La pause liturgique : Offertoire Tui sunt (Noël, messe du jour)

Publié le 20 Déc 2025
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Tui sunt Partition offertoire

Traduction À toi, le ciel ! À toi aussi, la terre ! C’est toi qui fondas la terre avec sa plénitude ! La préparation de ton trône est œuvre de justice et de vérité.

(Psaume 88, 12, 15a)

 

Commentaire spirituel

L’offertoire du jour de Noël, emprunté au Psaume 88 (89 selon l’hébreu), ne se comprend bien qu’à la lumière des autres chants de cette messe, et plus largement, à la lumière du répertoire des trois messes de Noël. Celles-ci témoignent en effet d’une remarquable unité et nous offrent un magnifique enseignement sur l’avènement du Fils de Dieu, en nous dévoilant l’ampleur du mystère, dans sa progression sublime.

La messe de Minuit nous fait assister à la naissance au ciel du Fils dans le sein du Père. De cette naissance ineffable, la naissance temporelle de Jésus dans le sein de Marie apparaît discrètement, dans les textes de cette messe, comme un écho presque imperceptible. Tous les textes, grandioses dans la nuit lumineuse de l’éternité, peuvent s’appliquer à l’enfantement par la Vierge Marie, et c’est là un mystère bouleversant : le sein d’une femme est assimilé par la liturgie de Noël, au sein infini du Père.

Mais au premier abord, il s’agit juste d’un dialogue éternel entre le Père et son Fils, au-delà du temps, de notre temps trop occupé de guerres et de sang, pour pouvoir accéder à l’immensité et à la douceur du vrai mystère de la vie. Marie, par sa pureté qui la tenait éloignée de toute mondanité, s’est unie de toutes les fibres de son être à la beauté de la Trinité, au point d’être emportée dans les relations trinitaires et mériter de recevoir dans son sein virginal, celui qui est, de toute éternité, le Fils bien-aimé du Père, éternellement engendré.

La messe de l’aurore, en même temps qu’elle incline la grandeur de cet événement trinitaire vers ce petit point de la terre où apparaît le Fils dans une chair immaculée, née de la chair de Marie, nous fait assister à une sorte d’aurore qui prélude au lever du soleil de justice. Cette messe de l’aurore, que l’on appelle aussi la messe des bergers, parce que ces humbles furent les témoins privilégiés et premiers de l’accomplissement des promesses, nous parle d’une lumière qui commence à resplendir dans la nuit de ce monde : « lux fulgébit hódie super nos quia natus est nobis Dóminus : la lumière brillera sur nous aujourd’hui car le Seigneur nous est né » (introït de la messe de l’aurore).

Et cette lumière, enfin, resplendit de tous ses feux sur la terre entière dans les chants de la messe du jour. Le soleil s’est levé et désormais, il illumine le monde et non plus seulement la Sainte Famille et les bergers qui avoisinaient Bethléem. La joie éclate devant ce petit enfant, reconnu au grand jour par la foi de l’Église entière comme le Seigneur de l’univers :

« Puer natus est nobis et fílius datus est nobis, cujus impérium super húmerum ejus. Un enfant nous est né, un fils nous a été donné ; l’insigne de son pouvoir est sur son épaule » (introït de la messe du jour). Tous les pays de la terre ont vu le salut de notre Dieu (Graduel, communion). Venez, peuples et adorez le Seigneur, car aujourd’hui une grande lumière est descendue sur terre (Alléluia).

C’est dans ce contexte de lumière universelle que s’inscrit le mystérieux chant d’offertoire de la messe du jour qui reconnaît au Seigneur le pouvoir suprême sur le Ciel et la Terre, sur l’univers tout entier, sans mentionner explicitement la naissance de Jésus. C’est vraiment la foi de l’Église qui contemple en ce petit être fragile, né d’une toute jeune fille, représentante toute pure de la beauté de l’humanité, le Tout-Puissant, Créateur et Maître de l’univers visible et invisible. Cet offertoire ferme la boucle, si l’on peut dire, en nous faisant remonter au Principe, au sein de la Trinité, notre grand Dieu, d’où tout était parti dans les chants de la messe de Minuit.

Admirons la profonde pensée de l’Église dans sa liturgie, dans sa prière. Elle est pleine de foi et d’amour, pleine de vérité, de lumière et de richesse pour nos âmes qui sont abondamment nourries par elle en ces jours de plénitude.

Il y a cependant une interprétation mariale cachée mais possible de ce chant d’offertoire. Orbem terrárum, cela pourrait bien être la rondeur de cette terre qu’est le ventre de la Vierge-mère, et la plénitude que mentionne le texte, ne serait-ce pas l’enfant qui l’habite ? Dieu a voulu cette beauté et cette plénitude qu’est la grossesse de Marie. C’est lui qui les a établies pour le salut du monde. La préparation de ce trône, c’est la longue évolution de ce petit être au sein de Marie, depuis sa conception jusqu’à sa mise au monde.

Mais aussi, plus largement et du côté de la mère, cette préparation représente la douce et lente évolution du corps de la jeune fille qu’était Marie, vers l’avènement du petit être dans son sein, aboutissement, plénitude oui, de ce cycle féminin qui est tout entier façonné pour la vie. Tout cela est profondément œuvre de justice et de jugement (justítia et judícium), c’est-à-dire œuvre de sainteté et et de vérité, œuvre de perfection et de sagesse, œuvre d’amour et de discernement, œuvre d’acquiescement, d’une infinie délicatesse.

Sainte Hildegarde dit que « L’être humain contient en lui-même la terre et le ciel ». Combien c’est vrai de Marie ! Et combien cela rejoint le texte de notre offertoire : À toi, le ciel ! À toi aussi, la terre ! Le ciel, c’est la nature divine de l’Enfant Jésus, et la terre c’est sa nature humaine. Le corps de la Vierge Marie est devenu le sanctuaire, la chambre nuptiale de l’Incarnation du Fils de Dieu.

Et par là c’est toute maternité qui se trouve honorée, toute grossesse qui se voit ennoblie et qui mérite le nom de plénitude. Le fait qu’un cycle féminin, dans l’histoire, ait un jour abouti à la conception du Verbe selon sa nature humaine, proclame hautement la dignité de la féminité inséparable de sa mission maternelle, et l’immense respect dont elle doit être entourée.

Le contexte de ce long et magnifique psaume 88 encourage cette interprétation mariale. La première partie de ce psaume, d’où est tiré le texte de notre offertoire, est une hymne de louange au Créateur et à la fidélité de son amour, manifestée tout au long de l’histoire du peuple d’Israël.

« L’amour du Seigneur, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge. » (verset 2)

Puis, le psaume donne la parole à Dieu lui-même en lui rappelant longuement la promesse qu’il a faite à David, son élu, de lui maintenir à jamais une descendance, et de ne jamais profaner son alliance, malgré les fautes innombrables des rois qui se succéderont sur le trône de David :

« J’ai trouvé David, mon serviteur, je l’ai sacré avec mon huile sainte ; et ma main sera pour toujours avec lui, mon bras fortifiera son courage. » (verset 22)

« Il me dira : Tu es mon Père, mon Dieu, mon roc et mon salut ! Et moi, j’en ferai mon fils aîné, le plus grand des rois de la terre ! Sans fin je lui garderai mon amour, mon alliance avec lui sera fidèle ; je fonderai sa dynastie pour toujours, son trône aussi durable que les cieux. » (versets 27 à 30)

« Jamais je ne violerai mon alliance, ne changerai un mot de mes paroles. Je l’ai juré une fois sur ma sainteté ; non, je ne mentirai pas à David ! Sa dynastie sans fin subsistera et son trône, comme le soleil en ma présence, comme la lune établie pour toujours, fidèle témoin là-haut ! » (versets 35 à 38)

Alors le psalmiste prend Dieu à partie et ose lui mettre sous les yeux l’état lamentable de la royauté en Israël, au moment de la composition du psaume :

« Pourtant tu l’as méprisé, rejeté ; tu t’es emporté contre ton messie. Tu as brisé l’alliance avec ton serviteur, jeté à terre et profané sa couronne. »

Seule l’application de ce psaume à Jésus-Christ permet de résoudre cette énigme d’une possible infidélité de Dieu à son alliance. Ce que le psalmiste ne pouvait comprendre, nous chrétiens, nous le comprenons : Dieu s’est bien montré fidèle en Jésus, fils de David, et sa promesse messianique demeure permanente et toujours actuelle, à travers l’Incarnation de son Fils.

Or ce grand mystère s’est réalisé par l’humble ministère de Marie, qui, par le oui de sa maternité, donne sens et accomplissement, de manière cachée, à toutes les vérités contenues dans ce psaume. On peut dire que ces vérités, celles du ciel et celles de la terre, se sont comme concentrées dans son sein, soumises à la lente et fragile évolution de son cycle féminin qui a abouti à la conception virginale de Jésus, ouvrage de l’Esprit-Saint.

Le Magnificat de Marie répond à l’exorde de ce psaume 88 que personne ne peut entonner avec plus de vérité :

« L’amour du Seigneur, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge. » (Psaume 88, 2) ;
« Son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent » (Lc, 1, 50)

 

Commentaire musical

 

 

La merveille musicale de cet offertoire correspond parfaitement à celle du texte, étudiée plus haut dans son contexte grandiose. Car il fallait un vrai génie spirituel et artistique pour trouver cette mélodie si juste, si profonde, si éloignée de nos idées humaines sur la puissance de Dieu. Le compositeur a enveloppé ce texte magnifique d’un 4 mode on ne peut plus doux, on ne peut plus mystérieux, et c’est tout simplement génial.

Dom Gajard présente ainsi cet offertoire :

« Avec l’offertoire Tui sunt […], nous revenons à ce qui fait le charme si prenant des pièces chantées de la Messe de Minuit : une saveur prononcée d’éternité. Car c’est bien de cela qu’il est question uniquement ici. Texte et mélodie s’accordent merveilleusement pour arracher l’âme au souvenir de tous les événements humains, fussent-ils les plus saints et les plus spirituels.

C’est une longue contemplation très aimante des attributs divins, de ce qui est l’apanage essentiel de ce Messie nouveau-né, et pourtant le Maître absolu et le roi incontesté de toute la création. C’est à peine s’il y a du mouvement dans cette incomparable mélodie, si j’excepte le tu fundásti qui jaillit dans un sentiment d’adoration que le compositeur n’a pas pu retenir. »

« Nous avons là un spécimen, typique du 4 mode, du mode de Mi, le mode de la contemplation extatique. Ah ! que nous voilà loin, avec cette pièce, comme avec le Tóllite portas de la Messe de la Vigile, le Tecum princípium de la Messe de Minuit, le Deus enim de la Messe de l’Aurore, le Répons Verbum caro factum est de Matines, que nous voilà loin de l’atmosphère de nos noëls !

Et je crois bien que ce Tui sunt surpasse encore en beauté tous ces authentiques chefs-d’œuvre, précisément par son intériorité, son immobilité, j’allais dire son silence !… (1) »

Dom Gajard affirme qu’il est presque inutile de commenter cette pièce, car on risque fort de la déflorer… On peut essayer tout de même de souligner délicatement les splendeurs cachées de cette mélodie si pure.

Et notons d’abord son extrême sobriété musicale. Les trois phrases qui la composent nous offrent une mélodie très restreinte, et de ce fait tout intérieure.

La première phrase n’atteint qu’une seule fois le La à l’aigu, ne touche le Ré au grave que de rares fois, et pour le reste est toute contenue à l’intérieur d’une simple tierce Mi-Sol. D’où cette impression très forte d’absence de mouvement, de silence. En réalité, l’art grégorien se meut à l’aise dans cette sobriété pour faire passer son message de vie, intense, profonde, et finalement si expressive. Cette première phrase donne une impression de plénitude extraordinaire. Et cette plénitude, le texte lui-même l’exprime en affirmant que le ciel et la terre sont au Seigneur, à ce petit nourrisson en qui notre foi reconnaît le Créateur.

Pour respecter cette profondeur de la mélodie, il ne faut surtout pas chanter cette plénitude avec des voix puissantes, ce serait un véritable contre-sens, mais avec des voix douces, chaudes, dans un tempo large mais vivant, donc sans lenteur. Au contraire, la petite vocalise de cæli, par exemple, est très fluide, très légère.

La première phrase se déroule ainsi dans un grand legato et en crescendo, spécialement à partir du verbe est, vers le petit sommet de terra. La série des quatre climacus de est terra demande un beau crescendo, une véritable plénitude, mais toujours dans la douceur. La finale de terra, en mode de Mi (la mélodie s’arrête mais le regard continue) a bien quelque chose d’un peu extatique : l’âme contemple l’univers entier soumis à ce petit être, il y a de quoi se perdre dans ce mystère.

Et la deuxième phrase va renchérir. À part son sommet, sur le Do du pronom personnel tu, qui est le sommet de toute la pièce, elle se meut dans les mêmes intervalles que la phrase précédente. Elle est plus ferme néanmoins, plus vive, un peu plus mouvementée.

Mais là encore, quelle plénitude de vie dans ces notes longues qui ne doivent surtout pas être chantées de façon plate. C’est le rythme qui doit animer ces longues et leur donner leur expression, leur chaleur. C’est d’autant plus facile que ces longues se regroupent avec dilection sur le mot ejus qui conduit vraiment de façon très belle et de plus en plus intense vers le sommet, tu, qui, lui, doit être cueilli avec tout l’amour possible.

Un amour plein d’adoration qui doit imprégner aussi la descente large, infiniment calme et adorante, de fundásti, à la fin de cette seconde phrase.

La troisième phrase est si belle, également ! Elle commence pianissimo sur le premier mot, justítia, qui se déroule avec une complaisance si marquée. Cette justice divine, contemplée ici sous les traits d’un petit d’homme, n’a plus rien de redoutable, et voilà pourquoi, il convient de la chanter avec la plus grande douceur possible. On retrouve cette paix imperturbable si sensible depuis le début de la pièce, et que les doux sommets des deux premières phrases n’ont en rien altérée.

Là encore, les voix doivent être douces et chaudes, sans aucune dureté ni force. Le mouvement est large mais vivant, fait de multiples petites nuances d’intensité, de tempo, le tout dans une grande discrétion, un grand legato.

« Cette phrase si extraordinaire, écrit dom Gajard, de bercement, de douce et lumineuse chaleur, qu’il est bien impossible de décrire, et qui va s’achever, comme le plenitúdinem ejus de la phrase précédente, mais avec plus de netteté, sur une cadence en Ré : incursion momentanée dans le mode de Ré qui, renouvelée d’ailleurs sur praeparátio, ajoute encore à la belle et ferme sérénité de toute cette pièce, avant qu’elle revienne définitivement, pour conclure, au mode de Mi, et nous laisse dans cette atmosphère indéfinissable de beauté et d’adoration silencieuse où nous sommes depuis le début (2). »

Admirons la ligne intensive, si ténue et en même temps si expressive, de ces longues vocalises, en particulier l’élan de praeparátio, la détente qui suit sur la finale de ce mot, la montée progressive de sedis qui aboutit au dernier La de la pièce, et la formule de conclusion, déjà rencontrée à la fin de la phrase précédente, si goûtée, si pleine. C’est du grand art, et dom Gajard a bien raison de conclure en disant :

« L’art grégorien atteint ici, je crois, son summum d’expression, de profondeur, de plénitude. Ces merveilles ne sont pas seulement des œuvres d’art, elles sont aussi et peut-être surtout des principes de force et d’action. Il ne peut être que profitable à tous ceux qui ont la foi, à ceux-là surtout qui ont été engagés dans une longue épreuve, de les chanter et rechanter sans fin, humblement, à genoux, dans un grand acte d’abandon filial et d’amour (3). »

 


1. Les plus belles mélodies grégoriennes commentées par dom Gajard, Solesmes, 1985, p. 66-67.

2. Ibid., p. 67.

3. Ibid. p. 68.

 

>> à lire également : DOSSIER | Saint Charbel (1/5) : Un saint qui continue d’agir pour convertir les cœurs

 

Un moine de Triors

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