> Tribune libre de Raoul d’Ayquerose
Alors que se fracasse l’idéologie mondialiste sur les récifs du réel, le concert des sirènes progressistes se rompt, et les nations de la vieille Europe émergent de leur envoûtement, nues et désarmées. Obstiné, paré de l’éthos militaire, s’élève un chant du cygne macroniste, qui n’est pas sans provoquer un charivari national, dont la clameur déborde jusqu’à Bruxelles.
Le nouveau chef d’état-major des armées (Cema), le général Mandon, a prononcé le 18 novembre dernier, devant l’Association des maires de France, un discours qui a suscité de virulentes réactions, à gauche comme à droite. Au cœur de ce maelström d’indignation, une dichotomie à la fois simple et profondément complexe à démêler.
D’une part, le rappel de la force d’âme et du fait que le pays doit être « prêt à accepter de perdre ses enfants » pour assurer ce bien commun qu’est la paix.
D’autre part, en lieu et place du cadre naturel de défense de la terre charnelle – pourtant bien invoquée – l’évocation d’une projection de force à l’Est et la défense d’une Europe hors sol, enfant dégénéré d’une idéologie utopiste sur laquelle s’arc-boutent ses séides, malgré les signes évident de sa déréliction.
Situation critique
La plus belle fille au monde ne peut donner que ce qu’elle a. Reléguée au rang de 9ᵉ puissance mondiale en termes d’économie, avec une dette abyssale de plus de 3000 milliards d’euros, la France est classée 7ᵉ puissance militaire, loin derrière la fameuse Russie.
Bien que l’armée française soit considérée comme la plus performante d’Europe, l’appareil militaire ne se dépareille pas de sa base industrielle, à laquelle l’État doit environ 10 milliards d’euros. La loi de programmation militaire doit pallier tant de décennies de réductions du budget, justifiées par les fameux dividendes de la paix, qu’elle est insuffisante. Pour faire simple, l’Armée face à l’Ukraine, c’est l’Hôpital face au Covid.
Sous l’angle psychosocial, le tropisme de la mondialisation heureuse a généré le fameux « archipel français », soit la sourde explosion du peuple en une multitude de microsociétés ne se réclamant plus des mêmes valeurs. Fruit du relativisme, de la déconstruction – notamment de l’Histoire – d’un individualisme et d’un libéralisme à tous crins, cette fracturation de la société a été voulue pour mieux permettre la miscibilité de la France dans un Europe sans identité.
Ainsi, rappeler la nécessaire force d’âme du pays n’est pas une faute du général Mandon, au regard de la décomposition de la psyché collective française. Loin, bien loin du plébiscite quotidien d’Ernest Renan, les Français ont perdu, avec leur culture et leur fierté nationale, cette volonté commune qu’ils ont par trop usée depuis 14-18.
« Tout pays divisé contre lui-même est une proie facile pour ses voisins » : Les archipels ne vont pas à la victoire, voilà ce que sous-tendaient les propos du Cema. Un pays désuni et surendetté n’apporte plus rien sur la scène internationale. Même si cela fouette notre reste d’orgueil national, il faut comprendre que c’est la raison pour laquelle nous ne pesons en rien dans les négociations de paix pour l’Ukraine, malgré les faux-semblants déclaratoires et les gesticulations en Rafales du chef de l’État.
Voilà aussi pourquoi, tout comme Un président ne devrait pas dire ça (1), un Cema ne peut déclarer en public que nos armées sont exsangues, sous peine de contribuer directement au statut de « proie facile ».
Manœuvre politicienne…
Sa gestion du conflit ukrainien révèle à la fois l’idéologie et la personnalité du président Macron. Si tant est qu’il soit un concept, le macronisme réside dans la poursuite de l’utopie mondialiste, par l’échelle de projection que constitue l’Europe, à la dimension de l’ego jupitérien. De ce fait, le macronisme est un progressisme de gauche. Il pense d’abord l’Europe, puis la France, puis sa famille – pour ceux qui en ont une – et… beaucoup à soi.
Cependant, Emmanuel Macron n’est que l’incarnation du constat de Tocqueville : « Quelle triste chose que sur toute la terre les gouvernements soient toujours précisément aussi coquins que les mœurs de leurs sujets peuvent leur permettre de l’être. » C’est le peuple français entier qui s’est dévoyé.
Mais ce même peuple qui, en 2005, dans un sursaut réactionnaire, avait voté contre la constitution européenne, reste le problème majeur des démocrates. Toute l’intelligentsia européiste a compris qu’il fallait façonner l’Europe malgré lui, en fabriquant son consentement par la crainte.
Après le Covid, la guerre en Ukraine a offert une superbe opportunité. Ségolène Royal l’a fort bien mis en exergue à l’occasion de ce discours, ciblant Macron et citant Machiavel. Elle à pointé, derrière les propos du général, la manœuvre de sécuritisation de son chef : il s’agit de faire peur, d’imprégner l’opinion de l’idée d’une menace russe dans l’espoir que l’archipel français se soude et soit prêt à des sacrifices sans rapport avec son bien commun.
Depuis trois ans, Macron s’agite en surfant sur des évènements qu’il ne maîtrise pas. Dans le même temps, ses sbires déploient les narratifs qui transforment la vérité en un récit qui s’en éloigne toujours plus, ainsi que Luc Ferry, scandalisé, l’a rappelé. La Russie n’est que l’ennemi que les européistes se sont choisi par défaut, et voilà Macron qui se pose en sage rassembleur, annonçant un service militaire, tout en assénant – comble de l’hypocrisie – qu’il faut agir, et non agiter les peurs.
… et réactions politiques
Mais la ficelle est un peu grosse, et son débiteur trop connu. Ainsi, malgré son universalisme républicain, la gauche n’a pas été en reste pour conspuer le Cema. Oubliant qu’il souhaite les créoliser, Mélenchon, a évoqué les noms inscrits sur les monuments aux morts de la Grande Guerre, effectuant une magnifique figure de style politicienne. Seul Glucksmann, figure de proue européiste pour 2027, a soutenu le Cema, ce qui lui a valu une volée de bois vert de la part de la gauche Bruxelloise.
C’est à l’extrémité droite de l’échiquier politique que les réactions ont été percutantes, tant il est évident pour des patriotes que l’on ne verse le sang des Français… que pour le bien de la France, laquelle doit d’abord résoudre les problèmes sur son sol. Philippe de Villiers, Dupont-Aignan, ou le Rassemblement National, tous ont souligné la dichotomie majeure du propos. Sur la toile, plusieurs anciens militaires de tous rangs ont exprimé un désaccord profond avec ce discours.
Signe de la confusion idéologique ambiante, la réaction du RN a surpris les médias de gauche qui, n’ayant vu qu’un militaire parler de patriotisme, pensaient la droite nationale enchantée. Pour autant, cette dernière, dans sa juste indignation, oublie d’être objective sur l’état réel de la psyché collective française. Si Macron proclame une génération prête à se lever pour défendre la France, en réalité son service militaire volontaire espère toucher seulement 6 % d’une classe d’âge.
Ambivalences militaires
Selon Clausewitz (2), c’est au politique que revient de décider de la guerre et de son but. Le général ne fait que décliner ce but en objectifs stratégiques et tactiques. C’est dans cette logique que la Constitution dispose que le président est chef des armées. Ce dernier, pour mener ses dialogues stratégiques, dispose du nucléaire comme ultima ratio. Mais ce dernier est devenu la ligne Maginot du XXIᵉ siècle, faisant oublier que la dissuasion commence avec le poitrail du soldat sur la ligne de front. Ce sont eux qui incarnent la force d’âme de toute la Nation. Un chef militaire est donc comptable du sang de ses hommes.

Le président français dispose de la dissuasion nucléaire. © Marine nationale, CC BY-SA 3.0
Tout cela, le général Mandon l’a rappelé. La dichotomie fondamentale de son propos tient dans sa mise en perspective européiste. Il est impossible pour les membres d’une armée nationale, d’adhérer à cette vision de gauche qui pense d’abord le monde puis son pays, puis sa famille puis soi…
Être soldat inclut la perspective du sacrifice de sa propre vie, ce don ne peut se faire que par amour. Or l’amour de la Patrie commence par l’amour de ceux qu’elle abrite : les siens, sa famille. Il poursuit l’héritage du sacrifice des ancêtres, façon Renan. Il est enraciné, façon Simone Weil. Il est donc l’antithèse de ces discours macronistes.
Alors, comment un Cema a-t-il pu s’y laisser prendre ? De nos jours, les présidents, chefs des armées, sont des bourgeois d’affaires qui se réclament du général De Gaulle, mais sont aux antipodes de sa pensée politique et ne connaissent pas le métier des armes. « Les armées sont des objets couteux dans les mains des princes, quand ils n’y entendent rien, ils désorganisent. »
« Le service fidèle d’un chef dévoyé éclaire le glissement de son discours vers le double paradoxe d’une force d’âme invoquée pour un pays qui a renié la sienne, et du sang à verser pour un pays qui n’est pas le sien. »
D’autre part, si le Cema précédent, le général Burkhard, a vu dans l’Ukraine l’opportunité de récupérer enfin des crédits militaires, c’est un piège conceptuel qui s’est refermé sur lui. Les généraux sont devenus la caution d’une parole politique discréditée.
Mais alors que Burkhard était un officier de l’armée de terre, centrée sur l’homme, Mandon est pur produit de l’armé de l’air, techno-centrée et progressiste. Précédemment conseiller particulier du président de la République, il apparait de plus en macroniste convaincu. Le service fidèle d’un chef dévoyé éclaire le glissement de son discours vers le double paradoxe d’une force d’âme invoquée pour un pays qui a renié la sienne, et du sang à verser pour un pays qui n’est pas le sien.
Contradictions géopolitiques
Les réalistes, en matière de relations internationales, affirment que « les États n’ont pas de principe mais que des intérêts ». Les occidentaux sont en contradiction profonde avec cette assertion, car ils restent convaincus du postulat que les démocraties ne se font pas la guerre, mais que les principes démocratiques valent qu’on aille la faire chez les autres.
Or, pour un chef d’État, les intérêts à défendre sont ceux du peuple qu’il gouverne et représente, pour le bien commun du pays. Ainsi l’intérêt national s’inscrit dans le cadre de la charité bien ordonnée et ne permet jamais de brader le bien de son peuple au profit de celui d’un autre.
La montée des droites nationales européennes reflète l’impossibilité, même pour des peuples lobotomisés par cinquante ans de propagande et avilis par autant de lois immorales, d’adhérer à une Europe qui n’a fait que stranguler leurs souverainetés sans jamais générer une réalité commune. Mourir pour l’Europe ? Mais quelle Europe ? Une Europe de taxes et de normes, de dictats assassinant modes vies et cultures ? L’Europe, telle qu’elle est, est la négation même de ce pourquoi un humain peut accepter de donner sa vie.
De plus, depuis l’élection américaine, la classe politique européenne est saisie d’inquiétude. Entre un Vance évoquant l’ordo amoris de St Augustin pour gérer l’immigration, et un Trump qui secoue si violemment l’espace international qu’il achève de fissurer les utopies de nos idéologues, ces derniers semblent avoir fini par se convaincre qu’une « bonne guerre » serait finalement le seul moyen de fédérer cette Europe si récalcitrante.
Ordre divin, quand l’Église se montre gauche
Au niveau étatique, qu’il s’agisse d’immigration ou de guerre, tout reste une question de bien commun et de charité. Cette dernière est dite bien ordonnée quand elle commence par soi-même. Individu comme société ne peuvent donner que ce qu’ils possèdent. Face aux propos de Vance, venu leur rappeler ces évidences perdues, cette même caste d’idéologues, pourtant farouchement anticatholiques, a su se rassurer en usant des propos du pape François pour se conforter dans ses vertus chrétiennes devenues folles.
En effet, dans ce registre de l’ordo amoris, et suite aux déclarations du vice-président américain, François écrivait en février 2025 aux évêques des États-Unis :
« L’amour chrétien n’est pas une expansion concentrique d’intérêts qui s’étendent peu à peu à d’autres personnes et groupes. »
Si tant est que « L’amour chrétien » désigne la charité, la phrase est inattaquable, car la charité ne réside pas dans l’intérêt pour soi, mais dans le don à l’autre. Mais cette phrase, tout en évitant soigneusement de contredire la parole du Christ, use d’un sophisme pour éviter de se faire affirmative : la charité réside dans le don à son prochain qui s’exerce en cercles concentriques allant en s’élargissant. Cette affirmation simple de la vérité, arrimée au réel, annihile la doxa de gauche, car elle commence strictement par soi (bien ordonnée) puis sa famille, puis son pays, puis le reste du monde.
Ainsi en va-t-il de l’ordre de l’amour divin. Ainsi en va-t-il, strictement, de ce qui permet d’assumer la perte de ses enfants dans une guerre. Il faut qu’elle soit strictement et directement ordonnée au bien du peuple qui se saigne. C’est la raison pour laquelle il est normal que l’intégralité de la France ait été choquée par le discours du Cema, y compris les gens de gauche, qui ne sont plus capables de faire la différence entre le sang versé et le sang mêlé.
1. Livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, à partir d’entretiens réalisés avec François Hollande (Stock, 2016).
2. Carl Philippo Gottlieb von Clausewitz (1780-1831), officier prussien et théoricien militaire.
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