> Éditorial du Père Danziec
Nous ne venons pas de nulle part. Le livre de la Genèse nous apprend que c’est de la poussière dont nous avons été tirés (Gn 2, 7). Dieu a ainsi voulu que, dans cette glaise, la vie prenne germe. Notre origine géographique ne désigne pas d’abord la citoyenneté de notre carte d’identité ou la nationalité de notre passeport, elle indique par-dessus tout cet humus dans lequel nos racines ont plongé. La terre ne ment pas, elle est ce qui fit ce que nous sommes.
Ce sol qui nous a vu naître et grandir nous concerne dans la mesure où il représente un cadre, une atmosphère, un climat même, qui ne font pas seulement que nous entourer, mais qui, bien plus encore, nous façonnent et nous élèvent. Alors qu’il est commun d’évoquer les traces que laissent nos pas sur le sol où nous marchons, en vérité c’est l’inverse qui se réalise.
La terre où nous vivons nous impressionne. Notre identité est consubstantielle à notre destinée. Ulysse rêve de son Ithaque et de sa Pénélope tandis que du Bellay préfère son Loir gaulois au Tibre latin.
Les ordres créés par Dieu
Bien sûr, à l’école de l’apôtre Paul, nous nous souvenons que devant Dieu, « Il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme » (Ga 3, 28) et que, de ce fait, l’humanité est appelée à ne former qu’une seule personne dans le Christ Jésus. Mais il serait tout à fait spécieux de tirer de cette sentence ce qu’elle ne dit pas.
L’égalité des baptisés devant la grâce de Dieu et le point commun de leur vocation au Ciel ne viennent pas nier les ordres créés par Dieu et voulus par lui : la famille qui nous a accueilli à notre commencement, la province (quel mot charmant !) dans laquelle nous avons été élevé, la langue que nous avons apprise, l’autorité politique à laquelle on se trouve assujetti.
Saint Thomas d’Aquin expliquera que l’ordre de la charité s’articule justement selon la chair et la patrie. La vertu de piété filiale, si oubliée aujourd’hui – quand elle n’est pas moquée ! –, en est une douce déclinaison.
Cette identité originelle, qui participe grandement à nous accomplir, possède une telle importance qu’elle contribue, de façon le plus souvent déterminante, à nous distinguer. Que savons-nous, dans l’épisode du portement de la Croix, du fameux Simon, sinon qu’il vient de Cyrène ?
Dans l’histoire de France, l’homme d’arme Pierre Terrail est davantage connu sous son nom de chevalier Bayard, qui n’est autre que le nom du lieu, près de Grenoble, dont il était le noble seigneur.
Dans la littérature, Cyrano est gascon par sa verve et sa truculence, mais surtout parce que son nom nous indique qu’il est originaire de Bergerac.
Notre bergère nationale est communément appelée Jeanne la Lorraine, Jeanne de Domrémy, Jeanne d’Arc, de par le nom de son père, ou pucelle d’Orléans en lien avec la ville qui fit son épopée. Toujours un sol, une région, un bourg, une ascendance ou une histoire incarnée. Redisons-le sans nous lasser, l’identité n’est pas un gros mot, par plus que l’amour de son origine ne serait le point de départ de toutes les guerres.
Une identité propre
Tout cela n’aurait cependant pas grand intérêt à être répété si ce n’était pour rappeler l’importance protectrice de l’identité qui nous est propre. Repère, ancrage, boussole : l’identité guide et protège notre passage sur la Terre.
«Il n’y a pas pire aliénation que de faire l’expérience de ne pas avoir de racines », expliquait le pape François dans son encyclique Fratelli Tutti, et d’ajouter qu’il y aurait grave danger à « ignorer l’importance décisive que revêt une culture marquée par la Foi, parce que cette culture évangélisée, au-delà de ses limites, a beaucoup plus de ressources qu’un simple groupe de croyants devant les attaques du sécularisme ».
Dans l’une de ses pages, Sylvain Tesson se met sur le banc de l’université des arbres :
« Les arbres nous enseignent une forme de pudeur et de savoir-vivre. Ils poussent vers la lumière en prenant soin de s’éviter, de ne pas se toucher, et leurs frondaisons se découpent dans le ciel sans jamais pénétrer dans la frondaison voisine. Les arbres, en somme, sont très bien élevés, ils tiennent leurs distances.
Ils sont généreux aussi. La forêt est un organisme total, composé de milliers d’individus. Chacun est appelé à naître, à vivre, à mourir, à se décomposer – à assurer aux générations suivantes un terreau de croissance supérieur à celui sur lequel il avait poussé. Chaque arbre reçoit et transmet. Entre les deux, il se maintient. La forêt ressemble à ce que devrait être une culture. »
Prendre le temps de boire aux sources de l’identité chrétienne, c’est s’offrir un bain de régénération. Méditer son arbre généalogique ou contempler l’Arbre de vie ne sera jamais du temps perdu. On croit voir un arbre, mais c’est en réalité du bois que l’on touche. Et par là, une chance que l’on donne à sa vie.
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