La philosophie et les « environmentals studies » : aborder l’écologie du point de vue philosophique

Publié le 07 Fév 2023
ecologie

« L’écologie est un thème qui s’impose aujourd’hui ». Dans les locaux de l’Institut de Philosophie Comparée, ce mardi 31 janvier, le doyen Emmanuel Brochier introduit le cours du soir mis en place pour réfléchir sur le thème de l’écologie : « la philosophie et les environmental studies ». La problématique de ce cours : est-ce l’homme ou la nature qu’il faut sauver ?

Cela fait depuis quelques années que l’écologie s’est installée dans le débat public. Ces derniers temps, les actions se multiplient : des groupes de militants bloquent des autoroutes, des maires installent des pistes cyclables, une convention citoyenne sur le climat est organisée… En 2021, un projet de loi était même proposé pour constitutionnaliser la garantie de la préservation de l’environnement par l’État. La question climatique semble prendre une place très importante chez les politiciens comme chez les citoyens.

Et pour cause ! Le 28 février dernier, le GIEC (Groupe d’expert Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) publiait un rapport sur la question climatique, rapport qualifié de « toujours plus documenté, plus précis et plus alarmant » par le professeur en droit Thomas Burelli dans un article paru dans The conversation le 10 mars 2022 .

Ce rapport constatait un réchauffement climatique toujours plus inquiétant et invitait à des moyens d’actions concrets contre cette situation : il est urgent « de prendre des mesures immédiates et plus ambitieuses pour faire face aux risques climatiques. Les demi-mesures ne sont plus possibles. » (Hoesung Lee, président du GIEC).

Cependant, pour Emmanuel Brochier, « il s’agit pour nous, dans ce cours du soir, de remonter en amont de ce débat public pour voir le débat plus intellectuel qui a eu lieu dans les années 70-80 ». En effet, tandis qu’une sensibilité écologique commence à naître, c’est aussi toute une pensée philosophique qui apparaît sur la vision que nous devons avoir sur la nature.

La vulnérabilité de la nature

L’époque moderne avait choisi de se focaliser sur le bien-être humain. Il s’agit pour l’homme de vivre heureux dans ce monde, en se procurant alors le plus de plaisir. L’homme vit pour lui-même : c’est l’industrialisation, le capitalisme, le consumérisme… la nature est oubliée. Jusqu’au jour où elle manifeste de nouveau sa présence ; chassez le naturel et il revient au galop.

Devant une urgence climatique qui se fait sentir, des philosophes réagissent. Et Hans Jonas, en 1979, qualifiera la nature de « vulnérable ». L’homme doit donc agir de telle manière à ne pas la détruire. Mais cette conception peut amener à une autre conclusion : la nature étant vulnérable, dépassons-là, et vivons heureux sans elle : c’est la justification du transhumanisme.

D’autres intellectuels s’emparent alors du sujet pour redonner sa place à la nature. Paul Taylor, en 1981, suit Jonas, mais ajoute que la nature a une finalité. On ne doit alors plus la dépasser, mais la respecter. Cependant, la nature en devient l’égale de l’homme et celui-ci ne peut se permettre de la maîtriser : au lieu d’anthropocentrisme, nous entrons alors dans un biocentrisme.

Étudier l’écologie au moyen de la philosophie

Ce débat intellectuel manifeste bien qu’une vision de la nature influence la manière de se comporter envers elle. C’est pourquoi la lutte écologique est en fait un travail philosophique : quelle place la nature occupe-t-elle chez l’homme ?

« Au début, ce sujet de l’écologie ne m’intéressait pas du tout. Puis, j’ai donné quelques cours, notamment à Toulouse, et je m’en suis alors rendu compte : il y a quelque chose de philosophiquement très intéressant ». Emmanuel Brochier, lorsqu’il introduit ces cours du soir, souhaite avant tout manifester ce que la philosophie aristotélicienne enseignée à l’IPC peut apporter pour la réflexion sur l’environnement.

« Mon but est de montrer que l’éthique aristotélicienne sauvera la nature : l’éthique moderne mettait l’accent sur le plaisir de l’homme, indépendamment de la nature ; en agissant vertueusement, tel que le préconise Aristote, l’homme respectera en même temps la nature ». Il s’agit alors pour le doyen de l’IPC d’étudier en profondeur le sujet écologique, afin d’apporter des réponses adéquates à la société.

Et on le voit, les penseurs des années 80 n’en apportent pas vraiment : Jonas justifie le transhumanisme, Taylor rejette la supériorité de l’homme sur la nature… Il s’agit de trouver le juste milieu, entre le respect de la nature, et celui de la grandeur humaine.

Et la réflexion commence à être faite en 1984, avec Bryan Norton : celui-ci distingue l’anthropocentrisme « fort » de l’anthropocentrisme « faible ». Le premier s’appuie sur des préférences « senties », où la valeur d’une chose n’est relative qu’à notre propre satisfaction ; le second s’appuie sur une préférence « réfléchie », où j’opère un choix après un raisonnement. Il s’agit alors de connaître la nature pour pouvoir agir de telle sorte que la nature soit respectée, tout en se satisfaisant soi-même.

La place de l’Église dans cette question

Le 22 septembre 2011, lors d’un discours à Berlin, Benoît XVI parlait du positivisme[1] comme ressemblant « à des édifices de béton armé sans fenêtres, où nous nous donnons le climat et la lumière tout seuls et nous ne voulons plus recevoir ces deux choses du vaste monde de Dieu. ». La prise en compte écologique, ce serait finalement un retour au climat et à la lumière de Dieu, un bol d’air frais au contact des richesses de la Création.

Lynn White accusait en 1967  l’Église catholique d’être responsable de la crise écologique que nous subissons. Par son chapitre I de la Genèse et son « emplissez la terre et soumettez-là » (Gen, 1, 28), elle avait encouragé l’homme à dominer la nature, ce qui amena à la détruire : « spécialement dans sa forme occidentale, le christianisme est la religion la plus anthropocentrique que le monde n’ait connu ».

Mais, soulignait-il aussi, la réponse à cette urgence écologique ne peut venir que d’une vision mystique de la nature, une vision inaugurée par… saint François d’Assise : « le plus grand révolutionnaire spirituel dans l’Histoire de l’Occident, saint François, proposa une nouvelle alternative chrétienne concernant la nature la relation de l’homme avec elle ». Selon White, une branche du christianisme pourrait se lever et défendre la nature, comme saint François l’avait fait.

Cinquante après, le Pape François rédige l’encyclique Laudato Si, presque une réponse à Lynn White. Oui, selon le saint Père, l’Église a une réponse à donner au monde pour sauver la planète. Oui, la nature doit être reconnue telle qu’elle est. Ainsi la définit-il au paragraphe 80 ; une définition, qui n’est en fait qu’une citation : « La nature n’est rien d’autre que la connaissance d’un certain art, concrètement l’art divin inscrit dans les choses, et par lequel les choses elles-mêmes se meuvent vers une fin déterminée. Comme si l’artisan constructeur de navires pouvait accorder au bois de pouvoir se modifier de lui-même pour prendre la forme de navire » (Saint Thomas d’Aquin, Commentaire du livre des Physiques d’Aristote, Livre II, leçon 14).

L’Église peut s’exprimer sur l’écologie ; et elle le fait au moyen de la philosophie thomiste, fidèle disciple d’Aristote. Lorsqu’il introduit son cours du soir sur « la philosophie et les environmental Studies », Emmanuel Brochier souhaite donc montrer ce que peut apporter au monde cette philosophie aristotélicienne : par une dizaine de cours accessibles à tous[2], les enseignants de l’Institut de Philosophie Comparée analyseront les enjeux et les débats sur l’écologie et tenteront d’apporter à leur tour une réponse claire sur ce que l’homme peut faire pour préserver la nature et conserver ainsi tout son humanité.

 

[1] Le positivisme est la philosophie d’Auguste Comte mettant la science au premier plan.

[2] Pour s’inscrire à ces cours, informer bdelauriston@ipc-paris.fr

 

A lire également : Sciences, un nouvel esprit critique chez les jeunes ?

Aymeric Rabany

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