Y a-t-il une « génération Benoît XVI ? » Quelle que soit la réponse définitive à cette question, ce qui est certain est que la première rencontre entre Benoît XVI et la jeunesse, les 18 et 21 août 2005, lors des Journées mondiales de la jeunesse, fut un choc.
À l’époque, je me trouve avoir 24 ans. Je participe aux JMJ comme beaucoup d’autres jeunes de France, pour ma part avec la Communauté Saint-Martin, où j’entrerai comme séminariste l’année suivante, pour y être ordonné prêtre en 2012. Joseph Ratzinger est devenu Benoît XVI quelques mois plus tôt, le 19 avril de cette même année 2005, et, pour son premier voyage en tant que successeur de Pierre, c’est dans son pays natal qu’il se rend.
La transition avec Jean-Paul II est servie sur un plateau : c’est alors que ce dernier était encore pape que la ville de Cologne a été choisie comme lieu de rassemblement des JMJ, et c’est justement un fils d’Allemagne qui a été choisi pour prendre la suite du ministère de Pierre. Pour moi, la continuité est aussi très nette, car, depuis le début de son ministère, Benoît XVI s’inscrit dans les pas de son prédécesseur, et, ayant déjà participé aux JMJ à Paris en 1997 puis à Rome en 2000, j’ai le sentiment d’une histoire qui continue, celle d’une alliance renouvelée entre la papauté et la jeunesse.
Quel est le sens de cette alliance ? On ne peut s’empêcher d’émettre l’hypothèse suivante, compte tenu des dates. C’est en 1984 que, pour la première fois, le pape Jean-Paul II a appelé les jeunes à se rassembler à Rome pour un jubilé spécial de la jeunesse dans le cadre de l’année de la Rédemption. L’année suivante, en 1985, déclarée année internationale de la jeunesse par l’ONU, Jean-Paul II rassemble 300.000 jeunes à Rome. Puis ce sera la création officielle des Journées Mondiales de la Jeunesse.
Les années 1980, ce sont les premières années où des enfants de la génération 68 accèdent à leur propre jeunesse. La jeunesse des acteurs de 68 n’est plus, mais vient le temps de la jeunesse de leurs rejetons. Ces derniers vont-ils faire leur 68 ? Ou refaire 68 ? Ce qui est sûr est qu’il faut parler directement à cette jeunesse, par-delà la génération de leurs parents, directement. Mais que dire à cette jeunesse ? De quoi lui parler ?
Il est tout à fait frappant de relire, aujourd’hui, l’homélie du pape Jean-Paul pour la messe d’inauguration de son pontificat, le 22 octobre 1978. Cette homélie comprend une grande méditation sur le pouvoir. Jean-Paul dit ceci : « Notre temps nous invite, nous pousse, nous oblige à regarder le Seigneur et à plonger dans une méditation humble et pleine de foi sur le mystère du pouvoir suprême du Christ ». Et c’est après que viendront les paroles célébrissimes : « N’ayez pas peur d’accueillir le Christ et d’accepter son pouvoir ! ».
Comme on le sait, le 24 avril 2005, jour de la messe d’inauguration de son ministère pétrinien, Benoît XVI, plus de 25 après, reprend le fil de cette méditation : « Le Pape parlait aux forts, aux puissants du monde, lesquels avaient peur que le Christ puisse emporter une part de leur pouvoir […] Le Pape parlait en outre à tous les hommes, surtout aux jeunes […] Aujourd’hui, je voudrais, avec une grande force et une grande conviction, à partir d’une longue expérience de vie personnelle, vous dire, à vous les jeunes: n’ayez pas peur du Christ! »
Le soir de la veillée de prière du samedi 20 août 2005, sur l’esplanade du Marienfeld, près de Cologne, devant plus d’un million de jeunes rassemblés et provenant du monde entier, c’est toujours et encore cette même méditation sur le pouvoir qui se poursuit, cette fois-ci à partir de la figure des trois rois mages. Trois rois, précisément.
Retentissent alors ces paroles : « ils savaient qu’au changement du monde le pouvoir appartient. C’est pourquoi ils ne pouvaient chercher l’enfant de la promesse ailleurs que, d’abord, dans le palais du Roi. Mais, maintenant, ils se prosternent devant un enfant de pauvres gens […]. Le nouveau Roi qu’ils adoraient était très différent de ce à quoi ils s’étaient attendus. C’est ainsi qu’ils devaient apprendre que Dieu est différent de la façon dont habituellement nous nous le représentons. […] Il leur fallait changer leur idée sur le pouvoir, sur Dieu et sur l’homme, et, ce faisant, ils devaient aussi se changer eux-mêmes ».
Le fil n’était donc pas rompu, bien plutôt poursuivi, et il manifestait qu’il y avait décidément bien une constante dans cette alliance entre la papauté et la jeunesse : une catéchèse fondamentale sur le pouvoir, qui se poursuivait au travers des âges. Tout s’éclaire : puisque la jeunesse de 68 avait été une jeunesse que la question du pouvoir politique avait électrisée, et qui avait été fascinée par des pouvoirs politiques toxiques, c’était le signe qu’il fallait parler du pouvoir à la jeunesse, et du pouvoir tel qu’il est mesuré par Dieu fait homme en Jésus-Christ.
Ce n’est pas fortuitement que, ce soir du 20 août 2005, Benoît XVI avait dit à cette jeunesse : « Ce ne sont pas les idéologies qui sauvent le monde, mais seulement le fait de se tourner vers le Dieu vivant », et qu’il leur avait livré une méditation sur le totalitarisme.
Changer son idée sur le pouvoir et donc se changer soi-même : voilà la réponse du pape Benoît XVI, en parfaite continuité avec son prédécesseur Jean-Paul II, à la jeunesse d’après, à la jeunesse qui tente de s’orienter dans le monde d’après la génération qui a été jeune en 1968. Et cette réponse était lumineuse, comme ces bougies que chacun tenait en sa main ce soir-là.
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