Au lavement des pieds, à la Cène, Pierre regimbe, car le geste de Jésus blesse l’idée qu’il se fait de sa relation avec lui. Jésus doit insister, obligeant l’apôtre à se faire simple en se prêtant à son initiative. C’est une leçon aussi pour nous. On pense aussi au dialogue analogue avec Jean Baptiste lors du baptême : craindre d’être à charge au Seigneur, c’est risquer de le décevoir en boudant « la courtoisie de Dieu ». Cette heureuse expression est due à une mystique médiévale, Julienne de Norwich (Cf. Révélation XVII). Le livre de la Sagesse dit de même : « Vous vous occupez de nous avec un respect qui nous confond » (12, 18). Tout ce qui touche l’Incarnation et la sainte Eucharistie laisse apparaître cette courtoisie. Avec une délicatesse toute divine et des procédés tout simples, le Seigneur met lui-même prépare sa Mère à l’Annonciation, son Précurseur au Jourdain ; le voilà maintenant qui crée le cœur pur pour le recevoir. Pierre eut du mal à admettre cela, mais à la fin de sa vie il fait imiter Jésus aux premiers chrétiens : « Revêtez-vous du tablier de l’humilité, pour vous servir les uns les autres » (1 P. 5, 5).
À la sainte Table, nous prenons part au banquet divin, là où Jésus prend sa part le premier en lavant les pieds des convives avant de s’offrir comme victime sur la Croix. C’est à ce niveau-là que se situe la fameuse participation des fidèles à l’Œuvre du Christ dont parle le Concile : non pas une participation étriquée, mesquine et activiste, mais une réponse simple et intègre à la « courtoisie divine ». Il y a une dizaine d’années, le pape Benoît XVI y a insisté dans son Exhortation Sacramentum Caritatis. La participatio actuosa du Concile est l’attitude nécessaire pour recueillir le fruit sacramentel à la sainte Messe (Ex. Ap. Sacramentum caritatis, surtout n° 55).
Les conditions personnelles nécessaires pour cette participation fructueuse y sont précisées (Cf. Vatican II, Const. Sacrosanctum Concilium, N° 11). En premier lieu il s’agit bien évidemment de cultiver l’esprit de constante conversion qui devrait caractériser la vie de tout fidèle. Benoît XVI met en garde contre la façon superficielle avec laquelle on approcherait de la liturgie eucharistique. Comme au Sinaï où Moïse dut se déchausser, le fidèle doit s’interroger à la messe sur sa propre vie. Le lavement des pieds de notre évangile invite au silence intérieur et au recueillement avant d’aborder le banquet eucharistique. Le lavement des pieds, ce sera aussi la confession sacramentelle si nécessaire : seul un cœur réconcilié avec Dieu permet la vraie participation.
La « courtoisie de Dieu » à notre endroit appelle dans l’âme cette délicatesse et ce respect pour le don de Dieu : c’est bien la moindre des choses après que Dieu nous ait manifesté sa tendresse miséricordieuse jusqu’à la sueur de sang. Le sommet de la « participatio actuosa » est plénière avec l’accès à la sainte Table près de l’autel en recevant personnellement la communion (Cf. CEC n. 1388 ; Conc. Sacrosanctum Concilium, n. 55). Néanmoins, écrit encore Benoît XVI, « on doit veiller à ce que cette juste affirmation n’introduise pas parmi les fidèles un certain automatisme, comme si par le seul fait de se trouver dans une église durant la liturgie on avait le droit ou peut-être même le devoir de s’approcher de la Table eucharistique ». Au cas où, pour une raison ou une autre, le fidèle ne peut s’approcher de la sainte Table, sa présence à la messe reste cependant nécessaire, valable, significative et fructueuse. Avec Jean-Paul II et les maîtres de la vie spirituelle, Benoît XVI souligne le bienfait de la communion spirituelle qui fait désirer d’être uni au Christ de plus en plus (Cf. Encycl. Ecclesia de Eucharistia [2003], n. 34. S. Thomas, Somme théologique, III, q. 80, a. 1, 2m. Sainte Thérèse de Jésus, Le chemin de la perfection, ch. 35. Cette doctrine fut confirmée avec autorité par le Concile de Trente, sess. XIII, c. VIII).