Qu’est-ce que promettre ?

Publié le 21 Avr 2023
promettre

Le champ politique connaît un réel discrédit. Parmi les multiples raisons, l’une est l’irrespect envers les promesses, la parole donnée, par cynisme ou par opportunisme ; à un point tel que nous paraissons assister à la disparition de la capacité même de promettre, c’est-à-dire d’engager l’avenir. Un aller-retour entre cette situation sociale et la réflexion des moralistes catholiques sur ce qu’est une promesse permet, au moins au plan de l’existence personnelle, peut-être aussi quant à notre engagement dans la cité, de sortir de ces perspectives, erronées en plus que d’être déprimantes.

 

Une vérité connue, un bien désiré

Tout d’abord, dans le cadre du deuxième commandement (« Tu ne prononceras le nom de Dieu qu’avec respect »), qu’est-ce qu’un vœu ? C’est « une promesse faite à Dieu avec une connaissance et une liberté suffisantes, et dont l’objet est une chose possible et meilleure que ce qui lui est directement opposé. » (R.P. Héribert Jone, Précis de théologie morale catholique, 1933)

Une première caractéristique est ainsi une forme d’objectivité transcendante ou sacrée : la promesse est faite à Dieu et son objet est le bien pris sous la raison du « meilleur » (comparatif et non obligatoirement superlatif). Sous ce double rapport, la promesse engage : « Les promesses faites à autrui au nom de Dieu engagent l’honneur, la fidélité, la véracité et l’autorité divines. Elles doivent être respectées en justice. » (Catéchisme de l’Église catholique, n°2147)

La possibilité réelle d’une promesse tient donc à un double fondement : la véracité divine qui garantit la vérité et le bien connus, sa fidélité qui rend ferme l’espérance – « Vous ne pouvez ni vous tromper, ni nous tromper » (acte de foi), « Vous êtes toujours fidèle dans vos promesses » (acte d’espérance).

Jusqu’à peu, dans la société française, une morale commune – au curé et à l’instituteur – et un horizon historique positif (croyance dans le progrès, marxisme…) ont transposé avec une certaine efficacité ce double fondement ; mais, coupées de leurs racines (chrétienne, hellénique et de sagesse populaire), elles ont rassemblé et entraîné de moins en moins, elles se sont enfin dissoutes.

Qu’on ne se trompe pas ici : ce n’est pas parce que le futur est incertain – il l’est toujours – que la promesse doit n’être qu’une résolution qui n’est jamais prise que par rapport à soi, à la manière des voyageurs perdus dans une forêt représentés par Descartes (Discours de la méthode, 3ème partie) : ils s’honorent d’être résolus, écrit-il, dans leur marche sur un chemin qu’ils savent pourtant incertain.

Évitant les écueils de l’indécision et de l’obstination, les résolutions occupent alors une place paradoxale : doute théorique et détermination pratique. Mais cette dernière peut-elle tenir ou ne pas verser dans le volontarisme ? L’homme, le chrétien, la cité sont capables de davantage quand la vérité est connue et que ce qui est désiré est le bien véritable.

S’obliger d’abord soi-même

L’absence d’un socle et d’un horizon partagés, de plus, sépare les uns des autres, amoindrit les solidarités et, du côté du supérieur, rend moins aiguë la conscience des conséquences de ses actes sur les autres, jusqu’à parfois le faire s’exonérer des conséquences. Des abbés commendataires à une élite contemporaine hors-sol, le poids ne pèse pas sur certains, entend-on protester, non sans fondement…

Or, une seconde caractéristique intrinsèque à une promesse, à un vœu, est qu’on s’oblige d’abord et essentiellement soi-même ; puis les autres, si on exerce sur eux une autorité légitime et dans les limites de cette autorité. Pour les chrétiens investis d’un tel pouvoir (supérieurs, parents), la figure du Bon Pasteur est le modèle :

« Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Mais le mercenaire, et celui qui n’est point pasteur, à qui les brebis n’appartiennent pas, voit venir le loup, et abandonne les brebis, et s’enfuit… Je suis le bon pasteur, et je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père. » (Jn 10)

Nous avons déjà promis !

Mais, demandera-t-on, ne pourrait-on pas, par réalisme, éviter tout cela ? Un chrétien ne pourrait-il pas, par humilité, ne pas promettre ? Le fait est qu’il a déjà promis ! Au jour de son baptême, de son mariage, de son ordination, de ses vœux religieux. Dès lors, si on peut sans doute discuter de l’opportunité de telle promesse (pèlerinage, aumône…), si telle personne avancée dans la vie spirituelle peut envisager de ne plus promettre de petites choses, on ne saurait négliger que ces promesses, pédagogiquement – pour soi-même, et pour ceux nous entourent et à qui notre exemple peut être profitable -, revivifient les grandes promesses baptismales, les rendent accessibles, concrètes.

Le chant de la promesse

Notre époque est, dit-on, désenchantée. La déshérence des promesses en est un symptôme. L’absence du chant aussi. Toute activité communautaire, professionnelle, sociale, politique, était accompagnée de chants. Il n’est sans doute pas anodin qu’ils aient disparu en même temps que les espérances et les promesses. La sono diffusant une musique enregistrée, souvent assourdissante, n’est qu’un cache-misère, pire : une saturation de l’espace empêchant toute ouverture sur plus grand que les individus, que ce plus grand soit Dieu, une communauté de vie et de destin, une parole de vérité.

Reste l’Eglise et son chant en sa liturgie, ses pèlerinages, ses rassemblements scouts. Un chant anticipant dans le présent, le cantique des anges et des saints, ouvrant sur les vrais « lendemains qui chantent ».

 

A lire également : Les droits des femmes et les promesses du Président

Chanoine Jestin +

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