à l’exigence de justice. Les problèmes économiques n’ont pas une solution purement technique. Comme en politique, leurs solutions dépendent de la prise en compte de la justice par tous les acteurs (employeurs, employés, clients, actionnaires). Même en économie, la vie sociale repose sur la vertu.
Saint Thomas affirme que la justice est une condition nécessaire mais pas suffisante à la paix. La paix est quelque chose de plus que l’ordre, elle est la tranquillité de l’ordre, c’est-à-dire un ordre où chacun est satisfait de sa place. Humainement ce n’est pas complètement réalisable, car depuis le péché originel, l’homme souffre de la concupiscence qui le pousse à chercher toujours de nouvelles richesses, de nouvelles jouissances, de nouveaux honneurs, et cela même au détriment du bien d’autrui.
Pour qu’il y ait une véritable paix, il faut qu’il y ait l’union et il n’y a d’union que là où il y a l’amour, c’est-à-dire la charité. Or la charité appartient au Christ. Ce n’est que dans le Christ que les hommes peuvent s’accorder et s’aimer d’un amour véritable et constant. La charité est une participation à la vie divine et elle diffuse tout entière du Cœur de Jésus à travers l’humanité. L’ordre naturel ne peut être vraiment accompli que par le règne du Christ dans les cœurs.
Le Christ-Roi
La loi du Christ c’est le double commandement de l’amour de Dieu et du prochain, c’est la loi qu’il commande aux hommes pour recevoir sa paix. Avant toute chose la royauté du Christ veut que que l’on rende au Créateur du monde la place qu’il doit occuper dans la vie de ses créatures.
Le premier commandement ne saurait aller sans le second : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Le Christ en a fait son commandement : « C’est là mon commandement, dit-il, que vous vous aimiez les uns les autres. »
Or le bien suprême auquel aspire l’homme, c’est la vie éternelle. « Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu » (Jn 17, 3 ) Il ne s’agit pas d’une connaissance théorique mais de la vision béatifique. « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi. » (Jn 14,6)
Pour conclure, une citation du père Jean de Monléon (4) :
« La plus haute dignité de l’homme est d’avoir une intelligence, sa plus haute noblesse est d’avoir un cœur. La vie éternelle se confond avec amour éternel. L’homme est fait pour aimer, mais il ne trouve autour de lui aucun être capable de remplir son cœur, il ne peut assouvir son besoin d’amour qu’en Dieu.
S’il est nécessaire à l’intelligence humaine d’avoir un guide pour la conduire à la Vérité, il est bien plus nécessaire au cœur humain d’être gouverné par une main sûre, s’il veut atteindre Dieu. Jésus connaît ce qui se passe en nous beaucoup mieux que nous ne le connaissons nous-mêmes. Pour conduire son cœur à Dieu, l’homme doit supplier Celui qui en connaît tous les ressorts et toutes les faiblesses de bien vouloir affermir nos cœurs toujours incertains, et les maintenir dans le bon chemin. »
1. Saint Thomas d’Aquin, Les Lois, Téqui, 2000.
2. Philippe Pichot-Bravard, Le Droit naturel, Editions Via Romana, 2023 (excellent ouvrage de référence).
3. Jean-Paul II, Foi et Raison, n. 18.
4. Jean de Monléon, Le Christ-Roi, Quentin Moreau éditeur, 2020.
>> à lire également : DOSSIER | Catholicisme américain (1/4) : Vance, le nouveau visage du catholicisme de l’ère Trump