La prudence de Jeanne est ordonnée au règne du Christ. À sa suite, nous avons à redécouvrir la profonde sagesse de la doctrine de la royauté sociale de Jésus-Christ. L’inscription de la liberté d’avorter dans la Constitution doit être l’occasion pour les catholiques français de prendre conscience de l’actualité d’une telle doctrine.
Après le vote du Sénat le 28 février, l’inscription dans la Constitution de « la liberté de la femme d’avorter » sera effective le 4 mars prochain par le vote du Congrès.
Certes cette inscription ne changera rien sur le terrain, nonobstant la crainte d’une possible remise en cause de la clause de conscience des médecins. Certes, on peut considérer que Macron et son gouvernement ne jouent là qu’une partie strictement politicienne en donnant des gages à la gauche.
Quoi qu’il en soit, cette inscription a une dimension symbolique indéniable. On peut se gausser du ridicule d’une France qui, après le retournement de la Cour suprême américaine, se prend pour le phare du progressisme mondial et cherche à incarner l’avant-garde de l’humanité luttant contre les forces censées opprimer les femmes.
Mais cette décision qui fait honte à la France manifeste surtout la gravité de son état spirituel. Comme Péguy et Bernanos l’auraient dit, la France commet « un péché mortel ». Par le vote de ses représentants, le peuple français pose un acte d’apostasie. Inscrire dans sa constitution la liberté de perpétuer ce « crime abominable » (expression de Vatican II reprise dernièrement par le pape François) est en effet une ignominie qui offense Dieu.
Cette abomination est hélas logique.
Puisse cet événement être l’occasion d’une prise de conscience de la nature spirituelle, morale et anthropologique de nos institutions républicaines, et ce depuis leurs origines révolutionnaires, actualisées sous la Troisième République.
En effet, si comme le prétend la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « la loi est l’expression de la volonté générale » et si « le principe de toute souveraineté réside dans la nation », comment s’étonner que de tels principes finissent par engendrer une telle iniquité ?
En effet, il serait temps pour les catholiques de réaliser que notre régime politique fondé sur la laïcité maçonnique n’est pas neutre car en matière pratique la neutralité n’existe pas. Les institutions de la modernité politique se sont substituées à celles héritées de la chrétienté. Le refus explicite de reconnaître Dieu comme mesure de la vie sociale et politique engendre inéluctablement une transgression de la loi naturelle et donc de graves attaques contre la dignité humaine.
Il est bon de déplorer de telles lois iniques mais il est meilleur encore, pour être cohérent, de remonter à leurs principes. Si en théorie, on peut soutenir que, dans un régime de « saine laïcité », la raison politique peut respecter la loi morale naturelle, force est de constater qu’en pratique, seule la foi chrétienne peut fortifier la raison pour qu’elle discerne le vrai bien humain et la volonté pour qu’elle l’accomplisse.
En effet, la condition historique de l’humanité est, de fait, inscrite dans le péché. L’être humain vit concrètement depuis la chute sous le règne des trois concupiscences et seule la grâce divine peut l’en libérer. Si les catholiques admettent cette vérité de foi pour la conduite de la vie individuelle, pourquoi la refuser lorsqu’ils considèrent le gouvernement de la vie sociale et politique ?
Sur l’orientation du monde humain, l’alternative est donc la suivante : soit l’homme, laissé à son seul conseil, se croit doté d’une liberté illimitée et alors naissent des structures de péché qui obscurcissent la conscience et obstruent la volonté ; soit l’homme se tourne vers Dieu et reconnaît la royauté sociale du Christ et alors la société animée par la grâce sécrète des mœurs, des institutions et des lois disposant ses membres à poser des actes bons. Tel est ce que l’on nomme un régime de chrétienté ; non pas l’advenue du Royaume de Dieu sur terre, non pas une société moralement parfaite mais un ordre social et politique qui tend à recevoir de Dieu ses principes fondamentaux.
Bref, seule la grâce divine permet de vivre selon la loi naturelle. Le signe en est que le refus de la grâce engendre inéluctablement la transgression de celle-ci.
Quelle est dès lors la place de Dieu dans nos sociétés postchrétiennes et donc nihilistes ? Où se situe-t-il ? Dieu est toujours présent au plus faible et au plus innocent des humains, notamment à l’embryon lové dans l’utérus de sa mère. En sacralisant cette prétendue liberté de le tuer, notre société veut atteindre Dieu en son cœur de Père. En prétendant éclairer le monde entier par son exemple, la France nie sa vocation surnaturelle et consacre son âme au « père du mensonge », à celui qui singe Dieu par orgueil. Ainsi la France qui envoyait des missionnaires dans le monde entier est devenue la France qui, aux yeux des nations, donne l’exemple d’une liberté impie et criminelle.
D’aucuns objecteront que la royauté sociale du Christ est un vœu pieux, totalement obsolète et relevant d’une vaine nostalgie d’une restauration monarchique qui a fait long feu dès le XIX e siècle. Le problème d’une telle objection est qu’elle signifie bien souvent l’intériorisation inconsciente du régime mental d’une laïcité nihiliste dont on voit un énième fruit ces jours-ci.
Il est donc urgent, non pas de penser que la royauté sociale va advenir par un coup de baguette magique, mais de sortir d’une forme de naïveté intellectuelle et politique. Il est urgent de cesser de réfléchir selon les schèmes de pensée de ceux qui agissent pour effacer de la vie sociale toute trace de la loi naturelle dont la Source est Dieu lui-même. Il est urgent de réouvrir l’intelligence de la foi à sa dimension sociale et politique afin de continuer à prétendre incarner à temps et à contretemps une alternative à la laïcité nihiliste.
Il est urgent de relire Quas primas de Pie XI sur la royauté sociale de Jésus-Christ et Immortale Dei de Léon XIII sur la constitution chrétienne des Etats. On ne voit d’ailleurs pas au nom de quoi Dignitatis humanae, la déclaration sur la liberté religieuse de Vatican II, rendrait nécessairement caduque une telle doctrine. Certes Léon XIII et Pie XI ont été les papes du Ralliement mais l’échec patent de celui-ci ne permettrait-il pas de redécouvrir l’importance vitale des principes qu’ils pensaient pouvoir sauver et appliquer par cette politique ecclésiastique ?
L’an prochain, l’Église fera mémoire du centenaire de Quas primas, belle occasion de goûter la force d’inspiration d’une telle doctrine. Les événements sociétaux des cinquante dernières années ne nous ont-ils pas rendus plus à même d’en percevoir l’actualité ?
Puisse la constitutionnalisation de l’avortement être l’occasion d’une conversion politique des clercs et des laïcs ! Non pas en s’engageant dans tel ou tel parti, mais en tirant toutes les conséquences des implications sociales et politiques de la foi qu’ils professent.
Nous sommes dans la deuxième année de la neuvaine d’années préparant les 600 ans de la mort de sainte Jeanne d’Arc que nous fêterons en 2031. Prions Jeanne de nous faire entrer dans cette perspective du Christ-Roi qui a gouverné tout son engagement théologal, politique et militaire. Qu’elle aide chacun à discerner en prudence comment œuvrer dans la situation actuelle à promouvoir hardiment le règne du Christ sur notre société. Qu’elle nous aide à exercer les vertus d’espérance dans la Providence divine et de charité envers tous.
Nous publions ce texte avec l’aimable autorisation de Thibaut Collin, à l’initiative de la neuvaine d’intercession à sainte Jeanne d’Arc entamant sa deuxième année de prière.