Notre quinzaine : La gratuité ou l’amour à l’état pur

Publié le 21 Fév 2024
carême amour gratuité

Ad lucem, per Crucem !

Le « hasard du calendrier » : telle est l’expression coutumière lorsqu’il s’agit d’évoquer des dates qui s’entrecroisent fortuitement, s’accompagnant de leur lot de surprises, de joies ou… de malchances. Cette année, bissextile, aura donc vu la grande quarantaine débuter un 14 février.

Ainsi, le mercredi des Cendres, jour où la sainte liturgie répète à chacun « qu’il est poussière et qu’il retournera à la poussière », coïncidait avec la « Saint-Valentin ». La fête des amoureux, ressassée de façon tapageuse dans les médias (signe éloquent que l’appétit de tendresse, soi-disant libéré et enfin en mesure d’être assouvi depuis 1968, se trouve en réalité bien mal en point), servait donc d’écrin au début du Carême. Un cœur pour accueillir la Croix. L’amour en guise de plateau à nos sacrifices.

 

Manque d’amour

Cette correspondance de dates permet de lever le voile sur l’un des défis majeurs de notre époque. Disons-le sans crainte, sans ambages et sans détours : notre monde crève de dureté, de froideur, d’inclémence et d’impiété. Nos contemporains suffoquent chaque jour un peu plus de manque d’amour. Et pourquoi donc ? Parce qu’il réside au fond du cœur de l’homme un immense besoin d’amour, besoin d’en recevoir bien sûr, et besoin d’en offrir, aussi. Parce qu’à l’image de Dieu, d’un Dieu qui est amour, Deus caritas est, l’homme est constitutivement fait pour l’amour et « chacun de nous, selon la formule de saint Jean de la Croix, sera jugé sur l’amour ».

Dans son roman Journal d’un curé de campagne, Bernanos ne se trompe pas lorsqu’il fait dire au curé d’Ambricourt, en discussion avec la comtesse des lieux : « L’enfer, Madame, c’est de ne pas aimer ! » À l’inverse, la route du Carême nous indique le nord du Paradis. En réunissant tous les baptisés de bonne volonté dans une dynamique pénitentielle à l’approche de Pâques, cette période liturgique – peu savoureuse a priori – relève pourtant justement d’une histoire d’amour.

Toute opposée à un défi physique, un régime drastique ou une continence stoïcienne, la spiritualité du Carême est bien différente d’une rodomontade de jeûnes ou d’une escalade d’abstinence. Affaire de cœur et grande expression d’amour, elle invite chaque âme à donner des preuves d’amour plutôt que de se prouver quelque chose. 

Dans son livre Pour l’éternité (Fayard), le cardinal Sarah ne manquait pas de souligner la tendance actuelle qui consiste à dire, en parlant du Carême, que le jeûne qui compte est celui du cœur et de l’esprit au point de… finir par négliger le jeûne du corps qui est le soutien du jeûne du cœur.

« On prend parfois le risque de falsifier la Parole de Dieu (cf. 1 Co 2, 16 ; 4, 2), de s’éloigner de Celui qui a dit : “Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie” et de trahir la Révélation et l’enseignement pérenne de l’Église. Certains écrits ou certaines déclarations ne semblent pas se préoccuper d’aider les fidèles chrétiens à rencontrer Jésus-Christ, à accueillir intégralement les exigences radicales de son Évangile et à consolider leur foi, en vue de nous laisser réellement configurer à Lui. Nous avons tendance à “spiritualiser”, au mauvais sens du terme, les réalités chrétiennes. Nous en faisons en fait des fantômes. »

Face au danger d’une fausse spiritualisation de l’ascèse quadragésimale, la tradition de l’Église presse chacun de se fixer de saints objectifs, de s’efforcer de tenir d’exigeantes résolutions en vue de la célébration de Pâques. Dans son guide de l’année liturgique, dom Pius Parsch rappelle d’ailleurs que le motif le plus profond du jeûne est le péché. Le temps de Carême prendra ainsi tout son sens dans l’optique sincère et généreuse d’une réforme de vie. « Le jeûne ne vaut pas par lui-même, ce n’est qu’un moyen d’arriver à la piété. L’âme du jeûne est l’humilité ; il est sans valeur et même coupable s’il est au service de l’amour-propre. »

 

Une authentique gratuité

Se décentrer de soi-même pour se recentrer sur Dieu. Le Carême consiste à faire l’expérience d’une authentique gratuité, à vivre l’amour dans son incandescence folle. Donner sans compter, se dépenser sans attendre d’autres récompenses sinon celle de se savoir offert au Divin Maître. Toute l’année, nous courons et nous nous inquiétons, sans prendre le temps de nous arrêter posément sur l’objet de nos tensions. En vérité, les mille sollicitations du monde nous fatiguent, nous déçoivent voire nous angoissent. Hélas, nous ressemblons trop souvent à des gens qui meurent de soif à côté d’une source.

À nous donc, durant ces quarante jours, d’admirer sa beauté et d’y boire. De saisir plus en profondeur qu’il n’existe qu’un seul et unique chemin vers la lumière : le chemin de la Croix du Christ. Ad lucem, per Crucem !

 

>> à lire également : L’argument central de Fiducia supplicans est-il recevable ?

Père Danziec

Ce contenu pourrait vous intéresser

À la uneÉditorial

Un pontificat qui commence

Éditorial de Maitena Urbistondoy | Léon XIV, en se plaçant dans la filiation de Léon XIII, s’inscrit dans un héritage doctrinal clair auquel beaucoup de fidèles aspirent. À l’heure où l’euthanasie est sur le point d’être légalisée en France, où le nom du Christ est refoulé dans la sphère privée, l’unité des catholiques devient urgente. Une unité non pas simplement ecclésiale, mais aussi politique. Ce n’est pas par compromission que l’Église a formé l’Europe, mais par sa foi. C’est cette foi qui a adouci les mœurs et élevé les institutions.

+

Léon XIV pontificat
Éditorial

Loi naturelle et politique selon saint Thomas d’Aquin

L'essentiel de Joël Hautebert | Alors que le débat sur l’euthanasie illustre une fois de plus la rupture croissante entre droit positif et loi naturelle, l’ouvrage de don Jean-Rémi Lanavère (csm) sur saint Thomas d’Aquin rappelle que la loi politique, loin de s’opposer par principe à la loi naturelle, en est l’expression concrète. Une invitation à redécouvrir le rôle structurant de la politique dans l’ordre moral.

+

Pour saint Thomas d’Aquin, la politique doit découler de la loi naturelle.
Éditorial

Le Christ et l’Église, mariés pour la vie

L'éditorial du Père Danziec | L’Église, c’est elle qui nous sauve et non pas qui que ce soit qui se trouverait en mesure de sauver l’Église. On ne sauve pas l’Église, on la sert. De tout son cœur et de toute son âme. On ne change pas l’Église, on la reçoit. Intégralement et sans accommodement de circonstance. Tout le mystère de l’Église gît dans l’équation et la convertibilité de ces deux termes : le Christ et l’Église. Ainsi, la formule « Hors de l’Église, point de salut» ne signifie réellement pas autre chose que : « Hors du Christ, point de salut ».

+

christ et église
ÉditorialFrançois

Notre quinzaine : que demandez-vous à Dieu ?  

Éditorial de Philippe Maxence | La nouvelle du décès de François n’a surpris personne. Depuis plusieurs mois, nous savions qu’il était malade et qu’il pouvait, d’un moment à l’autre, rendre son âme à Dieu. En attendant de pouvoir en faire un bilan, nous devons d’abord prier pour le repos de l’âme de François ainsi que pour l'Église.

+

dieu
Éditorial

À quoi sert la politique ?

L’Éditorial du Père Danziec | Il est une exigence à laquelle doit répondre la politique et qui échappe parfois à ceux-là mêmes qui devraient l’enseigner dans l’Église : la politique se doit d’aider les hommes à atteindre leur fin. L’organisation idéale de la cité sera celle qui, à sa place, favorisera l’amour des vertus et le service de la vérité, dans le but du salut des âmes.

+

politique
ÉgliseCarêmeLiturgie

Le temps de la Passion

L'esprit de la liturgie | Les derniers jours avant la célébration de la Passion sont empreints d'austérité et d'appel à la pénitence. Une invitation de la liturgie à suivre le Christ dans son don de lui-même.

+

carême passion