Les catholiques doivent-ils agir en tant que minorité ?

Publié le 16 Juin 2015
Les catholiques doivent-ils agir en tant que minorité ? L'Homme Nouveau

Dans notre société démocratique avancée, il semble bien que les actes de vandalisme, les caricatures, les injures et les violences n’aient pas la même portée suivant la qualité des victimes. Des faits similaires ne bénéficient pas du même impact médiatique, politique et même judiciaire. Ce n’est pas la moindre des curiosités de notre époque passionnée d’égalité : tous les hommes n’ont pas droit à la même compassion dans l’épreuve ni à la même protection juridique contre les discriminations. Le militantisme victimaire octroie à certains groupes une légitimité supérieure dans l’espace public, fondée sur le statut de minorité soumise à une domination.

Dans ce contexte, les catholiques peuvent-ils et doivent-ils revendiquer la qualité de minorité ? Le bon sens voudrait que l’on fonde ce statut sur le seul critère quantitatif. À cet égard, il apparaît comme une évidence que les catholiques pratiquants, plaçant leur honneur dans la fidélité à l’enseignement de l’Église suivi tant bien que mal, sont ultra-minoritaires dans notre pays. Auréolés de ce statut tant recherché, ne devraient-ils pas profiter d’une protection spéciale ? Ce serait méconnaître le sens que notre culture politique et juridique contemporaine attribue au mot minorité.

Discrimination et non minorité

L’universitaire canadienne Andrée Lajoie explique que dans le contexte de l’évolution des instruments juridiques nationaux et internationaux visant la protection des minorités, « on s’est habitué à considérer que l’expression minorité connote la domination, si ce n’est la discrimination, de sorte que son sens a glissé, progressivement, vers la désignation de groupes identifiables par des caractéristiques dont la prise en compte est prohibée dans un contexte discriminatoire : d’abord l’origine ethnique, la religion, la langue : puis, plus récemment dans certains contextes, par extension concomitante avec la liste de ces prohibitions, le genre, l’orientation sexuelle, etc. » (1). Quant à la notion de majorité, le philosophe Miguel Benasayag observe qu’elle « renvoie moins à une dimension quantitative, qu’au fait de percevoir le monde à partir des catégories dominantes » (2).

Ainsi, on peut être quantitativement minoritaire tout en représentant la culture jugée dominante, par conséquent discriminante. En sens inverse, un groupe de personnes peut être majoritaire dans un pays (les femmes par exemple) et revendiquer pleinement le statut de minorité soumise à une insupportable domination sans que personne ne crie à la manipulation sémantique. Ce mécanisme est un élément clef du discours politique communautariste postmoderne. Dans bien des domaines, comme la recherche historique par exemple, s’élabore une hiérarchisation victimaire destinée à démontrer que le groupe auquel on appartient est le plus marqué par la violence de la domination.

Le modèle dominant

Quelles personnes peuvent appartenir à des catégories minoritaires en France ? En général, du point de vue civilisationnel tous ceux qui ne sont pas occidentaux, du point de vue ethnique tous ceux qui ne sont pas blancs, du point de vue géographique tous ceux qui proviennent des anciennes colonies, du point de vue religieux tous ceux qui ne sont pas chrétiens (et plus précisément catholiques), du point de vue éthique tous ceux qui revendiquent la reconnaissance publique de ce qui est contraire à la morale naturelle. Nous pouvons en conclure qu’un homme, blanc, Français, catholique, père de famille (et à ce titre exploiteur des fruits du corps de sa femme), cumule toutes les disgrâces qui l’empêcheront à jamais de former avec ses semblables une minorité victime, sésame ouvrant droit à une politique de reconnaissance. Comprenons bien que la culture et les institutions occidentales sont le fruit d’une histoire multiséculaire profondément enracinée dans les traditions grecque, romaine et chrétienne. Voilà par excellence le modèle dominant, car l’idée de hiérarchie victimaire suggère celle de hiérarchie des dominants. Il importe alors à l’ensemble des groupes dits « minoritaires » de démontrer qu’ils sont victimes de l’héritage culturel dominant, donc chrétien et classique, que les catholiques (avec d’autres cependant) incarnent, même s’ils sont peu nombreux.

De la minorité au communautarisme

En conséquence, s’il y a infiniment plus d’actes de vandalisme dans les cimetières chrétiens, rebaptisés « municipaux », justement pour qualifier leur caractère commun et donc dominant, ces actes ne sont pas jugés discriminatoires. Et comme il est difficile à nos gouvernants de reconnaître les terribles violences dont sont victimes les chrétiens en Orient ! Récemment, notre Président de la République a volontairement omis de citer la qualité des victimes chrétiennes de l’État Islamique, pourtant assassinées pour leur foi en Jésus. Et lorsque les autorités publiques daignent faire preuve d’un minimum de commisération à l’égard de ces chrétiens persécutés, c’est leur seule qualité de minorité en terre d’Islam qui justifie cette attitude. Toutefois, la simple application mécanique d’une logique victimaire communautariste leur demande de très gros efforts, lorsqu’il s’agit de l’appliquer à des chrétiens.

Alors, si bien sûr les catholiques doivent garder à l’esprit qu’ils sont numériquement moins nombreux en Occident qu’il y a quarante ans, la prise en considération des multiples forfaits, violences et injures subis ne peut faire l’objet d’une revendication de type « minoritaire » et par conséquent communautariste. Cela ne fonctionnera pas car tant que des pans de culture occidentale chrétienne resteront debout, les catholiques personnifieront la domination, fussent-ils réduits à la portion congrue et accablés d’opprobres. Tel est l’esprit de nos médias, d’une bonne partie de notre droit et de la caste qui nous gouverne. Mieux vaut tenter de démontrer l’injustice de ce type de mécanisme, ce que bon nombre de nos concitoyens sont capables de comprendre.     

1. Andrée Lajoie, Quand les minorités font la loi, p. 20, PUF, 2002, 218 p., épuisé.
2. Miguel Benasayag et Angélique del Rey, Éloge du conflit, p. 180, La Découverte, 2007. Éd. poche n° 361, 232 p., 9,90 €.

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