Camerone, l’engagement à l’épreuve du feu

Publié le 30 Avr 2023
camerone

Crédit photo : Henri Aubry

Chaque 30 avril, la Légion Etrangère commémore les combats de Camerone. Dans cette petite localité mexicaine, soixante-deux légionnaires et trois officiers tinrent tête pendant dix heures sans eau et sans munitions à deux mille soldats mexicains. Leur parole donnée, ratifiée de leur sang reste un modèle d’engagement absolu.

 

« More Majorum », à la manière de nos anciens, proclamait le Général d’Armée Thierry Burkhard en conclusion de son ordre du jour, le 30 avril 2022 à Aubagne. Il rappelait ainsi à ses hommes la nécessité de vivre de l’esprit de Camerone : l’engagement total selon le code d’honneur du légionnaire : « La mission est sacrée, tu l’exécutes jusqu’au bout. » (Article 6)

Les emblèmes claquent dans le vent provençal. La main en bois du capitaine Danjou, tué à Camerone, remonte la voie sacrée encadrée par les sapeurs. Cette année, le Père Lallemand, aumônier légendaire dans la Légion Etrangère, aura l’honneur de la porter.

Le récit des combats résonne sur la place d’armes. Pour assurer la protection d’un convoi ralliant Veracruz à Puebla, le détachement de légionnaires lutta tout au long du jour. Les six derniers livrèrent une ultime charge à la baïonnette à 18h, avant d’obtenir d’un officier mexicain de pouvoir garder leurs armes et soigner leurs blessés.

Le récitant poursuit : « Un monument fut élevé en 1892 sur l’emplacement du combat. Il porte l’inscription… » Un commandement sec retentit. Les troupes présentent les armes. « Ils furent ici moins de soixante opposés à toute une armée, sa masse les écrasa. La vie plutôt que le courage abandonna ces soldats français le 30 avril 1863. A leur mémoire, la patrie éleva ce monument. Depuis, lorsque les troupes mexicaines passent devant le monument, elles présentent les armes. » 

Un silence pèse sur l’assistance, lourd des gloires passées. Dans l’azur du ciel passent des nuages de képis blancs, d’épaulettes vertes et rouges, de sacrifices et de victoires : de Sidi bel Abbès aux rizières du Tonkin, de Narvik à Kolwezi, de Solférino à Bir Hakeim. Les figures tutélaires de la Légion se dressent, indiquant à leurs successeurs la voie à suivre : l’engagement au service des armes de la France. « L’amour de la patrie comme l’amour de Dieu est fondé sur le don volontaire de soi » écrivait Bernanos (in La liberté, pour quoi faire ?) De ces héroïsmes grandioses mais terrestres, les poitrines cliquetantes des légionnaires peuvent témoigner.

L’obscurité des journées banales

Néanmoins, il existe bien des actes d’abnégation qui ne sont pas récompensés par l’attribution de médailles. C’est « l’obscurité des journées banales » qui, selon la prière des chevaliers composée par le Père Sevin, doit « préparer aux grandes choses par la fidélité aux petites ».

L’exigence continuelle de l’excellence jusque dans la tenue du casernement, a façonné progressivement les héros de Camerone. Ce sont toutes les victoires du quotidien, faîtes de renoncements à la facilité, au confort, à la paresse, à la volonté propre. La répétition de ces sacrifices fixe la vertu dans l’âme et la rend habituelle, presque naturelle.

Ces dévouements invisibles ne sont pas l’apanage des hommes d’armes. Et s’ils ne sont pas tous dans les livres d’Histoire, ils l’ont au moins autant influencée que les batailles les plus retentissantes.

Prenons l’exemple du Christ, venu sur terre pour faire la volonté de son Père, et nous aimer jusqu’au bout : « in finem dilexit eos. » (Jean 13,1) Sa mort sur la Croix semble être un échec cuisant. Elle prélude en réalité à la conquête du monde par Dieu.

Mais il convient aussi de rappeler l’abnégation de ces mères courage qui transmettent depuis des siècles la Foi, la piété, la civilisation et la culture. Elles connaissent bien l’apparente inutilité des combats quotidiens. Depuis les corrections sur la tenue à table jusqu’à la surveillance des devoirs scolaires, de la cuisine au repassage, des réprimandes sévères aux plus doux embrassements.

« Sentinelles de l’invisible », elles veillent sur les affections des cœurs, sur la noblesse des âmes ou la santé des corps. Sans relâche, souvent jusqu’à l’épuisement, parfois payées en retour de bien des ingratitudes. Sans elles, l’histoire de l’humanité se fût arrêtée à Adam et Eve. Elles ne mesurent souvent qu’au soir de leur vie l’incroyable fécondité de leur dévouement.

L’on peut signaler en outre, les patients bâtisseurs de civilisation : moines copistes, tailleurs de pierres des Notre Dame d’ici ou là, laboureurs besogneux, artisans, ouvriers et manœuvres, pères de familles exténués par les travaux mais faisant leur prière avant de s’endormir. 

« On ne se bat pas dans l’espoir du succès. Non ! Non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile. » (Cyrano de Bergerac)

Tous ces inconnus n’ont pas leurs noms sur les monuments aux morts mais sont allés au bout de leurs engagements et ont accomplis à la perfection leur devoir d’état, aussi peu enthousiasmant puisse-t-il parfois sembler. Certains ont contribué à l’édification d’un empire. D’autres ont simplement transmis un savoir-faire. Quelques-uns ont pu voir détruit l’ouvrage de leur vie. Mais si le résultat extérieur manque de clinquant, leur courage et leur abnégation forcent le respect. Il a y eu beaucoup de Camerone ignorés.

Combien de prêtres ont œuvré au salut des âmes, sans voir se lever une seule vocation dans leur paroisse, ni même, comme Charles de Foucauld, une seule conversion ? Combien n’ont connu l’exaltation qu’au jour de leur ordination ? Puis s’en sont allé tenir une modeste cure, dans une terre aride et sèche qu’ils ont labouré de prières et fécondé de leurs larmes. Néanmoins, c’est toujours leur engagement sur les pas du Christ, leur service de l’Eglise qui a fait de ces existences ignorées des victoires dont le Ciel seul, mesure la gloire et aussi… la joie intérieure.

A leur image combien de Thérèse de Lisieux exultent auprès du trône de Dieu et suscitent les vocations d’aujourd’hui ? Leur serment ? Se faire toutes petites, comme Jésus à Nazareth. Elles ne furent ici que pauvres créatures humaines, opposées aux armées démoniaques et à leur nature rebelle. Et elles ont vaincu. Le convoi est passé. La Foi a été transmise. Elles n’ont pas fait de miracle en apparence. Non, elles ont tenu là où Dieu le leur demandait. 

Camerone pourrait ressembler à une défaite glorieuse pour un œil non averti. C’est en réalité une victoire éclatante. Certes l’arrivée d’un convoi logistique ne s’inscrit pas en lettres d’or sur un étendard. Mais qui a tant soit peu étudié l’histoire militaire en mesure la portée. Incontestablement il ne s’est pas agi d’une bataille emportant le sort de la guerre. Mais l’arrivée à bon port du matériel et de l’argent entraîna la chute de la ville. 

Il en est de même dans la vie ordinaire. Ce ne sont pas les actions hors du commun qui comptent le plus. Le résultat concret importe moins que la bataille du quotidien, pour faire aujourd’hui mieux qu’hier et demain mieux qu’aujourd’hui, jusqu’au bout. Cela développe le seul véritable héroïsme : celui qui consiste à se vaincre soi-même. Et il arrive que le Seigneur ne daigne pas permettre que nous en voyions les fruits : occasion d’une plus grande gratuité et d’un panache bien français.

L’engagement se vit dans l’instant présent sous peine de devenir illusion chimérique ou velléité mythologique. Notre idéal n’est pas demain mais chaque jour. Tout combat peut être le dernier et il convient aux âmes bien nées de mourir debout, à la manière de nos anciens.

 

A lire également : Saint Michel, le chef de l’armée céleste

Chanoine Arnaud Jaminet +

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