Chartres ou l’action visible de la Trinité

Publié le 05 Juin 2023
Chartres

Crédit : Henri Aubry

Depuis une semaine, les analyses se succèdent sur les causes des records battus par le dernier pèlerinage de l’association Notre Dame de Chrétienté. Renouveler l’exercice apparaît risqué mais nécessaire tant la nature des ressorts profonds de ce mouvement semble échapper aux examens convenus.

 

Lundi dernier les pèlerins ont pleuré d’émotion sous les flèches de Notre Dame de Chartres puis frémi aux accents du Christus Vincit et du Chez nous soyez Reine. Les gares parisiennes ont résonné des échos du Jubilate Deo, vibré sous le pas des marcheurs, contemplé étonnées, les étendards, croix et bannières aux mille couleurs.

Le 41e pèlerinage de Chrétienté s’est achevé il y a maintenant six jours dans une apothéose triomphale. Il n’est pas jusqu’au journal La Croix, pourtant peu suspect de conservatisme liturgique, qui n’ait loué la prouesse religieuse autant que logistique que représente le déplacement, la sécurité et le logement d’un si grand nombre de personnes. Pour comparaison, l’armée française vient seulement de relancer des exercices de plus de 12 000 hommes. La Tradition est déjà prête pour les combats de haute intensité spirituelle.

16 000 pèlerins, 1000 bénévoles dans l’organisation, une moyenne d’âge autour de la vingtaine d’année, 350 clercs, plusieurs dizaines de milliers de communions, un millier de messes, des centaines de milliers d’Ave Maria, une dizaine de milliers d’absolutions. Les chiffres sont là, criants de vérité. Mais il serait inapproprié de les interpréter pour en tirer ce qui ressemblerait bien plus à une conjecture qu’à une conclusion scientifique.

Justement, la philosophie pérenne nous apprend que la science est une connaissance par les causes : matérielle (de quoi est-ce fait), formelle (ce que c’est), efficiente (qui l’a fait) et finale (à quoi cela sert-il). Cette analyse permettra de coller le plus possible au réel sans tomber dans une interprétation socio-ecclésiale ou politico-religieuse, intéressante, mais qui n’est pas notre sujet.

Une démarche traditionnelle de Foi intègre …

Il apparaît judicieux de commencer par la cause efficiente du pèlerinage : l’habitation de la Trinité dans l’âme du pèlerin en état de grâce. L’amitié cultivée tout au long de l’année avec le Bon Dieu dans « l’obscurité des journées banales », trouve ses grandes expressions dans l’accomplissement d’œuvres grandioses. C’est tout le sens de la fête de ce jour : mettre en lumière un mystère tellement quotidien qu’il est facilement oublié. La source du catholicisme n’est pas une démarche identitaire ou un atavisme social, mais une alliance entre les trois Personnes divines et une créature humaine.

Ce principe posé, il convient de déterminer la cause formelle du pèlerinage : ce en quoi il consiste. Démarche marginale au 21e siècle, cette pratique a nourri la Foi des médiévaux. Bien moins installés que nous dans la vie, hantés par la conviction de n’être ici-bas que de passage, plus contemplatifs et moins soucieux de rentabilité, ils pouvaient tout quitter pour rallier le sanctuaire le plus proche comme le plus lointain. Se mettant volontairement dans la situation du voyageur ils se rappellent plus aisément qu’ils le sont aussi spirituellement.

Plus précisément le pèlerinage de l’association Notre Dame de Chrétienté repose sur le triptyque : Tradition – Chrétienté – Mission. Ces trois mots forment tout un programme.

Tradition : littéralement transmission de la main à la main. Transmission d’une Foi intègre dans le Dieu un et trine, dans l’ensemble des vérités du Credo : de la réalité de l’Incarnation, preuve de l’Amour immense de Dieu pour sa créature, jusqu’à l’existence de l’Enfer et la possibilité de se damner, si l’on se détourne de cet Amour par le refus de la vraie Foi et la désobéissance aux commandements. Transmission aussi de la morale et de la discipline de toujours : depuis le respect de la vie humaine au célibat des clercs, en passant par les règles de prudence et la sainteté des lois du mariage. Transmission aussi de la Civilisation et de la culture forgée par des siècles de christianisme synthétisant l’héritage gréco-romain. Transmission des us et coutumes civils dans l’éducation.

Chrétienté : application de la doctrine du règne social du Christ. L’être humain est un animal social. La Foi personnelle réclame d’être vécue en communauté. En outre, Dieu s’est révélé : par sa création d’abord, par son Fils ensuite. Pouvant et devant être connu, Il doit par conséquent être honoré publiquement. C’est cela la chrétienté : une société dans laquelle Jésus est reconnu pour Seigneur et Maître. Saint Pie XI écrivait : « Si les hommes venaient à reconnaître l’autorité royale du Christ dans leur vie privée et dans leur vie publique, des bienfaits incroyables – une juste liberté, l’ordre et la tranquillité, la concorde et la paix – se répandraient infailliblement sur la société tout entière. » (Quas Primas)

Mission : même sans Amour du prochain ou volonté de faire partager l’immense trésor reçu au Baptême, le chrétien ne peut se dispenser d’annoncer l’Evangile. « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements » nous dit-Il. Et encore : « Allez par toute la Terre, de toutes les nations, faîtes des disciples. » Le nombre de primo-pélerinant, de catéchumènes ou de recommençants, comme aussi la présence du premier chapitre africain témoignent de ce dynamisme missionnaire.

… d’un catholicisme autrefois ordinaire

La cause « matérielle » pour ainsi dire du pèlerinage de Chartres, ce sont ses familles qui lui donnent ses religieux. Les trois jours de Pentecôte ne sont en fait que la partie émergée de l’iceberg qu’est la vie d’amitié avec le Christ.

Vie de ces familles généreuses, accueillant sans relâche de nouvelles vies pour peupler le Ciel, menant une vie réglée par les prières du matin et du soir, les benedicites et les chapelets ; par les conduites à l’école et l’accomplissement des devoirs ; par la tenue en ordre de la maison et les repas, la messe dominicale et les jeux de société ; par le sommeil réparateur enfin des chahuts et des larmes, des cris et des rires dont la vie commune abonde.

Vie de ces abbayes, monastères, couvents et prieurés faisant monter sans cesse vers Dieu le sacrifice de la louange et de la vie consacrée. Fidélité de ces « oasis spirituelles » aux observances régulières.

Vie de tous ces prêtres enseignant sans relâche les vérités de la Foi, confessant, communiant, baptisant, mariant et enterrant. Courage et persévérance des séminaristes dans la réponse à l’Appel de Dieu.

Vie de ces écoles et unités scoutes où s’apprennent avec les règles de la grammaire, les raisonnements des mathématiques ou les arcanes de l’Histoire, l’accomplissement des devoirs communautaires et la fidélité à la parole donnée.

En un mot, vie de cette chrétienté en acte chaque jour que Dieu fait pour rejoindre un jour le Ciel, cause finale du pèlerinage de Chrétienté, dont la cathédrale de Chartres, dans toute sa splendeur n’est « que » l’image terrestre.

Son succès n’est donc pas seulement le signe d’une jeunesse qui réclame davantage de transcendance et de verticalité, ou qui vivrait sa Foi de manière plus identitaire et décomplexée, mais la manifestation extraordinaire de la vie de Dieu dans les âmes sauvées par l’Eglise.

 

A voir également : Chartres, JMJ : qui sont les jeunes cathos de France ? L’analyse du Club des Hommes en noir

Chanoine Arnaud Jaminet +

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